Anne Steiner : « Il faut faire la grève générale de la consommation »
Sociologue et maître de conférences en sociologie à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Anne Steiner travaille sur la violence politique. Aux éditions L’Échappée, elle a publié un ouvrage de référence sur la Fraction armée rouge (RAF : guérilla urbaine en Europe occidentale, 2006) ainsi que des livres consacrés aux anarchistes individualistes (Les En-dehors : anarchistes individualistes et illégalistes à la Belle Époque, 2008), et à la violence sociale et politique à la Belle Époque (Le goût de l’émeute : manifestations et violences de rue dans Paris et sa banlieue à la “Belle Époque”, 2012 ; Le Temps des révoltes : Une histoire en cartes postales des luttes sociales à la “Belle Époque”, 2015). Elle a également consacré un ouvrage (Belleville cafés, photos Sylvaine Conord, L’Échappée, 2010) et des articles à l’évolution de Belleville à travers celle des cafés de ce quartier. Nous sommes revenus avec elle sur l’actualité de ces mouvements du siècle dernier.
Le Comptoir : Vous avez écrit sur divers mouvements libertaires – anarchisme individualiste et anarcho-syndicalisme – de la Belle Époque. En quoi ces courants politiques peuvent-ils nous aider à penser les luttes d’aujourd’hui ?

SteinerAnne Steiner : Ils nous aident à comprendre ce qu’est l’engagement. Ce que veut dire lutter pour l’émancipation. En ce qui concerne les anarchistes individualistes, il y a quelque chose d’intemporel dans leur lutte, qui vaut pour notre temps.

Pour ce mouvement, la transformation de la société passe par la transformation personnelle. Chaque individu doit tendre vers le développement de toutes ses potentialités, dans tous les domaines (intellectuel, affectif, sexuel, physique, sensoriel, artistique). Il y a la conviction qu’il n’y aura pas de changement social s’il n’y a pas au préalable de rupture dans les comportements. Alors que les tenants de la révolution remettent tout effort à plus tard – peuvent être autoritaires avec leurs enfants, vivre des rapports inégalitaires, travailler dans n’importe quelle entreprise à n’importe quelle tâche, et consommer à tout va – en attendant la révolution qui réglera tout, l’anarchiste individualiste s’efforce, lui, d’agir dans tous les actes de sa vie, même les plus infimes, en accord avec son éthique, sans compromis aucun.

Il me semble que leur précepte « vivre en anarchiste ici et maintenant » garde sa haute valeur subversive aujourd’hui encore, dans les conditions qui sont les nôtres.

En ce qui concerne l’anarcho-syndicalisme, c’est beaucoup plus compliqué. C’est une conception de la lutte peu adaptée à la situation actuelle puisqu’elle repose sur l’idée d’une grève générale. Partout au même moment, les travailleurs se rendraient maîtres des lieux de production ainsi que des moyens de communication et de circulation. Le syndicat, organe de résistance, se transformerait alors en organe de circulation et de répartition des biens. La conquête de l’État serait ainsi tout à fait superflue pour passer d’un mode de production à un autre. Mais la division internationale du travail est telle qu’une grève générale dans un seul pays (déjà difficile à concevoir) n’aurait aucun sens aujourd’hui. Et imaginer la réaliser à un niveau planétaire paraît tout à fait déraisonnable.

Certains se réclament encore de l’anarcho-syndicalisme… La CNT par exemple.

Oui, ils se réclament de l’anarcho-syndicalisme au sens où ils défendent leur indépendance vis-à-vis des partis. Ils n’ont cependant plus en tête la grève générale pour arriver à une autre société. Enfin, je ne pense pas, et s’ils l’ont encore, ils font erreur. La plupart des biens de consommation sont produits hors d’Europe. Comment, dans ces conditions, une grève générale pourrait-elle déboucher sur l’avènement d’une société autre ?

« Réduire le temps de travail, c’était permettre aux ouvriers d’avoir une vie en dehors de la production, la possibilité de s’instruire, de développer ses potentialités. »

De quels moyens de lutte disposons-nous alors ?

Aujourd’hui, il faut faire la grève générale de la consommation, c’est le seul levier sur lequel nous pouvons agir. C’est-à-dire qu’il faut réduire de façon drastique sa consommation de biens industriels, se détourner au maximum des circuits marchands, et produire autrement ce que nous considérons comme nécessaire à notre bien-être. Le capitalisme ne survivrait pas à une désertion en masse de la consommation.

N’y a-t-il pas un grand écart entre les anarchistes individualistes, qui ne croient pas en la révolution collective, et l’anarcho-syndicalisme, qui défend la lutte de classes et préconise la grève générale comme moyen ?

Bien sûr. J’ai commencé par travailler sur les anarchistes individualistes, parce que je me reconnaissais davantage dans leurs conceptions. Mais en même temps, en toile de fond, il y avait tous ces mouvements que j’ai eu envie de mieux connaître. Dans leurs publications, notamment dans L’Anarchie, les individualistes tapent pas mal sur les anarcho-syndicalistes. Mais en fait, ils participent quand même plus ou moins aux mouvements que ces derniers initient. Par exemple, lors de la célèbre grève des carriers de Draveil en 1908, les individualistes sont sur les lieux et participent aux meetings comme orateurs ainsi qu’aux manifestations.

l'anarchieAu sein des collaborateurs et collaboratrices de L’Anarchie, il y avait un conflit entre ceux qui pensaient qu’ils n’étaient pas concernés par les revendications ouvrières, et qui étaient assez méprisants par rapport aux luttes syndicales, et ceux qui estimaient au contraire que certaines de ces revendications, comme celle pour les huit heures de travail, les concernaient [au début du XXe siècle, la journée de huit heures de travail était une des revendications phares de la CGT révolutionnaire, NDLR]. Car réduire le temps de travail, c’était permettre aux ouvriers d’avoir une vie en dehors de la production, la possibilité de s’instruire, de développer ses potentialités.

Les anarchistes individualistes sont, selon la terminologie de Gaetano Manfredonia, des “éducationnistes-réalisateurs” : ils croient en l’éducation, en particulier sous la forme de l’auto-éducation. Car seul un homme éduqué, libéré des préjugés de son temps, soumis à la seule autorité « de l’expérience et du libre examen », sera capable d’œuvrer pour l’émancipation. Dans leur grande majorité, eux-mêmes avaient quitté l’école à 12 ou 13 ans, étaient des autodidactes et possédaient une culture assez remarquable en sciences et en philosophie. C’est notamment le cas de ceux qui furent inculpés dans l’affaire Bonnot dont on connaît précisément les lectures et les commentaires.

C’est au nom de cette conception que deux femmes, qui avaient cofondé L’Anarchie avec Albert Libertad, Anna et Amandine Mahé, considéraient qu’il fallait soutenir, en tant qu’individualistes, la formidable mobilisation engagée par la CGT pour la journée de huit heures. Pour que le prolétariat accède à la culture, et échappe ainsi aux préjugés et à la résignation. Après la mort de Libertad en novembre 1908, elles se sont d’ailleurs éloignées des individualistes de L’Anarchie pour rejoindre l’équipe du Libertaire de Sébastien Faure, davantage intéressée par les luttes sociales.

L’anarchisme individualiste ne tombe-t-il pas dans ce que Murray Bookchin appelait le « lifestyle anarchism » (« anarchisme comme mode de vie »), qui se révèle finalement être un cheval de Troie du libéralisme au sein du mouvement libertaire.

Non, absolument pas !

Pourquoi ?

Parce que le mode de vie anarchiste individualiste représente une forme d’ascèse. Le « vivre sa vie » des individualistes d’avant 1914 n’est pas tout à fait l’équivalent du « jouir sans entraves » des libertaires de Mai-68. Il y a chez eux une aspiration à la simplicité volontaire (végétarisme, refus de l’alcool et du tabac, nudité ou vêtement minimal, mais sexualité libre) et la recherche d’une frugalité joyeuse qui reposent sur la limitation des besoins, le refus de la marchandisation. Et ceci est contradictoire avec le libéralisme.

Dans votre dernier ouvrage, Le Temps des révoltes, vous expliquez que le mouvement ouvrier était assez hostile au travail des femmes pour diverses raisons. Quelle place pour le féminisme alors ?

L’hostilité au travail des femmes est surtout liée au refus de la déqualification du travail entraînée par l’industrialisation. Là où on employait des hommes porteurs d’un savoir-faire acquis par des années d’apprentissage, on emploie, grâce à l’utilisation de nouvelles machines, des femmes ou des adolescents non formés et sous payés. D’autre part, les ouvriers se battent pour que leurs salaires soient suffisants à l’entretien d’une famille. Il y a le sentiment que si les femmes mariées travaillent, c’est parce que les salaires masculins sont insuffisants. Et il y a aussi la conviction que l’usine est un lieu de dépravation pour les femmes soumises aux avances et aux pressions des contremaîtres. Mais avant tout, les femmes – qui représentent alors 37 % des effectifs de l’industrie avant la guerre de 1914 – sont vues comme des concurrentes sur le marché du travail. C’est une main d’œuvre bon marché.

« Au sein du mouvement ouvrier, les figures féministes ont un rôle d’éveilleur des consciences des femmes, parce que ces dernières étaient souvent moins politisées que les hommes »

Il y a cependant au sein du mouvement ouvrier des figures féministes, comme Antoinette Sorgue ou Gabrielle Petit, qui font des conférences dans toute la France à l’appel des sections syndicales et qui incitent les femmes à adhérer à la jeune CGT, alors syndicaliste-révolutionnaire. Elles sont présentes lors des grèves et participent aux meetings et manifestations. Mais ce n’est pas du féminisme au sens très contemporain du terme. Elles sont solidaires des hommes, car la contradiction principale passe pour elles entre le capital et le travail. Elles ont un rôle d’éveilleur des consciences des femmes, parce que ces dernières étaient souvent moins politisées que les hommes. Pour ces féministes, l’émancipation des travailleuses passe par la participation aux luttes syndicales.

images.duckduckgo.comC’est l’époque où des militants et militantes qualifié(e)s de “commis-voyageurs des grèves”, allaient de ville en ville pour donner des conférences. Souvent, après leur passage, une section CGT était créée, et une grève éclatait quelques semaines plus tard. La différence entre les conférencières et les conférenciers de cette période, c’est que les premières ne parlaient pas que du syndicalisme. Elles diffusaient également une propagande néo-malthusienne pour la limitation des naissances – expliquant même comment faire pour se protéger lors des rapports – et tenaient un discours antimilitariste et anticlérical appuyé. Les femmes étaient alors davantage sous l’emprise de l’Église que les hommes et ceci pouvait être un obstacle à la prise de conscience des rapports de classe. Il fallait donc combattre sur ce front-là. Ainsi, le journal La femme affranchie fondé par Gabrielle Petit en 1904 porte la mention « organe du féminisme ouvrier socialiste et libre-penseur, tribune libre pour tous les protestataires ».

D’autre part, les femmes au travail sont confrontées à des problèmes spécifiques Ainsi, à Limoges, en 1905, la grève éclate dans le contexte d’une lutte contre le harcèlement pratiqué par un contremaître. C’était vraiment des comportements assez généralisés, contre lesquels les femmes ont beaucoup lutté. Ce n’est pas toujours dit quand des grévistes femmes exigent le départ d’un contremaitre, mais c’est souvent parce qu’il est harceleur[i]

Bien des grèves ont eu, comme point de départ, comme élément déclencheur, la remise en cause de l’arbitraire du personnel d’encadrement au moment où se met en place une véritable discipline industrielle dans les ateliers.

« Il y a une relation d’amour-haine avec la République. Si les ouvriers conscients la critiquent aussi âprement c’est parce qu’ils croient ou ont cru en elle et qu’elle ne tient pas ses promesses. »

Dans Le Temps des révoltes, ainsi que dans Le goût de l’émeute, on constate que le mouvement ouvrier ne devait pas se battre uniquement contre la bourgeoisie, mais contre la République elle-même, alors que le pouvoir politique est largement à gauche (coalition radicaux, radicaux-socialistes, républicains de gauche). Un socialisme républicain est-il envisageable ?

Il y a une relation d’amour-haine avec la République. Si les ouvriers conscients la critiquent aussi âprement c’est parce qu’ils croient ou ont cru en elle et qu’elle ne tient pas ses promesses. Les fabuleux dessinateurs de la presse ouvrière de la Belle Époque peignent une Marianne méprisée pour ses trahisons. Il y a aussi des chansons de grève reproduites dans le journal La Guerre sociale telles que : « Marianne tu n’es qu’une catin ! Tous tes sales maquereaux, tes juges, tes généraux iront à la rivière… » C’était l’amante du prolétariat qui a préféré frayer avec le bourgeois, « À ses promesses, elle a menti, elle tourne le dos aux petits, Elle flirt’ avec les grands. » On la représente aussi en marâtre. C’est la mauvaise mère qui envoie à Biribi les plus déshérités de ses fils. Toutes ces représentations sont empreintes d’amertume.

La République est vue comme une duperie, tout comme la démocratie représentative. Il y avait, à l’époque, pas mal de députés socialistes sortis du rang, bien plus qu’aujourd’hui d’ailleurs. Par exemple, dans le Nord, les députés sont d’anciens mineurs. Mais c’est vrai qu’une fois à la Chambre, avec des revenus confortables, une nouvelle sociabilité, de nouvelles mœurs, une coupure se fait. Ils deviennent des bourgeois qui ne représentent plus les intérêts ouvriers. Du moins, c’est ainsi qu’ils sont perçus. En fait, ce ne sont pas vraiment des traîtres à la classe ouvrière, mais ils se placent dans une autre optique, plus réaliste et plus réformiste. Cela est mal perçu par la base mais on ne peut pas dire que le mouvement ouvrier soit antirépublicain. On le verra bien avec l’union sacrée en 1914 où il s’agit de défendre la France républicaine contre le Kaiser.

Ces désillusions et ces rancœurs par rapport à la démocratie suivent de près l’affaire Dreyfus. C’est-à-dire un moment où les ouvriers se sont levés en masse pour défendre la République. Ils l’ont sauvée, les dreyfusards sont au pouvoir et pourtant, la classe ouvrière est maltraitée. Ils ont donc le sentiment de s’être fait avoir.

Un peu plus tôt, la Commune se fonde également autour d’une certaine idée de la République.

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La une de La Guerre Sociale, après la mort de Liabeuf

Oui, absolument. Mais ce sont surtout les conséquences de l’affaire Dreyfus sur le plan politique qui jouent un rôle dans la désaffection du prolétariat organisé pour les institutions démocratiques. Les ouvriers ont accepté de défendre un bourgeois, un officier, alors que l’armée a été utilisée comme force de répression des grèves. Cela n’allait pas du tout de soi. Mais ils l’ont fait, au nom de la justice, et parce que la République était menacée par les cléricaux et les monarchistes. Le résultat politique de tout ça, c’est l’accession au pouvoir des radicaux et radicaux socialistes qui ne font, en fait, que servir les intérêts de la bourgeoisie.

Les militants ouvriers qui, pour sauver la République, avaient fait alliance avec la bourgeoisie libérale, aimeraient que cette même bourgeoisie se manifeste, à son tour, quand des figures ouvrières sont victimes de l’arbitraire de la justice. Vous avez par exemple, en 1910, le docker Jules Durand, accusé à tort du meurtre d’un “jaune” et condamné à mort ; le disciplinaire Rousset, victime d’une machination pour avoir dénoncé la mort sous la torture du soldat Aernoult dans les bagnes militaires d’Afrique ; ou encore le jeune cordonnier Liabeuf injustement accusé de proxénétisme et qui tua un policier pour venger son honneur. La presse ouvrière s’est indignée du silence de la presse libérale par rapport à ces “Dreyfus ouvriers” et a demandé aux intellectuels dreyfusards de s’engager pour eux. Ce qu’ils ont fait d’ailleurs.

Sur l’affaire Dreyfus, Jean-Claude Michéa explique que le mouvement ouvrier est hostile à Dreyfus, car c’est un bourgeois…

Seulement au tout début. Il ne faut pas oublier que le premier à s’engager pour Dreyfus, avant même Zola, a été Bernard Lazare, très proche des anarchistes. Et que Sébastien Faure, bientôt rejoint par Emile Pouget le soutint très tôt. Le socialiste Jean Allemane, partisan de la grève générale, également. Dire que le mouvement ouvrier, dans toutes ses composantes, a été hostile à Dreyfus est inexact. Et, dans leur grande majorité, les anarchistes ont réagi tôt et bien.

Et qu’une partie des anarcho-syndicalistes auraient refusé jusqu’à la fin de le défendre.

Oui. Enfin, chez les anarcho-syndicalistes, il n’y a qu’une petite frange qui n’a pas voulu, comme chez les anarchistes. Même si le mouvement ouvrier n’est pas toujours irréprochable sur la question, ceux qui n’ont pas voulu s’associer à ce combat n’étaient pas forcément des antisémites. Il n’était pas besoin d’être antisémite pour considérer que la défense de Dreyfus ne concernait pas les ouvriers. Car, en tant que bourgeois, et surtout en tant que militaire, c’était un ennemi de la classe ouvrière à une époque où l’armée était chargée de la répression lors des grèves, répression qui faisait des morts.

Dans Le Temps des révoltes, vous expliquez que « De 1905 à 1911, on compte entre 1 000 et 1 500 grèves par an, d’une durée moyenne de 15 jours, certaines se prolongeant au-delà. Sans l’existence d’une forte solidarité, la faim serait vite venue à bout de ces résistances ouvrières. » Est-ce que l’affaiblissement de cette solidarité expliquerait la faiblesse des luttes aujourd’hui ?

L’affaiblissement des luttes s’explique d’abord parce qu’on n’a plus besoin des ouvriers. Entre machinisme et délocalisation, ils sont devenus résiduels en Europe. Le prolétariat d’aujourd’hui est un prolétariat de service (manutention, vente, transport, nettoyage, etc.). Mais, on ne fabrique plus rien. Ou pas grand chose.

« Une victoire locale avait valeur de victoire générale, de victoire du prolétariat tout entier. Cela allait bien au-delà des quelques concessions arrachées, et rapprochait du monde autre qu’on aspirait à construire. »

Aujourd’hui, ce sont surtout contre les licenciements que luttent les ouvriers. Mais si on licencie, c’est qu’on n’a déjà plus besoin d’eux, leur grève ne porte aucun coup fatal à ceux qui les emploient et qui s’apprêtent à les licencier. Comment voulez-vous lutter pour une usine qui va, de toute façon, fermer ? C’est perdu d’avance. Tout au plus parviendra t-on à gonfler les indemnités de départ.

À l’époque, on avait vraiment besoin d’ouvriers dans le secteur de l’énergie (charbon) comme de la production. S’ils faisaient grève et tenaient longtemps, les capitalistes devaient fatalement finir par plier. La solidarité avait alors un sens et se déployait sur l’ensemble du territoire et dans tous les corps de métier pour leur permettre de durer et de l’emporter. Une victoire locale avait valeur de victoire générale, de victoire du prolétariat tout entier. Cela allait bien au-delà des quelques concessions arrachées, et rapprochait du monde autre qu’on aspirait à construire. Il y avait une vision d’avenir qui n’a plus cours aujourd’hui. Et sans laquelle il est bien difficile de se mobiliser.

La bureaucratisation de la CGT ou la mainmise du PCF sur le mouvement ouvrier n’ont joué aucun rôle selon vous ?

C’est effectivement un peu un drame, mais cela nous plonge bien avant, quand les luttes étaient encore d’actualité. Dès le début des années 1920, la composante majoritaire de la CGT est passée sous la dépendance du PCF, lui-même soumis à l’Internationale communiste, c’est-à-dire au PCUS. Mais cela n’a signifié ni l’arrêt des luttes, ni celui de la solidarité. La preuve, il y a eu le Front populaire et de très belles grèves. Pendant la grève des mineurs, après la Seconde Guerre-mondiale, il y a eu des exodes d’enfants comme ceux que j’ai décrit pour la Belle Époque : des enfants de mineurs sont venus sur Paris et ont été accueillis par des familles ouvrières. Les solidarités ont continué à exister quand bien même elles avaient quelque chose de moins spontané.

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