« Les malheurs économiques de l’Irlande du Nord stimulent les groupes terroristes »

source : Financial Times du 23 février 2011.


L’état précaire de l’économie nord-irlandaise joue le rôle de sergent-recruteur pour les groupes républicains dissidents, tel est l’avertissement donné par de hauts gradés de la police et des services de police, qui ont soulevé des questions au sujet du rythme des coupes budgétaires dans la province.

L’exécutif mixte de la province a reçu la mission d’économiser 1,6 milliards de £ pendant une période de 4 ans, alors que le premier ministre David Cameron a expliqué qu’il voulait réduire la très grande dépendance de la province envers les emplois du secteur public. Cependant, certains de ceux qui sont impliqués dans les services de sécurité de l’Irlande du Nord ont affirmé au Financial Times que le Royaume-Uni en tant que coalition ne devait pas perdre de vue la possibilité que le déclin économique soit un des facteurs de la récente montée en flèche de l’activité terroriste.

Un haut fonctionnaire de la police explique ainsi : « Le gouvernement doit envisager soigneusement les conséquences d’un désinvestissement trop précoce. Il est bel et bon de parler de création d’emplois dans le secteur privé, c’est l’évidence-même, mais se contenter d’en parler n’arrêtera pas ces salopards. »

De son côté, le ministre du développement social pour l’Irlande du Nord Alex Attwood a affirmé qu’il était « essentiel » de protéger les fonds destinés aux groupes communautaires qui travaillent dans des zones qui sont hors d’atteinte des agences gouvernementales.

Un officiel des services de sécurité a constaté que « le facteur économique jouait clairement dans le recrutement dissident, bien que la racine de la menace réside dans la colère contre la domination politique. »

La crise financière à Dublin stimule elle aussi le recrutement dans le Sud. « Les conditions étaient déjà là, dit le fonctionnaire, mais s’est ajoutée la récession au Nord et au Sud de la frontière, et nous voyons davantage de jeunes qui veulent s’engager. » Pour autant, certains ministres du Royaume-Uni mettent en avant le fait que les coupes budgétaires dans la province sont bien moins fortes que dans d’autres départements, et des économistes précisent que les dépenses publiques élevées pendant les Troubles ont eu peu d’impact sur l’IRA.

Toujours est-il que Londres a prévu une enveloppe supplémentaire de 200 millions de £ pour aider la police d’Irlande du Nord à combattre les dissidents, en ces temps de chômage douloureux. Environ 21% des jeunes de moins de 25 ans sont sans travail. Il y a eu 39 attaques ou tentatives d’attaques en 2010, contre 22 en 2009.

La récession met le feu à la paix en Irlande du Nord

Une grande plaque de tôle recouvre l’endroit où un projectile de l’IRA s’est encastré sous le toit de l’épicerie de Dicky Magill, dans le quartier durement affecté de Kilwilkie, à Lurgan dans le comté d’Armagh. « Dans les années 1970, c’était la folie par ici » dit Martin Casey, qui habite dans les environs. « Il y avait des fusillades tout le temps. »

Des hauts gradés des services de sécurité se préoccupent du fait que l’activité paramilitaire pourrait remonter en flèche dans cette période de coupes budgétaires et de récession économique. Ils craignent que des jeunes chômeurs ne tombent dans les bras des groupes militants dissidents qui se sont séparés du corps principal de l’IRA, protestant contre la stratégie de paix pousuivie par Gerry Adams, président de Sinn Féin, et Martin McGuinness, l’ancien chef de l’IRA qui est maintenant député premier-ministre de l’exécutif mixte d’Irlande du Nord.

« Evidemment, il y a des gamins qui finissent dans des gangs à Liverpool, Manchester et Dublin, mais ils n’ont pas la capacité de poser des bombes de 100 kg dans un centre-ville » dit Peter Sheridan, l’ancien policier qui dirige Co-operation Ireland, un projet caritatif qui vient en aide aux jeunes pour leur trouver du travail. Il précise : « Nous essayons d’isoler les gens qui pourraient devenir les Martin McGuinness ou les Jackie McDonald [un célèbre leader loyaliste] du futur ». (…)

Les dissidents ciblent les catégories qui pensent n’avoir reçu aucun dividende de la paix. Un policier qui a souhaité rester anonyme explique que les jeunes hommes qui rejoignent les groupes terroristes scissionnistes « n’ont pas de souvenir de l’horreur que c’était autrefois, mais ils voient cela comme quelque chose d’excitant et ils n’ont rien de mieux à faire ». Il ajoute que la génération actuelle ne bénéficie pas du soutien de la communauté républicaine au sens large.

Peter Sheridan fait référence au jeune homme de 17 ans, de Lurgan, qui se trouve en prison préventive pour le meurtre de Stephen Carroll, policier du PSNI qui a été tué lors d’une patrouille dans la ville voisine de Craigavon en janvier 2009, le dernier policier en date à être tombé sous les balles. « Ce garçon n’avait que trois ans quand l’IRA déclarait son cessez-le-feu », dit-il.

M. Sheridan considère que les gouvernements successifs n’ont pas promu assez activement ce qu’il appelle la « construction de la paix », dont une partie est la réconciliation entre communautés. « Le gouvernement n’est pas très bon pour voir à long terme. Et si nous ne faisons rien, le danger est de voir dans la ségrégation la seule solution, ce qu’elle n’est certainement pas. » Il passe en revue une liste déprimante de statistiques qui illustrent les divisions communautaires en Irlande du Nord.

Depuis les cessez-le-feu, le nombre de « murs de paix », construits par les autorités pour séparer les quartiers protestants et catholiques de Belfast, est passé de 18 à 88. Les logements sociaux sont presque tous attribués sur une base ségrégationniste. Les écoles « mixtes » n’accueillent que 9% de la masse des élèves, malgré le soutien gouvernemental. « Je ne pense pas que les gens pourront un jour vivre ensemble » dit M. Casey, l’habitant de Kilwilkie. Il pense que le problème n’est pas le manque de fonds pour les projets communautaires. « C’est de l’argent d’apaisement, comme je l’appelle. Sinn Féin touche cet argent pour qu’ils n’en reviennent pas aux Troubles », explique-t-il.

Dolores Kelly, membre du SDLP et parlementaire locale, trouve également qu’il est « simpliste » de lier activité dissidente et pauvreté économique. Elle rappelle le cas de l’un de ses administrés, un fonctionnaire bien payé, qui a été arrêté lors des émeutes. Elle pense que l’un des plus gros problèmes est la glorification ininterrompue des événements des Troubles par Sinn Féin. Cependant, d’autres sont d’avis qu’il ne faut pas minimiser les effets positifs qu’a eu le boom économique qui a récemment marqué le pas, puisqu’il a éloigné de nombreux jeunes hommes des griffes des gangs terroristes.

Richard Ramsey, économiste en chef à la Ulster Bank de Belfast, explique que la croissance du secteur du bâtiment pendant la période de la bulle de prospérité a fonctionné comme une bonne politique sociale, mobilisant la main d’œuvre qualifiée et non qualifiée des deux côtés de la frontière ».

 

Source : Libération Irlande

 

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