La santé à Madrid : lobbies, privatisation et corruption

29 février par Cathy Boirac , Daniel Rodríguez Lombardero , Vicente Losada

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Pablo Neustadt

 

 

Les secrets de la gestion publique de la santé de Madrid

 

Saviez-vous qu’en Espagne, la Communauté de Madrid a payé pendant deux ans 900 000 euros par mois (!) pour le maintien d’un hôpital vide (jusqu’à son ouverture en octobre 2014) à Villalba (Madrid), attribué à l’IDC Salud (holding privé de gestion hospitalière, anciennement « Capio ») ? Ou qu’elle verse environ 370 millions d’euros annuellement à des entreprises privées qui construisent et gèrent, partiellement ou dans leur intégralité, les hôpitaux de Arganda, Coslada, Majadahonda, Móstoles, Aranjuez, Parla, San Sebastián de los Reyes, Valdemoro, Vallecas, Villalba et Torrejon ? La Communauté de Madrid paye cela aujourd’hui et continuera à le payer pendant les trente prochaines années.

Saviez-vous que le ministère de la Santé de Madrid a signé un contrat avec l’Association espagnole contre le cancer (Asociación Española contra el Cáncer) pour le dépistage par mammographie de la détection précoce du cancer du sein pour un montant de 11 363 038 euros (2012-2016), alors que ces mammographies pourraient être effectuées dans des hôpitaux publics ? Ou qu’un contrat de 4 ans (2014-2018), avec une prévision de dépenses de plus de 80 millions d’euros, a été signé avec 20 entreprises privées pour effectuer des opérations chirurgicales qui pourraient (devraient) être faites dans un hôpital public ?

Ce sont là quelques exemples de la dette contractée par le gouvernement de la Communauté de Madrid. Ces dépenses, plutôt que de servir l’intérêt de tous les citoyens, bénéficient surtout à quelques entreprises privées, alors même que tous ces services pourraient (devraient) être entrepris par la santé publique.

L’audit citoyen de la dette de la santé de Madrid
Face à cette situation, nous avons formé un groupe de citoyens de différents horizons (des professionnels de la santé aux économistes, en passant par des journalistes, professeurs, employés dans divers secteurs, retraités ou actifs, ou simplement des individus impliqués dans divers mouvements sociaux) dans le but d’entreprendre un audit citoyen de la dette de la santé de Madrid.

Notre objectif est de faire une analyse des éventuels accords existants entre le pouvoir politique et les élites économiques, de quantifier la dette de la communauté de Madrid, d’analyser quelle partie de cette dette correspond au ministère de la Santé et enfin d’identifier la part de dette illégitime pour pouvoir revendiquer le refus de son paiement.

Comment ? Avec la compilation de sources publiques officielles, en exigeant non seulement des détails du pouvoir politique (Congrès, Sénat, Assemblée de Madrid, Communauté de Madrid, etc.), mais aussi les contrats attribués par le ministère de la Santé de Madrid et les documents relatifs aux entreprises signataires de ces contrats.
Ensuite, en analysant toutes ces informations.

Aujourd’hui, nous présentons le résultat de ce travail d’audit de la santé de Madrid dans un rapport qui se concentre sur les marchés publics au cours de l’année 2014. Le plus difficile ayant été de trouver l’information, nous avons résumé ce document. Les conclusions parlent d’elles-mêmes :

1. De plus en plus de ressources financières provenant du secteur de la santé publique aboutit dans les poches du secteur privé.

2. En 2014, un euro sur deux des dépenses est attribué aux entreprises liées aux lobbies sanitaires, les plus importants étant Farmaindustria, la Fundación Instituto para el Desarrollo e Integración de la Sanidad (IDIS), SEDISA, la Federación Española de Empresas de Tecnología Sanitaria (FENIN), le Club Gertech et le Foro PPP. Ce pourcentage augmente jusqu’à trois euros sur quatre dans le cas de contrats de fourniture de produits pharmaceutiques et de matériel médical et chirurgical.

3. Ces lobbies qui, dans l’État espagnol ne sont pas réglementés ou contrôlés, essaient sans relâche d’augmenter leur puissance. Par exemple, IDIS a demandé que l’on « protège via un pacte » le partenariat public-privé dans le secteur de la santé, ou encore l’accord avec Farmaindustria qui garantit les dépenses pharmaceutiques en les reliant à la croissance du PIB.

4. Entre 10 % et 25 % des dépenses sanitaires dans les marchés publics sont dues aux surcoûts de la corruption, selon une étude réalisée par la Commission européenne sur le secteur européen de la santé. Selon ce critère, dans le cas du ministère de la Santé de Madrid en 2014, les surcoûts en raison de possibles pratiques de corruption seraient compris entre 56 et 140 millions d’euros.

5. En 2014, le ministère de la Santé de Madrid a conclu un total de 1 414 contrats avec des entreprises privées, équivalant à la somme de 562 millions d’euros. Mais ce n’est pas tout : il existe de multiples postes n’apparaissant pas dans les budgets qui sont également versés au secteur privé.

6. Les dépenses totales de santé de la CSCM réalisées avec l’aide de fonds étrangers s’élèvent à 2,9 milliards d’euros, soit 41,52 % du budget initial du ministère de la Santé de Madrid pour l’année 2014.

7. La Communauté de Madrid n’a pas fait usage de 500 millions d’euros de son budget sanitaire de 2014. D’autre part, le secteur privé a reçu plus de 60 % de l’augmentation des dépenses, ce qui pourrait être considéré comme un exemple de plus de la mauvaise gestion, laquelle bénéficie aux entreprises privées au détriment des citoyens.

8. L’opacité est de rigueur dans tous ces engagements, détournement de fonds publics et mauvaise gestion.
Ce rapport est conçu comme une première étape dans le processus de l’Audit citoyen de la dette publique en matière de santé pour la détailler, la rendre visible et, le cas échéant, ne pas la payer et la transférer vers les responsables politiques impliqués. Sans un audit citoyen il n’y a ni contrôle ni bonne gouvernance. Il n’y a pas de véritable démocratie sans participation citoyenne.

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Cathy Boirac, Daniel Rodríguez Lombardero et Vicente Losada sont membres de l’Audit citoyen de la dette en matière de santé à Madrid.
Cet article a été publié sur le blog Viviendo en deudocracia le 26 novembre 2015 : http://blogs.publico.es/viviendo-en...
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Cet article a été traduit depuis l’espagnol par Macarena Torres, traduction révisée par Joëlle Saey.

 

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Vicente Losada

 

SOURCE / CADTM

Tag(s) : #actualités
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