Calais et les réfugiés: le quadruple échec du gouvernement
La situation à Calais est la conséquence de l’afflux des réfugiés et du blocage de la frontière britannique, mais aussi le résultat de la politique mise en place par le gouvernement depuis les débuts du Ministère Cazeneuve. L’échec est flagrant, et il est quadruple : humanitaire, sécuritaire, politique et moral. Au final, les objectifs que s’était assignés le gouvernement n’ont pas été atteints.
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L’échec humanitaire

Le couple Hollande-Cazeneuve annonçait en 2014 une politique « d’humanité et de fermeté ». A Calais, l’infléchissement était net : là où leurs prédécesseurs, Sarkozy-Besson et Hollande-Valls, ne mettaient en œuvre qu’expulsions sur expulsions, Cazeneuve ouvrait successivement, en janvier 2015 le centre Jules Ferry, avec un accueil de jour pour les hommes, et une maison des femmes et des enfants, et début 2016 le Centre d’Accueil Provisoire, c’est-à-dire le camp de conteneurs. Le tout était financé en grande partie par l’argent de l’Union Européenne et de la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, ces deux outils ne répondent sur le plan quantitatif qu’à une partie des besoins, pour une partie de la population des réfugiés. En effet, aujourd’hui plus de 6 000 hommes, femmes et enfants végètent sur « la jungle ». Les 1 500 places en conteneurs sont occupées, et le centre Jules Ferry abrite environ 200 femmes et enfants. Plus de 4 000 personnes vivent donc, dans des abris en bois construits par les humanitaires et les réfugiés, dans des caravanes apportées par des donateurs ou, pour 1 300 d’entre eux et elles, sous des tentes. A l’exception des premiers points d’eau, de toilettes en nombre insuffisant et d’un éclairage public très partiel, l’état n’a mis en place un enlèvement des déchets et des points d’eau supplémentaires que sous la pression de la justice, sollicitée notamment par le Secours Catholique. Le camp est boueux, exposé aux vents, envahi de rats. L’eau de pluie s’évacue très mal sur cet espace plat et pratiquement au niveau de la mer. La fourniture en vêtements, tentes, produits d’hygiène, et la majorité des besoins alimentaires, sont assurés par des associations nationales et locales et les citoyens du cru. L’hôpital de Calais et la PASS (Permanence d’accès aux soins) sont saturés, et les soins courants et post-hospitaliers ne sont fournis que grâce à Médecins Sans Frontières et Médecins du Monde. Il en est de même pour l’accompagnement psychologique, rendu nécessaire par le stress vécu hier et aujourd’hui, qui n’est pas assuré. Ces dernières semaines, la situation s’est aggravée, du fait de la baisse des dons : les médias ont déserté Calais, l’opinion publique a oublié le camp et une partie de la précieuse aide des citoyens britanniques se dirige maintenant vers les îles grecques, la Jordanie ou le Liban. Le camp est une poudrière, où le moindre conflit interpersonnel peut dégénérer en bagarre générale, avec des incendies et du pillage, comme on l’a vu le 26 mai dernier. L’état psychologique des réfugiés est préoccupant, du fait de la difficulté du passage en Angleterre, des mauvaises conditions de vie, de la pénurie et de la concurrence qui en découle, des violences policières et des tensions internes au camp, mais aussi de l’inactivité forcée durant les longs mois passés à Calais. A l’exception de Grande-Synthe, la situation humanitaire est encore plus déplorable dans les autres camps de la région, qui regroupent environ un millier de personnes.

L’échec sécuritaire

En parallèle de la mise en place de cette insuffisante politique humanitaire, le gouvernement augmentait considérablement la présence des forces de l’ordre, gendarmerie, police et C.R.S., au nombre de 1 300 depuis l’automne dernier. S’y ajoutent les centaines de contrôleurs, vigiles et maîtres-chiens financés par les opérateurs du port et du tunnel. Autour des installations du port et du tunnel, le long des autoroutes, des murailles de grillages, surmontées de barbelés, surveillées par des centaines de caméras, et bientôt des drones, tentent de bloquer les candidats au passage. De grandes surfaces de bois et de broussailles ont été rasées pour améliorer la visibilité autour des accès au port et au tunnel, et des fossés inondés pour bloquer la traversée de ces espaces. Les faits les plus récents sont inquiétants. La violence policière s’est considérablement accrue, d’après les témoignages, avec l’usage de flash-balls, provoquant des blessures au visage et au buste, de grenades de désencerclement, l’emploi massif de gaz lacrymogènes, ainsi que de canons à eau très puissants. A mesure que les défenses étaient renforcées, les tarifs des passeurs augmentaient. Il faut aujourd’hui de 5 000 à 8 000 € par personne, et jusqu’à 14 000 €, pour passer. Les réfugiés ne disposant pas de ces sommes prennent des risques considérables pour bloquer l’autoroute, se faufiler dans ou sous les camions. Il y a eu plus d’une vingtaine de morts depuis un an. Et malgré les moyens déployés, le désordre règne. Tous les soirs, les plus résolus des réfugiés, les jeunes en particulier, tentent de stopper les camions. Sur le camp même, la police n’est présente qu’en patrouilles de Robocops, et le bidonville est sujet à des trafics de toute sorte, et à des bagarres fréquentes. En détruisant le camp sur une bande de 100 m de large, pour sécuriser l’autoroute et la route de Gravelines, puis en démolissant la partie sud du bidonville, en mars dernier, le gouvernement n’a fait que déplacer les réfugiés vers la partie nord, augmentant l’entassement, mélangeant les communautés qui avaient réussi jusqu’alors à se partager le territoire. Les pouvoirs économiques locaux et la Maire de Calais, qui avaient cru résoudre leurs problèmes en chassant les réfugiés hors de la ville, constatent l’échec de cette politique et demandent à grands cris le démantèlement de la partie nord, seule subsistante, preuve s’il en fallait que la politique de sécurisation n’a pas réussi.

L’échec politique

L’Europe n’a plus de politique cohérente d’accueil des réfugiés, c’est désormais l’évidence même, avec le refus des quotas par plusieurs états-membres, l’échec de la relocalisation, l’inhumanité et l’inefficacité de l’accord avec la Turquie, sur une toile de fond où s’imprime la montée de la xénophobie, du racisme, du repli sur soi, du nationalisme. Dans ce tableau sombre, la France « des Droits de l’Homme » aurait pu montrer l’exemple et mettre en œuvre une politique plus ouverte. Hollande a sans doute manqué une occasion historique en ne soutenant pas Angela Merkel quand elle a pris le risque d’ouvrir plus largement son pays aux réfugiés. La France a gardé une approche négative de l’arrivée des réfugiés, présentant leur accueil comme un problème, et non pas un devoir et une chance. Le refoulement des réfugiés à Vintimille, vers l’Italie, est ridicule, honteux et inefficace. Valls a même osé critiquer l’Allemagne, et affirmé que la France ne pouvait pas accueillir plus de réfugiés. Aujourd’hui, les dispositifs de traitement des demandes d’asile sont saturés : longs délais d’attente pour enregistrer les demandes d’asile et y répondre, manque de places pour les demandeurs d’asile, manque de personnel pour accompagner juridiquement ces demandes. Les « centres de répit », qualifiés maintenant de Centres d’Accueil et d’Orientation, ouverts à partir de septembre 2015 pour éloigner les réfugiés de Calais sont pleins. La seule voie offerte aux réfugiés de Calais, puisque « on ne passe plus » vers la Grande-Bretagne, est l’incitation à la demande d’asile, alors que ce dispositif fonctionne très mal. Le taux d’acceptation final (23 % en 2015) est trop bas et fabrique des sans-papiers par dizaines de milliers. Il est même plus bas pour les Soudanais, qui sont la majorité des demandeurs d’asile « calaisiens ». Au final, la politique française mécontente les anti-migrants, car elle ne semble pas assez efficace pour contenir l’afflux des réfugiés, et mécontente aussi les partisans d’un accueil plus généreux, appuyé sur l’engagement citoyen. Hollande et Cazeneuve utilisent les données sur les demandes d’asile, pour montrer, selon les circonstances, que la France est accueillante, ou pour prouver qu’elle résiste à l’invasion ! Au total, ils veulent faire croire qu’ils maîtrisent la situation, mais en réalité ils ne maîtrisent rien et pilotent à vue.

L’échec moral

En avril 2015, en poussant les réfugiés, sous la pression de la Maire de Calais, vers ce qui allait devenir le plus grand et le pire des bidonvilles de l’Europe de l’Ouest, le gouvernement s’engageait vers une succession de fautes morales. Le mensonge est la plus évidente. Cazeneuve ment sur les effectifs de réfugiés, pour minimiser le problème quand c’est nécessaire, ment sur le comportement des forces de police, sur la situation sanitaire du camp. Il parlait de « mise à l’abri » quand il ordonnait la destruction de la partie nord du bidonville, alors que le nombre de places proposées était très inférieur au nombre de personnes expulsées. Il affirme « qu’on ne passe plus » alors qu’il sait que chaque nuit des réfugiés passent, en payant cher et en risquant leur vie. Il annonce des chiffres délirants sur le démantèlement des réseaux de passeurs alors que les seuls condamnés sont, presque toujours, les « petites mains » des réseaux, aussitôt remplacées après leur arrestation. Les courroies de transmission locales de Cazeneuve mentent aussi : le sous-préfet de Dunkerque, par exemple, affirmait, il y a peu, que 99% des demandeurs d’asile obtenaient la protection de la France ! Faute morale aussi vis-à-vis des citoyens engagés dans l’aide aux réfugiés : le travail des associations locales et O.N.G. est ignoré, quand il n’est pas méprisé. La préfète du Pas de Calais déclarait il y a quelques mois que les bénévoles étaient « bien stupides de préparer et distribuer des repas aux migrants » puisque le centre Jules Ferry le faisait, et que ces repas étaient préparés par des diététiciens… Pire, les bénévoles sont diabolisés, assimilés à des activistes dangereux, parfois arrêtés, placés en détention provisoire. Quand la justice, faute de preuves, les libère, Hollande envoie son ministre de la Justice inviter les juges à plus de fermeté vis-à-vis des « No Border ». Cazeneuve ment à nouveau quand il affirme que les incidents sur l’autoroute portuaire sont encouragés, voire dirigés, per ces activistes.

Comment qualifier de plus le non-respect des lois par le gouvernement, sinon, au minimum, de faute morale ? Le gouvernement s’est assis et s’assoit encore, à Calais, au minimum, sur douze lois ou réglementations françaises. La plus grave entorse est la non –scolarisation des enfants de moins de 16 ans, pourtant obligatoire quel que soit le statut des parents. La moindre est l’installation des réfugiés dans une zone Seveso… Plus globalement, le gouvernement ne respecte pas les règles internationales et européennes en matière d’accueil des réfugiés et de protection des personnes vulnérables. Il serait trop long d’établir la liste de ces infractions au droit, soulignées depuis des mois par des organisations ou institutions aussi extrémistes que la C.N.D.H., le Défenseur des Droits, le H.C.R., la CIMADE, le Secours Catholique ou Amnesty International… Le lecteur est renvoyé vers ces rapports aussi nombreux que sans suite réelle, puisqu’ignorés par les politiques au pouvoir.

En un peu plus d’une année, le gouvernement Valls-Cazeneuve a donc failli à ses propres objectifs : maîtriser la situation migratoire et vider l’abcès calaisien. Il a donné beaucoup moins que le minimum en termes de protection des réfugiés. Il n’a pas réussi à ramener le calme et l’ordre à Calais. Il a constamment piloté à vue et continue de le faire. Il a perdu son âme, ou du moins ce qu’il semblait avoir en âme, en cumulant les fautes morales. Ce quadruple échec va apparaître de plus en plus évident dans les mois à venir.

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SOURCE/MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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