Dix ans de présidence d’Evo Morales : « Nous n’y sommes pas encore »
 Photo Alain Bachellier/Flickr

Photo Alain Bachellier/Flickr

 
Volker Hermsdorf
 

Cela fait dix ans qu’Evo Morales est président de la Bolivie. Il a déjà obtenu beaucoup de bons résultats, mais la lutte est loin d’être finie.

Article paru le 22 janvier dans le quotidien allemand Junge Welt
 
 

Le 22 janvier, le premier président amérindien de Bolivie fêtait un jubilé sortant de l’ordinaire à plusieurs égards. Il y a dix ans, Evo Morales, un ancien cultivateur de coca et syndicaliste qui, cinquante ans auparavant, n’aurait même pas eu le droit de vote, faisait son entrée au « Palacio Quemado », le palais présidentiel à La Paz. Ce n’est qu’en 1952 que la population indigène de ce pays des Andes a obtenu les droits civiques, dont le droit de vote. « Pour vous, la politique c’est la pelle et la pioche. » Voilà comment les habitants d’origine indigène étaient traités à l’époque. Maintenant, non seulement l’Aymara (l’une des langues indigènes de la région, langue maternelle de Morales) est très populaire mais, de tous les présidents que la Bolivie a connu jusqu’à présent, il est celui qui a siégé le plus longtemps. Il a battu le record de neuf ans et quelques mois détenu par Andrés de Santa Cruz (1829–1839). Si la population votait pour une adaptation de la Constitution le mois prochain, Morales pourrait même encore se représenter en 2019 pour un mandat supplémentaire.

Les succès de Morales

Le secret de son succès est la stabilité qu’il a apportée au pays qui a tiré son nom de Simón Bolívar, l’homme qui a libéré l’Amérique du Sud du colonisateur espagnol. Bien qu’elle ait été un des territoires les plus riches de l’ancien empire colonial espagnol, la Bolivie était jusqu’il y a plus de dix ans un des pays les plus pauvres de le région. Une oligarchie qui gardait le pouvoir en mains par la violence et la terreur et était de connivence avec les multinationales étrangères, surtout américaines, avait créé le chaos pendant des dizaines d’années. En 2000, deux tiers de la population vivaient dans la pauvreté, dont 40 % dans l’extrême pauvreté. La mortalité infantile de 110 bébés pour mille naissances était même plus haute qu’au Guatemala et en Haïti, et l’espérance de vie moyenne n’était que de 53 ans.

Durant ses dix années à la tête du pays, Evo Morales a, avec le parti au gouvernement Movimiento al Socialismo (Mouvement pour le socialisme, MAS) fait de la Bolivie un pays totalement différent. Ce n’était possible qu’en inversant entièrement les rapports politiques existants. Par la nationalisation de l’industrie du gaz naturel, les rentrées de l’État ont pu être considérablement augmentées. Les multinationales étrangères n’ont plus accès aux trésors miniers de la Bolivie, et cela profite au pays : en 2013, les exportations s’étaient quasiment multipliées par quatorze. Une autre étape suivante importante a été l’intégration dans des coalitions régionales progressistes comme l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) et, de là, la signature avec Cuba et le Venezuela de l’accord pour un « Traité de commerce des peuples » (TCP), dans lequel les trois États ont conclu entre eux des relations commerciales solidaires. Cuba et le Venezuela s’engageaient ainsi à soutenir la Bolivie par des programmes pour l’alphabétisation et les soins de santé. Grâce à la méthode d’apprentissage développée à Cuba « Yo Sí Puedo » (Oui, je peux le faire), près d’un million de gens ont appris à lire et à écrire rapidement. Après avoir été élu président en 2005, Morales a aussi multiplié par quatre le budget pour l’enseignement et le résultat est qu’en 2014, l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a déclaré la Bolivie « pays libéré de l’analphabétisme ». L’extrême pauvreté et les inégalités sociales ont également été combattues. Le nombre de pauvres est passé de 38 à 18 %, le taux de chômage a diminué d’environ 9 % à 3 %. En 2015, la population bolivienne a atteint des standards de vie comparables à beaucoup d’autres pays de la région. La proclamation de l’« État plurinational » a également eu des effets tangibles. Il n’y a aucun autre pays en Amérique du Sud où siègent actuellement plus d’Amérindiens et de femmes au Parlement qu’en Bolivie. « Cela, dit Morales, ce sont les fruits d’une longue lutte contre le colonialisme et le néolibéralisme. »

Objectifs ambitieux

Mais ce président qui a fait à ce point avancer ce pays de près de onze millions d’habitants ne se satisfait pas de ces améliorations. Morales continue de fixer d’ambitieux objectifs. Vers la fin de l’année, il a présenté le plan pour le développement économique et social pour 2016-2020. Endéans cette période, il veut ramener l’extrême pauvreté de 18 à 9,5 % et également faire baisser encore davantage la mortalité infantile et maternelle. L’État veut consacrer environ 1,7 milliard de dollars au développement et à la modernisation des soins de santé. Il y a aussi des investissements prévus pour la construction et la rénovation de plus de 50 000 logements. Un programme est mis sur pied pour loger les mères seules sans abri, par exemple. L’État veut également fortement investir dans l’enseignement, le développement de projets d’énergie alternative dans tout le pays, l’infrastructure, l’agriculture et l’industrie forestière.

Morales continue sa politique avec succès, même si cela fait des années que les États-Unis essaient de déstabiliser son gouvernement. Parce que l’ambassadeur américain Philip Goldberg avait mobilisé et soutenu des révolutionnaires violents, la Bolivie a déclaré en 2008 l’ambassadeur persona non grata et l’a expulsé du pays. Mais Washington a continué à rendre la vie difficile à Morales. En juillet 2013, l’avion présidentiel bolivien, avec Morales à bord, a dû, durant un vol de retour de la Russie, faire une escale à Vienne parce que plusieurs pays européens, sous la pression des États-Unis, ont dénié le droit à l’avion de survoler leur territoire – une violation unique des traités internationaux. Malgré ce genre de provocations, Morales vient de déclarer qu’il était prêt à normaliser les relations diplomatiques après que des représentants de Washington ont déclaré que Morales et le président des États-Unis Barack Obama pourraient se rencontrer cette année. La Bolivie y est ouverte, a-t-il déclaré à la télévision, du moins si des agents des États-Unis ne viennent pas conspirer comme auparavant, mais s’en tiennent aux règles internationales de respect mutuel.

 

Evo Morales est né le 26 octobre 1959 et est le premier président indigène de l’État andin de Bolivie. Il a grandi dans une extrême pauvreté et, enfant, il a gardé des lamas sur l’Altiplano (le haut-plateau) et a aidé dans les champs. Durant sa scolarité, il travaillait en plus dans une boulangerie. Le peu de temps libre qu’il avait, il le consacrait à son petit groupe de musique ou à son sport favori, le football. Par les mauvaises conditions de vie, quatre de ses six frères et sœurs sont décédés quand ils étaient encore enfants.
Lorsqu’il n’a plus été possible pour ses parents de survivre sur le haut-plateau, ils ont dû partir vers la province du Chapare, le centre de la culture de coca. Morales est devenu un leader des cultivateurs de coca et s’est engagé en tant que syndicaliste pour ses collègues. Il a fait ses premiers pas en politique à Izquierda Unida (Gauche unie), à la fin des années 1990, il a adhéré au parti Movimiento al Socialismo (MAS) et, le 18 décembre 2005, en tant que leader charismatique de ce parti, il était élu président avec 54 % des voix. Il y a dix ans, Evo Morales prêtait serment en tant que président. En mai 2006, il a tenu une de ses plus importantes promesses électorales et a entamé la nationalisation des secteurs du pétrole et du gaz. Sous la direction de Morales, une nouvelle Constitution a aussi été élaborée, qui a été approuvée en 2009 par referendum. La Bolivie est depuis un « État plurinational » qui accorde aux communautés indigènes le droit à l’autonomie. Par ailleurs, le président a fait entrer son pays en 2006 dans l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba), créée deux ans plus tôt par Cuba et le Venezuela.
En décembre 2009, il a été réélu à la présidence avec 64 % des suffrages, et cinq ans plus tard à nouveau, avec 61 %. A l’automne 2009, l’Assemblée générale des Nations-unies l’a déclaré « World Hero of Mother Earth » (héros mondial de la Terre-Mère) et Fidel Castro « World Hero of Solidarity » (héros mondial de la solidarité). L’Amérindien aymara, qui se décrit lui-même comme anticapitaliste et anti-impérialiste, considère Fidel Castro comme le « symbole du passage à une nouvelle Amérique du Sud ».
 
SOURCE/ SOLIDAIRE.ORG
Tag(s) : #actualités
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :