Les licences collectives étendues, une solution venue du froid ?

 

 

Un accord [1] a été signé le 28 août 2012 entre la Bibliothèque nationale de Norvège et Kopinor, une société de gestion collective de droit d’auteur, pour mettre les livres du XXe siècle à la disposition  du public. L’occasion de présenter un système qui semble donner satisfaction aux bibliothèques, au public et aux ayants droit de ce pays.

 

 


L’accord conclu en Norvège couvre tous les livres du XXe siècle publiés dans ce pays, soit également des livres sous droits dont certains sont encore commercialisés, d’autres sont orphelins, leurs ayants droit ne pouvant pas être retrouvés, d’autres encore tout simplement épuisés.

Peu importe d’ailleurs une telle distinction car l’accord est placé sous le régime de la licence collective étendue [2], système adopté  par les pays scandinaves pour gérer les droits d’auteur pour certains modes d’exploitation d’une œuvre (reprographie, …). Doit-on ajouter que le Royaume-Uni envisage d’adopter la licence collective étendue [3], admise par la proposition de directive européenne sur les œuvres orphelines, pour régler la question des œuvres orphelines ?


Que retenir de l’accord norvégien ?


Son coût. Une redevance de 0,06 € par page sera versée chaque année  par la Bibliothèque nationale  à la société de gestion collective pour chaque page numérisée mise à la disposition du public (peu importe que la page soit vue ou non). A terme, ce sont 250 000 titres dont environ 50 000 sont encore protégés par le droit d’auteur qui seront proposés [4]. Si cet objectif en terme de numérisation ne sera atteint qu’en 2017, les Norvégiens auront bientôt accès à 100 000 titres numérisés, si j’ai bien compris, dans le cadre d’un projet pilote de 3 ans qui vient de se terminer.

Les accès autorisés. Les livres sont consultables sur bokhylla.no, l’un des sites de la Bibliothèque nationale de Norvège. Pas d’autre langue que le norvégien  sur ce site ? Eh oui, seuls les ordinateurs dont le code IP est norvégien y ont accès. Il a bien sûr été signalé que les  livres n’étant écrits qu’en norvégien, une plus large diffusion pouvait être envisagée sans trop de risques. Pour l’instant, les Norvégiens à l’étranger ou les (quelques) étudiants en norvégien devront faire une demande expresse [5].

Les usages autorisés. Des limites ont été fixées pour télécharger et imprimer les ouvrages sauf, bien sûr, si le livre appartient  au domaine public parce que les droits d’auteur ont expiré.  La qualité de l’image n’est pas toujours à la hauteur non plus. Mais les étudiants, les enseignants et les chercheurs, principaux utilisateurs, et même le grand public, semblent satisfaits du système.


Un principe : l’opt-out. Opt-out pour la Bibliothèque nationale qui, en vertu du régime de licence collective étendue, numérise et met à disposition tous les livres sans faire de recherche diligente a priori des  ayants droit [6]. Les redevances payées par la Bibliothèque nationale sont reversées ensuite aux ayants droits et, lorsqu’il s’agit de livres toujours orphelins au bout d’un certain délai, servent à financer diverses actions culturelles. Opt-out aussi pour les éditeurs et les auteurs qui peuvent à tout moment sortir du système de licence collective étendue (ce qui est  déjà le cas des auteurs de romans les plus célèbres) et gérer leurs droits d’une autre manière.


Et  en France ?


Que l’on soit en Norvège ou en France, on paie pour disposer des livres du XXe siècle. En France c’est au titre de la loi sur les livres indisponibles du XXe siècle qui, sauf opt-out des ayants droit à différents moments d’un processus complexe, impose d’obtenir une licence auprès d’une société de gestion collective.

En Norvège, la Bibliothèque nationale acquitte des droits donnant accès aux livres du XXe siècle à l’ensemble de la population du pays. Il s’agit certes d’un pays où la population est moins nombreuse, le nombre de publications moins important et où la barrière linguistique est un élément à prendre compte.

En France, si on se place du point de vue des bibliothèques, il appartiendra à chacune d’entre elle, même s’il s’agit d’une bibliothèque publique, d’acquitter des droits à une société de gestion collective chargé de gérer les droits des livres indisponibles, pour des usages à négocier, qui seront sans doute limités à une consultation de leurs seuls usagers. Un processus qui semble plus lourd et plus onéreux globalement, et moins satisfaisant en termes d’accès général.


A affiner …


Illustr. Port d’Helsinki (fév. 2009). Michèle Battisti, CC by


Sources :


 

 

Notes



[1] L’accord a été  évoqué lors d’une discussion au sein du groupe de travail « Droit de l’information » d’Eblida, association représentant les intérêts des bibliothèques au niveau européen. Merci à mes collègues d’Eblida dont les informations ont servi à écrire ce billet.

[2] La proposition de directive européenne sur les œuvres orphelines admet la licence collective étendue, comme l’indique son considérant 20, et ce bien que cette licence ne réponde pas à toutes les exigences de la directive, notamment en matière de recherche diligente. Il est vrai que le régime, non détaillés dans ce billet, présente de nombreux pare-feux pour les ayants droit, comme l’indique l’article britannique cité en référence.

[3] Une proposition de directive européenne sur la gestion des société de gestion collective des droits d’auteur concernant pour l’instant surtout le secteur musical pourrait remettre à terme en cause la licence collective étendue.

[4] Ce seraient environ 1 millions d’euros qui seraient versés pour 250 000 titres.

[4] Le champ très étroit de la langue norvégienne est sans nul doute aussi un élément important à prendre en compte dans la négociation contractuelle.

[5] Ce qui économise du temps et des ressources.


Paralipomènes


’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).

Posté le 3 September 2012 par Michèle Battisti
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