«Cette décision des prud'hommes va générer les recours de nombreux détenus»
8 février 2013

Interview Une détenue vient d'obtenir l'application du droit du travail en prison. Décryptage avec Marie Crétenot, de l’Observatoire international des prisons.

 

 


Recueilli par Sonya Faure

Marilyn Moureau travaillait pour une plate-forme téléphonique. Virée pour avoir passé un coup de fil perso, elle a décidé de porter sa mésaventure devant les prud’hommes. Seulement Marilyn était détenue dans la maison d’arrêt de Versailles... et l’affaire prend ainsi une toute autre ampleur. Car le conseil des prud’hommes de Paris vient de lui donner raison: la fin de sa collaboration avec l’entreprise doit être reconnue comme un licenciement et Marilyn Moureau doit bénéficier du droit du travail (préavis, indemnité, congés payés...) comme tout salarié. Une première: les détenus n’ont aujourd’hui pas de contrat de travail et sont exclus de la plupart des règles de droit commun. «Le code du travail entre enfin en prison!»,  se félicite Fabien Arakélian, l’un de ses avocats.

Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP), éclaire cette décision.

La décision du Conseil des prud’hommes de Paris est-elle une surprise?

Oui, et c’est un jugement historique. Plusieurs détenus se sont tournés vers la justice prud’hommale par le passé, mais systématiquement, celle-ci se déclarait incompétente. En effet, l’article 717-3 du code de procédure pénale stipule que l’activité des détenus ne fait pas l’objet d’un contrat de travail [il n’existe qu’un «acte d’engagement» entre le détenu et la prison qui fixe le cadre de sa mission , ndlr]. Cette décision va générer les recours de nombreux détenus... Mais attention: elle n’est pas définitive, la cour d’appel devra sans doute à son tour se prononcer sur le cas de Marilyn.

Quels changements concrets pourraient en découler?

Aujourd’hui, le travail en détention n’est bordé par aucune règle que ce soit pour la procédure d’embauche, le licenciement, l’encadrement de la durée du travail, le salaire minimum, le droit à l’expression collective... La seule règle qui existe vient de la loi pénitentiaire de 2009: les détenus doivent toucher entre 20 et 45 % du SMIC horaire brut. Mais elle n’est jamais appliquée... Les détenus qui travaillent pour une entreprise privée sont régulièrement rémunérés à la pièce, en fonction de la quantité produite, pour l’équivalent de 1 euros de l’heure. En prison, on ne licencie pas, on déclasse, quasiment sans motivation. C’est un moyen de pression très fort sur les détenus qui peuvent être déclassés pour un problème disciplinaire qui n’a rien à voir avec leur emploi. Un quart d’entre eux seulement travaillent, la quasi-totalité le voudrait.

La justice finira-t-elle par forcer les politiques à agir?

On peut l’espérer. En décembre, un détenu qui travaillait pour Sodexho a saisi les prud’hommes de Metz: il demandait à être payé au Smic. Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été transmise à la Cour de cassation qui dira en mars si elle la transmet à son tour au Conseil constitutionnel. Si c’est le cas, celui-ci dira enfin si le fait d’exclure les détenus du code du travail est conforme à la Constitution et respecte le principe d’égalité devant la loi. L’enjeu est énorme, ça réglera la question une bonne fois pour toute. Le législateur devra enfin trancher: jusqu’où peuvent aller les dérogations? Jusqu’où peut-on justifier l’écart entre les droits des détenus et ceux du dehors?

 

 

 

SOURCE / LIBERATION.FR

Tag(s) : #actualités
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