Goals, bonnes affaires et répression

14 juin par Beat « Tuto » Wehrle , Sergio Ferrari

 

Si les cortèges anti-Mondial sont moins fournis qu’en juin 2013, le rejet de ce méga-événement est bien réel dans ce Brésil pourtant féru de football. Les affairistes, eux, ont déjà gagné la coupe. Le championnat du monde de football, qui débute jeudi 12 juin au Brésil, représente déjà bien plus qu’un grand évènement sportif. Avant même que le ballon commence à rouler sur les douze stades de ce pays-continent, les divers aspects de la réalité brésilienne se sont exprimés dans la dynamique pré-Mondial, selon Beat « Tuto » Wehrle. Responsable du programme « Le droit de jouer », une initiative solidaire d’appui aux enfants et adolescents des favelas de Sao Paulo, lancée et soutenue par Terre des hommes – Allemagne, ce Suisse présent de longue date au Brésil connait bien les mouvements sociaux locaux et les motifs de leur fronde qui s’exprime depuis plus d’un an contre la tenue de ce tournoi.

 

 

Qu’est-ce qui a marqué, selon vous, cette période d’avant-compétition.

Beat « Tuto » Wehrle : Quatre dynamiques essentielles se sont croisées : les intérêts économiques liés aux infrastructures, dont la construction se termine à peine ; la reprise des mobilisations sociales ; l’emprise croissante du système de sécurité et du contrôle militaro-policier, implantés dans une grande partie des villes où se dérouleront les différents matchs ; et l’éventuel impact politique du Mondial en cette année électorale.

 

Commençons par les travaux d’infrastructure.

Dans de nombreux cas, les constructions ont pas mal de retard. Le meilleur exemple est le stade d’Itaquerão (dans la ville de Sao Paulo), véritable tribune d’ouverture du Mondial. A maintes reprises, la presse internationale a parlé des retards dans la construction comme « typiquement latino-américains ou brésiliens », soulignant une incapacité de gestion, à peine contrebalancée par la faculté d’improvisation propre à nos pays. Néanmoins, ma lecture est autre. Une grande partie des travaux sont financés par la Banque nationale de développement économique et social (BNDES), qui inclut bien peu de social et beaucoup d’économique... Au Brésil, la BNDES est surnommée « la mère de la Coupe » vu qu’elle ne finance pas seulement les stades, mais aussi les énormes travaux d’infrastructure et que ces travaux eux-mêmes sont aux mains d’entreprises privées.
Le retard pris dans les délais répond à un froid calcul économique. C’est l’instrument d’une sorte d’extorsion systématique : plus la construction prend de retard, plus grandes sont les exigences de ces entreprises en paiements supplémentaires. L’urgence permet aux travaux de quitter le cadre usuel. Les coûts finaux peuvent doubler par rapport au budget initial. Dans ce processus, se combinent l’appétit immodéré de profits et des mécanismes très bien rôdés de corruption. Comment expliquer autrement que l’entreprise qui a construit le stade d’Itaquerão vienne de terminer la construction de son nouveau siège, à Sao Paulo, sans un seul jour de retard ?

Et la question de la sécurité ?

Après les grandes mobilisations de juin 2013 (qui ont réuni plusieurs millions de manifestants, ndlr), il s’est produit une véritable course aux armements et au militarisme, impulsée par les Secrétariats à la sécurité publique des différents Etats (régions). De manière générale, ce sont eux, et non le pouvoir exécutif national, qui sont en charge de la sécurité. Certes, dans certains cas, comme à Rio de Janeiro, ce sont des unités de l’armée qui ont occupé des favelas, pour permettre l’intervention d’unités de police pacificatrice (UPP). Bien que l’on puisse considérer comme positif pour l’Etat de contrôler à nouveau des territoires jusqu’ici livrés au crime organisé, le soulagement des familles habitant dans les favelas « pacifiées » s’est transformé très rapidement en souffrance en raison du comportement tout aussi arbitraire, répressif et violent des polices militaires. Sao Paulo vit une réalité similaire de militarisation très intense, avec l’acquisition de nouveaux équipements destinés à la répression des manifestations, et la mise sur pied d’une nouvelle unité dénommée « Tropa de Braço », dont les membres sont tous des spécialistes en arts martiaux.
En clair, la sécurité du Mondial constitue le prétexte justifiant la reproduction de méthodes historiquement connues, qui visent à dissuader et à réprimer toute tentative de mobilisation sociale. Cinquante ans après le coup d’Etat militaire contre le gouvernement de Joao Goulart – qui a été commémoré le 1er avril – l’appareil d’Etat brésilien continue d’être marqué par des éléments autoritaires et répressifs. Le meilleur exemple, ce sont les polices militaires présentes dans tout le pays. Et tout cela indépendamment de la volonté de la présidente Dilma Roussef.

En quoi cela influe-t-il sur les mobilisations ?

Ce renforcement des forces de sécurité publique a eu tendance à radicaliser les manifestations et à en réduire l’ampleur et la diversité. Dans les mouvements sociaux qui sont à l’origine des manifestations de juin 2013, on observe deux positions différentes. Un secteur, qui brandit la bannière proclamant « Sans droits, pas de Mondial », pactise objectivement avec les factions les plus radicales. L’autre secteur, celui des mouvements sociaux les plus organisés – ? qui se regroupent dans les comités populaires de la Coupe ?– dénonce les impacts négatifs de ce méga-évènement sportif, mais ne participe pas aux manifestations violentes. En résumé, les mobilisations actuelles n’atteignent pas l’ampleur de celles de juin passé, durant la Coupe des confédérations. De plus, le mouvement n’a pas de direction organique.
Malgré cette décrue, les sondages montrent une relative impopularité du Mondial. Mais une majorité rejette aussi les manifestations, au contraire de l’an dernier. Une évolution clairement imputable aux violences.

Cette dynamique aura-t-elle une incidence directe sur les élections d’octobre ?

Avant juin 2013, de nombreux commentateurs prévoyaient que la Coupe du monde pourrait faciliter la réélection de la présidente Dilma Rousseff. Après les grandes manifestations de rue, le Mondial a commencé à être vu par l’opposition comme un facteur d’usure du pouvoir. Cette tendance se confirme. Elle est renforcée par les grands groupes qui contrôlent le secteur de l’information. Toutefois, les candidats de l’opposition ne réussissent pas à capitaliser sur ce rejet croissant de la présidente.

Traduction : Hans-Peter Renk
Collaboration : E-CHANGER + Journal Le Courrier


Vers un Mondial du football de rue

La collaboration entre Terre des Hommes-Allemagne et les commissions d’entreprise des travailleurs de Volkswagen a rendu possible la réalisation du programme « Le droit de jouer ». Cette initiative lancée en 2009/2010, en Afrique du Sud, a été prolongée pour l’édition brésilienne.
La campagne a mis en relation des organisations locales et finance leurs projets favorisant le droit de jouer et de pratiquer le sport pour des enfants et des adolescents vivant dans les favelas de la banlieue de Sao Paulo. Une façon de soutenir le développement des enfants et des adolescents, mais aussi de surmonter les niveaux élevés de violence. Il s’agit enfin de profiter de l’évènement pour attirer l’attention sur ces droits de l’enfance, garantis par les conventions internationales mais systématiquement violés. L’action la plus symbolique sera l’organisation d’un Mondial de football de rue, début juillet, à Sao Paulo. (Sergio Ferrari)
www.a-chance-to-play.org


Deux tiers d’anti-Coupe du monde

S’il persistait un doute sur la mauvaise humeur des Brésiliens, le dernier sondage du Pew Research Center le lève sans ambiguïté : quelque 72% des 1003 personnes interrogées se disent « insatisfaites » de la situation présente contre 55% juste avant les méga-manifestations de juin 2013. Pour la première fois depuis des années, une (nette) majorité des Brésiliens critique l’état de l’économie, selon cette étude publiée le 3 juin mais réalisée en avril dernier.
Dans cette grisaille, le Mondial en prend pour son grade : 61% des sondés regrettent la tenue de l’évènement, qui priverait de moyens les services publics, à l’unisson du mouvement social. Au pays du football, seulement 34% pensent que la Coupe du monde est une bonne chose, car elle créerait de l’emploi.
L’inflation, l’accès à la santé, la criminalité, le chômage, les inégalités et la faible qualité des écoles publiques sont les principaux soucis des Brésiliens. Les seules personnalités publiques échappant à la vindicte populaire sont l’ex-président Lula, le président de la Cour suprême Joaquim Barbosa et, dans une moindre mesure, l’écologiste Marina Silva. (Benito Pérez, Le Courrier)

Enregistrer au format PDF printer

SOURCE / CADTM

Tag(s) : #actualités
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :