Comment réduire les budgets sans en avoir l'air… au détriment des patients et de la Sécu

 

 

L'annonce par Martin Hirsch d'un plan de division par deux des délais de passage aux urgences de l'APHP, relayée par différents médias à partir du 10 juin, a tout d'une opération de communication mal ficelée : c’est un objectif aussi récurrent qu’attrayant, qui recouvre en fait celui beaucoup moins avouable de réduction des budgets consacrés aux urgences, et qui a en fin de compte toutes les chances d'augmenter les coûts aussi bien pour les patients que pour l'Assurance-maladie.

Ce n'est pas nouveau. L'idée selon laquelle il faudrait réduire "l'attente aux urgences" inspire des interventions dans les hôpitaux français depuis plus d'une dizaine d'années, notamment avec le ministère Mattei en 2003. A l'APHP, elle a été déjà promue par des cabinets de conseil comme McKinsey, pour des sommes considérables et des résultats jamais évalués par d'autres que leurs promoteurs. C'était alors à l'hôpital Beaujon, dans le service de Philippe Juvin, conseiller santé de N. Sarkozy, nommé ensuite par celui-ci juste avant son départ de manière très controversée à l'HEGP, fleuron de l'AP.

L'annonce d'un objectif de division par deux des délais frappe l'imagination, un peu comme le slogan de "non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux" de N. Sarkozy et F. Fillon, au gouvernement duquel M. Hirsch a appartenu. Mais aucune étude ne semble avoir estimé la marge de réduction des délais au vu de l'état de santé à venir des patients. L'objectif ne sera probablement pas atteint mais au moins, tout le monde s'efforçant d'y contribuer, personne ne songera à en contester le bien-fondé. Les psychosociologues nomment cela un processus "d'engagement par les actes", d'influence sur les croyances des personnes en leur faisant faire certaines choses.

Cette annonce est a priori bonne en termes de communication aussi pour une autre raison. Les sondeurs donnent en effet une curieuse image du fonctionnement des hôpitaux. Après un premier tri des patients "contents" et "mécontents", ils demandent à ces derniers pourquoi ils ne sont pas contents. La réponse qui vient habituellement en tête est l'attente, en particulier aux urgences. Ce qui est plutôt rassurant sur la qualité des soins, car signifie que les vrais problèmes comme les erreurs de diagnostic ou de traitement sont apparemment moins fréquents. Mais réduire "l'attente" aux urgences semble ainsi une démarche visant avant tout à répondre au premier motif d'insatisfaction des patients et remporte donc toujours un succès d'estime.

Cependant, l'objectif réel est de réduire les budgets consacrés aux urgences. En ces temps où les sommets de l'État demandent 10 Mds € d'économies au système de santé, la tentation est grande de reprendre cette vieille recette. En effet, il s'agit de réduire non pas "l'attente" mais le délais entre l'arrivée dans le service d'urgences et la sortie de celui-ci. Mécaniquement, cela signifie qu'un patient sera vu plus vite par un soignant, donc que ce soignant pourra voir plus de patients dans un temps donné, et donc qu'un volume de patients donné pourra être traité par moins de soignants, ce qui réduit d'autant les coûts (les personnels forment environ les 2/3 des coûts des hôpitaux). CQFD. Mais ce raisonnement avant tout économique est ici paré des atours de la réduction de l'attente pour les patients, ce qui le rend socialement beaucoup plus acceptable, voire désirable.

Au début au moins, car les coûts pour les patients et pour l'Assurance-maladie finissent par s’accroître. En effet, il faut rappeler que le temps d' "attente" est aussi un temps… de soin ! Si je passe du temps dans le service, c'est que d'autres sont soignés avant moi et que je le suis aussi à mon tour. Réduire ce temps dégrade donc tendanciellement la qualité des soins, ce qui se manifeste par une corrélation négative entre temps d'attente et taux de retour des patients: les soignants les plus "rapides" sont aussi ceux dont les patients reviennent le plus fréquemment. Avec des coûts accrus pour ceux-ci (déplacements, douleur et risques de santé, surtout en cas de retour tardif) et pour l'Assurance-maladie, laquelle finance les services d'urgence en fonction notamment de leur nombre de passages. Mais il est si facile d'imputer ces passages supplémentaires à une hausse "sociétale" des recours aux urgences…

 

SOURCE / MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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