Bretagne à Grande Vitesse

par Sud Rail BZH


 

 


Il y aurait une quasi unanimité autour du projet de Bretagne à Grande Vitesse paré de toutes les vertus. A ce point caricatural que tout à leur euphorie, les décideurs n’ont pas même été effleurés par l’idée qu’un débat citoyen pouvait s’instaurer autour d’un projet qui sera pourtant un marqueur fort pour l’avenir régional. Il y aurait l’évidence que ce projet ne pourrait être que progrès partagés par tous, gage d’aménagement du territoire à travers le désenclavement d’une région trop excentrée, de développement économique de fait ; tout cela en respectant au mieux les préoccupations environnementales à travers l’image écologique du train. Vision un peu béate du progrès par la technologie issue du logiciel de pensée typique du 20ème siècle, ce qui ne signifie en rien qu’il soit valide pour le 21ème.

 

 


Les oppositions où interrogations sont demeurées faibles où assez inaudibles. Il y a bien sûr eu les traditionnelles réticences liées aux expropriations et nuisances liées à un tel projet. Souvent légitimes mais parfois mues suivant le seul principe du « not in my backyard », ces expressions là ne recouvrent qu’un champ limité de la problématique. A contrario, certaines voix, en particulier issues de la mouvance écologiste associative ou politique ont examiné le projet sur un spectre plus large, à travers le prisme non seulement environnemental mais aussi sociétal (restructuration probable du territoire et impact social et économique prévisible).

Le TGV, pour quel aménagement du territoire ?

Il y a comme une crispation sur l’objectif de ramener Brest et Quimper à 3heures... de Paris. Les plus affirmés défenseurs de la très grande vitesse, fusse au prix de l’effacement des territoires intermédiaires sont évidemment les CSP+. Le TGV, même s’il ne peut être taxé de mode de transport élitiste, n’est l’outil courant que d’une minorité ; mais d’une minorité qui compte et sait se faire entendre. La grande majorité de la population n’est que dans une utilisation occasionnelle où le facteur temps pèse moins par rapport au ratio coût /praticité. Il semble pourtant que le seul compteur temps qui vaille encore dans un pays ultra centralisé comme le nôtre reste celui très contestable de la proximité avec la capitale. On pourrait s’offusquer qu’avec la BGV en 2016, Rennes sera plus prêt de Paris que de Brest et Quimper. Et la question à poser est alors : le TGV outil d’aménagement ou d’accentuation du déséquilibre entre les différents territoires bretons ? Rennes à 1H27 de Paris pourquoi faire ? Certains géographes ont démontré que la grande métropole est l’expression spatiale de la civilisation capitalistique. Développées au 19ème siècle, les grandes villes se sont mises en situation de carrefour. Et aussi que la concentration croissante des activités autour des métropoles de niveau européen se fait au détriment des villes moyennes. Or la Bretagne à cette caractéristique et cette chance de posséder un réseau de villes moyennes sinon réellement attractives, mais du moins offrant un tel maillage sur tout son pourtour que ce réseau a largement contribué à empêcher la désertification de pans entiers de son territoire. Le centre Bretagne plus satellisé ne rentre pas il est vrai pas dans ce schéma.

On voit donc que Rennes veut s’affirmer en métropole à l’échelon européen en occultant un peu au passage qu’elle est avant tout une capitale régionale et donc qu’elle doit aussi se tourner vers l’arrière pays. Pour autant a t’elle les moyens et la taille critique de ses envies ? Probablement non comparativement à Nantes qui n’y suffit à peine. Or si le TGV constitue un outil certains de développement, il ne suffit pas à lui seul à le garantir Il constitue surtout une valeur ajoutée à d’autres potentialités intrinsèques aux cités desservies. Donc ce n’est pas parce que Rennes sera 1h27 de Paris qu’elle deviendra une métropole industrielle et commerciale de niveau européen. Si un tel statut est un objectif, il vaudrait mieux chercher la solution dans le maillage jouant sur les collaborations en vue de complémentarité des grandes villes régionales de proximité (Brest Nantes- Angers..).

Par ailleurs la fuite des cerveaux Rennais vers la capitale est aussi possible, de même que dans le mouvement inverse des CSP+ Parisiens choisissent Rennes et ses environs comme banlieue dortoir de qualité, flambée immobilière garantie à la clé.

Pour Brest et Quimper, une carte « anamorphosée » de l’hexagone ferroviaire font apparaître le handicap puisque le point de référence reste encore et toujours Paris, d’où l’obsession des 3heures... mais c’est courir après des chimères que de penser son point de salut dans cette objectif. C’est oublier que le coeur de l’europe est bien plus à droite et s’excentre encore vers la mitteleuropa. Que la LGV Rhin Rhône parfaitement justifié concoure à cette accentuation ; Et c’est occulter que ce cœur est en grande partie irriguée par Anvers où Rotterdam...et que la Bretagne est un avant tout un pays maritime, dans un pays dont l’état n’a aucune politique et ambition dans ce domaine, hormis celui d’annexer le Havre dans le projet du grand Paris ! Et pourtant la mondialisation des échanges, sous la pression de la raréfaction énergétique soutiendra d’évidence le commerce maritime.

Il y a lieu d’envisager l’impact de la BGV sous les aspects suivants :

 nouveau paradigme de la raréfaction des ressources énergétiques, des objectifs de réductions de CO2, de report modal de la route et l’aérien vers le ferroviaire et le maritime.

 anticipation de l’inévitable crise des ressources vers une relocalisation de certains secteurs d’activité, la structuration des circuits courts, de l’agriculture péri-urbaine.

 d’une rupture dans les déséquilibres des territoires bretons.(pression foncière, déséquilibre armor/argoat, harmonisation territoriale des activités primaires secondaires et tertiaires)

Environnement/ ressources

Le projet de BGV a été pensé au XX ème siècle, à un moment où l’on occultait encore la raréfaction rapide des ressources fossiles qui fond de notre société un colosse aux pieds d’argile. Agriculture, pêche, productions industrielles, transport, tourisme, usage domestique, toutes les activités affichent une dépendance majeure à l’énergie abondante et bon marché. La Bretagne, région péninsulaire, excentrée, vaste, sans production énergétique propre, hyper dépendante de la route dans les échanges avec l’extérieur comme dans les flux intérieurs, peut être à priori des plus fragiles face à la crise énergétique à venir si l’on n’anticipe pas le changement civilisationnel qu’il suppose.

Le Pic de Hubert des ressources pétrolières mondiales a été déjà atteint (2006/2009 ?). Or la demande est croissante de la part des pays en développement et autres pays émergents. Il y a donc bien une crise majeure des ressources à venir. Il n’existe pas d’alternative d’énergie à la fois abondante, bon marché et non émettrice de CO2 : schistes bitumeux/ gaz de schistes/ trop polluants, voitures électriques dépendants de matériaux trop rares pour l’exploitation de masse, production nucléaire polluante menaçante et menacée. Il n’y aura pas de croissances infinies dans un monde fini. Tout contribue à terme a freiner les consommations et les mobilités par la contrainte.

La question de la BGV peut donc, sous cet aspect, faire l’objet de 2 lectures bien différentes :

Celle d’un report modal positif, car écolo- compatible, du plus polluant vers le moins polluant (auto et avion vers le train). Mais à contrario on peut aussi dire qu’en contribuant à entretenir l’illusion d’un accroissement sans fin de la mobilité et de la vitesse, la BGV contribue au gaspillage énergétique et qu’il s’agit alors d’une opération de « greenwashing »

Enfin, le surenchérissement énergétique proche n’impactera pas tout le monde de la même façon. Soulignons que si le déplacement « choisi » est l’apanage des catégories sociales plus aisées, le déplacement « subi » concerne avant tout les salariés modestes en particulier ceux éloignés de leur lieu de travail.

Équilibre des territoires

Le nouveau paradigme énergétique devrait être l’occasion de repenser les liens et l’équilibre des différents territoires bretons. Et donc d’anticiper les incidences et mesures d’accompagnement nécessaires à l’ouverture de la BGV.

Comment s’assurer que l’axe Rennes/Nantes ne trace la ligne de démarcation de l’attractivité économique reléguant l’hinterland à l’agriculture et la côte au tourisme.

Le réseau des petites et moyennes villes Bretonnes, assez unique en France, constitue un patrimoine collectif majeur pour un développement alternatif au modèle tendance de l’hypermétropolisation. La grande métropole est énergivore et ne constitue pas l’échelle pertinente à même d’assurer un développement raisonné dont un élément est la mobilité douce. La grande métropole, dans un mouvement de « centrifugation par l’argent » chasse les plus modestes du centre.

Les plus pauvres échouent dans les banlieux de 1ère et 2ème couronnes, les travailleurs modestes se satellisent en néo-ruraux d’autant plus éloignés du centre ville qu’ils gagnent peu et s’enferment dans un système permanent de navettes coûteuses en tout point. La grande métropole a aussi cette particularité de construction concentrique d’une ou plusieurs couronnes commerciales et artisanales disgracieuses aux périphériques routiers saturés.

Le territoire Breton a aussi cette particularité handicapante d’un modèle de logement où le pavillonnaire est très dominant. C’est ce modèle qui crée le plus de dépendances à la route et réclame toujours plus d’infrastructures coûteuses. Le mitage du territoire, la disparition d’énormes surfaces de terres agricoles chaque année doivent être impérativement freinés pour garantir le développement d’une agriculture péri-urbaine répondant aux besoins des circuits courts .

Une trop forte prédominance du tourisme (avec le TGV) qui accentuerait le modèle pavillonnaire programme une destruction du littoral, donc de son attrait. Par ailleurs la pression foncière continuera à chasser les « locaux » travailleurs pauvres, vers l’intérieur des terres et accentuera le modèle des villes fantômes du littoral actives 2 mois par an. Rappelons enfin que la dynamique du bâtiment est brève et que le modèle touristique, ultra saisonnier et réquerrant une main d’œuvre peu qualifiée (quand les jeunes bretons sont très qualifiés), ne peuvent justifier le sacrifice programmé du littoral breton.

Le TGV ne doit pas contribuer à l’hyper polarisation et l’effacement où dévitalisation des territoires intermédiaires. Il faut préserver le maillage des villes moyennes. La ville moyenne si elle offre la proximité entre logements/emplois/commerces et services, et pour peu que soit réhabilité le petit habitat collectif, constitue l’échelon d’avenir.

*Le TGV ne doit pas concourir à appauvrir les dessertes des villes moyennes bretonnes. Il faut au contraire prioriser les échanges régionaux internes qui servent la plus grande masse des citoyens bretons (travailleurs, étudiants, élèves, précaires..). Le développement du trafic TER doit rester la priorité incontournable des collectivités territoriales.

*Il faut diversifier les débouchés de la pointe Bretonne et à ce titre renforcer aussi les dessertes ferroviaires directes sur l’axe Nantes-Brest via Quimper.

*Le barreau Sud de Paris, goulet d’étranglement ferroviaire constituant un obstacle à la fluidité vers l’Est doit être une priorité nationale d’aménagement. *La construction d’une liaison ferroviaire Nantes/Rennes digne de ce nom doit être prioritairement mise à l’étude, indépendamment du projet d’aéroport Notre Dame des Landes (projet inutile et sans avenir durable)

Aspects ferroviaires

Financement de la BGV :

Nous dénonçons le désengagement de l’état sur un sujet dépendant strictement de l’aménagement du territoire. Nous dénonçons le détournement des finances des collectivités territoriales dans un domaine dont le financement relève de l’Etat. Nous dénonçons la mise en place du Partenariat/Public/Privé (PPP). Pourquoi ? La France est à présent saturée d’infrastructures ; saturée de béton routier, autoroutier ,de rond points, d’ouvrages d’art ! Les perspectives en ce sens n’ont plus rien à voir avec ce que l’on a vécu depuis les 30 glorieuses. Tout concourt à interpréter la mise en place de P.P.P. comme une manœuvre pour fournir des rentes de subsistances de long terme aux oligarchies des géants du B.T.P. Nous dénonçons le transfert d’emplois à caractère public de l’entretien du réseau ferré (personnel SNCF) au profit du privé. Cela pose aussi pour nous la question de la garantie du maintien d’un haut niveau de sécurité. L’exemple anglais devrait pourtant être dissuasif en ce domaine. Par ailleurs nous sommes favorable à la réintégration de RFF au sein de la SNCF. Seul un grand service public ferroviaire, sous contrôle des élus, peut permettre de contourner les difficultés des actuels empilements administratif et répondre aux enjeux du report modal indispensable à l’avenir.

Coût des péages et rentabilité de la BGV :

RFF, c’est actuellement 28 milliards d’Euro de dettes générant 1,2 milliards de remboursement. L’évolution des péages demandés par RFF à la SNCF, c’est (0,92 milliard en 1997 à 3 ;25 milliards en 2011). La SNCF estime qu’on arrive au limite de la rentabilité du TGV avec de tels péages. Le peu d’empressement d’autres opérateurs à faire des demandes de sillons malgré l’ouverture du marché en 2010 sur les trafics transfrontaliers semble confirmer ces faits. Sur la ligne Paris Courtalain la capacité de passage des trains est actuellement de 13TGV/sens/heure, celle-ci pourrait passer à 15/16 avec ERTMS. Sur cet axe circule, outre tous les TGV vers la Bretagne et les Pays de la Loire, tous ceux du Sud Ouest ainsi que ceux assurant les interconnexions entre l’Atlantique, le Nord l’Est et le Sud EST. On peut en conclure que comparativement, en terme d’utilisation d’infrastructure, la BGV, a fortiori passé, la virgule de Sablé, sera « surdimensionnée » ou plutôt sous utilisée. Quid de l’incidence sur les péages ? RFF présente un tableau d’évolution des recettes peu explicite. Faute de précisions, pour nous le risque est grand de voir une inflation des tarifs sur les TGV du fait des coûts des péages. Les Bretons pourraient bien être pénalisés par 2 fois : comme contribuables puisque les collectivités territoriales mettent à la poche, et comme usagers car les prix du TGV vont certainement augmenter. La ligne classique « libérée » du passage des TGV verra son coût « patrimonial » d’entretien augmentée puisque moins contributrice, donc quelle influence sur les péages restants ? (Sauf réactivation du Fret et créations TER)

La vrai priorité, c’est le Fret :

La mise en place de la BGV n’est pas abordée sous l’aspect de la complémentarité avec le nécessaire développement du fret ferroviaire. S’il est est évident que la « capillarité » dans la desserte des territoires ne peut se passer du trafic routier, la prééminence de celui-ci doit être stoppée. En Bretagne 98,5% du fret transite par la route. Le lobby routier continue d’agir efficacement en ayant obtenu le passage aux 44 Tonnes, (il viserait les 60 Tonnes). Les coûts externes (accidents, pollution atmosphérique et maladies induites, bruit, impact sur le changement climatique, congestion des axes de circulations, etc...) sont ignorés bien qu’à la charge de la collectivité. Le coût externe du Fret routier est estimé entre 3 et 4 fois supérieur à celui du Fret ferroviaire en équivalence Tonnes/Kilomètres. Un camion de 40 tonnes est 180 fois plus dégradateur qu’un 7,5 tonnes. Pour 2010 le volume de trafic marchandises transportées par fer (SNCF +entreprises privées) était seulement de 22 GTkms contre 55GTkms réalisé par la SNCF seule en 2000. La privatisation présentée comme le miracle qui allait rebooster l’activité n’a eu pour effet que de capter quelques trafics de l’opérateur historique, et encore en cassant parfois les prix et exploitant à perte (comme ECR, faux nez de Deutsche Bahn visant avant tout à pénétrer le marché et qui affiche des pertes). La mise en place de la BGV doit permettre de revaloriser l’usage de la ligne classique pour le fret.

Sans politique publique volontariste, que restera-t’il du Fret ferroviaire au moment où un report modal s’avèrera incontournable. Actuellement le triage de la Plaine de Baud est sous utilisée. Le projet de plateforme de ferroutage de Châteaugiron a échoué malgré son intérêt certain.

*Il faut une étude prospective sur la réalisation d’un schéma directeur régional inter modal des transports de fret. Il doit y être évalué tout les besoins et potentiels régionaux et dans une complémentarité modale des : -Cabotage maritime-Fret ferroviaire -Fret routier *Il faut engager une étude sur un maillage territorial pertinent de plateformes de ferroutage en complémentarité des trafics portuaires. *Il faut recenser et évaluer toutes les emprises et installations ferroviaires pouvant être utilisées où revitalisées. *Il faut œuvrer à la création où raccordement du réseau breton aux autoroutes ferroviaires déjà existantes.


En conclusion la BGV nous semble un projet inadapté aux enjeux à venir, coûteux, superflu, marquant le désengagement de l’état, la privatisation d’un bien public et la captation des financements des collectivités territoriales pour le seul profit d’une minorité. Il faut prioriser un trafic TER irriguant tout le territoire Breton. Il faut répondre aux enjeux sociétaux de la raréfaction énergétique et de lutte contre le CO2 par une reconversion des transports de marchandises, seul moyen de réduire l’impact de cette problématique sur les populations.

Tag(s) : #environnement
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