La fabrique du monstre. Cela sonne comme un titre de polar, tendance "tueurs en série", et pourtant nous en sommes loin. C'est Marseille où le grand reporter Philippe Pujol vient de publier aux éditions Les Arènes, un récit prenant sur ses enquêtes effectuées durant une dizaine d'années pour le quotidien La Marseillaise.

 

 

Pour la plupart des Français, Marseille, c'est surtout l'OM, ou encore Plus belle la vie, ou parfois un ou deux adolescents abattus à coups de kalachnikov. Mais au-delà de La bonne mère, du Vélodrome, du Vieux-port ou des croisiéristes envahissants, les Marseillais sont confrontés depuis bien des années à la réalité mortifère des quartiers nord, une des zones de pauvreté massive en Europe. Parfois 75% de la population sous le seuil de pauvreté. Quartiers ghettos, quartiers de relégation où personne ne veut s'installer, et dont presque personne ne peut partir. Pour les jeunes aucune chance de trouver du boulot, le seul débouché est de grimper dans la hiérarchie des réseaux de dealers.

 

 

Alors que les journalistes ont de plus en plus mauvaise presse, Philippe Pujol, 41 ans, pratique le journalisme que nous soutenons depuis toujours, le journalisme d'immersion. Le contraire des pseudos reporters de TF1 ou BFM TV débarquant avec leurs caméras pour deux jours, repartant après quelques images bien croustillantes, et manipulant parfois les témoignages au montage. Pujol a passé dix ans dans les pires HLM de Marseille, il a entendu le désespoir des mères réfugiées dans l'alcool et les médicaments afin d'oublier la mort annoncée de leurs gamins en train de faire le guet entre deux tours. C'est ainsi qu'il a reçu en 2014, le prestigieux Prix Albert Londres pour sa série d'articles, Quartiers shit publiés dans le quotidien régional La Marseillaise.

 

 

Donc Philippe Pujol est devenu en 2014 le meilleur "Grand reporter de la presse écrite" sur les traces du fameux Albert Londres, prouvant ainsi que le grand journalisme n'a pas forcément besoin d'aller au loin dans un pays dévasté par la guerre. On peut le pratiquer à Marseille ou à Ouistreham comme Florence Aubenas. Deux des plus belles réussites de ces dernières années. Dès les premières pages le ton est donné, visite d'une cave où l'on mélange le shit avec de l'huile de vidange. Plus haut dans la tour de dix-huit étages, des appartements vides, démolis, pillés, certains squattés... Les marchands de sommeil règnent... et partout les cafards et les rats. Certains immeubles dégradés ne sont plus entretenus, comme certaines écoles. Une récente actualité vient de nous le rappeler. Au fil des chapitres, l'auteur passe en revue, avec justesse et clarté, les morts et la violence, la drogue, le clientélisme, la faillite des politiciens de droite et de gauche, l'éternel Jean-Claude Gaudin, la corruption immobilière, les trafics d'armes et de drogues, tout cela ouvrant un large boulevard au Front National. Sans oublier un beau portrait d'un jeune, Kader... déjà mort.

 

L'auteur de French deconnection (Robert Laffont 2014) passe au scanner une partie sombre de Marseille où seuls les ghettos se portent bien. Une enquête magistrale, un livre qui ne peut laisser personne indifférent dans la lignée du Gomorra de Saviano. Ce n'est pas peu dire.

 

Dan29000

 

La fabrique du monstre

Philippe Pujol

Prix Albert Londres 2014

Éditions Les Arènes

2016 / 320 p / 20 euros

 

Le site de l'éditeur

 

Entretien avec l'auteur : 28' sur arte

 

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Philippe Pujol sera présent à la Fnac de Fribourg Centre de 10h30 à 13h00, avant de rejoinder la Fnac Rive à Genève de 15h30 à 18h00.samedi 05 mars

 

 

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