REPORTAGE RUE 89/Sophie Verney-Caillat


Vendredi soir, alors que je suivais les salariés de KFC en grève, je me suis battue avec le directeur du restaurant de Château-Rouge (Paris, XVIIIe arrondissement). Débattue, en fait. Car celui-ci a tenté de m'arracher ma caméra des mains, et j'ai résisté.

Exactement comme une mêlée de rugby, pendant quelques minutes, lui d'un côté, moi et une quinzaine de salariés grévistes de l'autre, on a lutté pour l'objet, dans une hystérie collective démesurée. C'est lui qui a finalement cédé. La caméra est intacte, tous les participants à la mêlée aussi.

Pour ma part, j'ai déposé une main courante au commissariat afin que ce monsieur soit entendu et sache qu'il n'a pas à empêcher une journaliste de faire son travail. Surtout quand elle arrête de filmer lorsqu'il lui demande.


Un samedi fermé, c'est 15 000 euros perdus

Les salariés, choqués par l'attitude de leur directeur, s'apprêtent à durcir le mouvement. « Si on leur fait perdre de l'argent, ils seront obligés de céder », disent tous les grévistes. Dans le restaurant de Château-Rouge, un samedi fermé, ce serait 15 000 euros de perdus, selon les grévistes.

Depuis mercredi, un mouvement de grève a essaimé dans la plupart des restaurants de la région parisienne. La grève aurait eu des répercussions sur sept KFC et deux seraient fermés selon la direction. Aux dires de la CGT, qui mène le conflit, 18 sont touchés et partiellement bloqués.

Vendredi, une négociation sur les salaires a eu lieu entre les représentants du personnel et la DRH au siège de KFC France, à Nanterre. Près de 200 grévistes ont réussi à rentrer dans l'immeuble.

Mais la proposition d'une prime annuelle de 100 euros brut a été prise comme une gifle par les syndicalistes. Najia, déléguée CGT, relevait :

« Ça fait à peine plus de six euros nets par mois, même pas le prix d'un menu. »

Après des heures à attendre dans les couloirs du siège de Nanterre, chacun s'en est retourné dans son restaurant en vue de le bloquer. 
Etre traité « comme chez McDo ou Quick »

Eux aussi salariés du groupe américain, les directeurs se trouvent pris en sandwich entre les revendications de leurs employés, à qui ils ne peuvent rien dire, et leur direction qui leur demande de faire tourner la boutique.

Avec quatre non-grévistes sur 65 employés, le directeur du KFC de Château-Rouge n'a pas compris pourquoi on était venu filmer SON restaurant. Et lorsqu'il s'en est pris à ma caméra, ça a dégénéré. (Voir la vidéo)


 C'est juste après ces images que le directeur en est venu aux mains. Dans la foulée, le restaurant est resté fermé pour raison de sécurité. J'ai quand même pu discuter avec les grévistes et mieux comprendre ce qui les pousse à entrer dans un conflit parti pour durer.


Comme Angelo, employé polyvalent au KFC de Boulogne-Billancourt, beaucoup sont en colère contre les primes de leurs managers, alors qu'eux n'ont jamais été augmentés et sont contraints à des contrats de 20 heures en moyenne : « On se donne et on n'a rien en retour. »

C'est aussi l'avis de Chadia et Kamoulou qui veulent avoir des conditions de travail « comme chez McDo ou Quick ». (Voir la vidéo)


Depuis des années, des conflits sociaux répétés et médiatisés ont permis aux salariés de McDo d'améliorer leurs conditions de travail. C'est en tout cas ce que pensent leurs homologues de KFC, qui leur prêtent : 

des tickets-restaurant quand eux ont « juste le droit de manger du poulet à la pause… après cinq heures de travail » ;
des cartes « pro » qui leur donnent droit à un menu offert pour un acheté, « alors que nous on n'a aucune réduction, même dans notre restaurant » ;
des chèques cadeaux de 100 euros par an pendant que les employés de KFC ont « 35 euros à la fin de l'année, et encore pas pour tous » ;
un 13e mois et des primes alors que « nous, on nous propose 6 euros par mois ».

Avec 24 restaurants ouverts l'an dernier, une centaine en tout, et 50 emplois créés tous les mois, KFC déclare être un « employeur-citoyen » où la promotion interne est la règle et « la diversité, une richesse ». En réalité, les salariés sont tous à temps très partiel et restent 3 à 4 ans maximum dans la boîte.

Après les événements de ce vendredi, la tension est montée d'un cran entre les non-grévistes que les directeurs de restaurant poussent à maintenir un minimum de chiffre, et les grévistes qui font leur possible pour être pris au sérieux.

Au restaurant de Château-Rouge, le « pétage de plomb » du directeur est selon les salariés un élément supplémentaire dans une longue série de menaces verbales. « Je sais pas comment je vais continuer à travailler pour lui, trop peur qu'il me mette des baffes », rapporte une jeune femme.

Tag(s) : #actualités
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