couverture.jpgLa police antiterroriste avoue une «erreur» et des «distorsions» 



En décembre 2009, Mediapart avait détaillé les invraisemblances de l’enquête policière sur «l’ultra-gauche» qui avait conduit Julien Coupat à passer six mois en prison. Procès-verbal de surveillance en mains, nous avions refait les trajets de la filature du chef supposé du «groupe de Tarnac» par les limiers de l’antiterrorisme. Histoire de démontrer que le minutage minutieux de leur surveillance et que leurs observations dûment consignées ne tenaient pas la route. Une enquête pour illustrer les impossibilités factuelles de ce PV qui reste la pièce centrale de l’accusation visant à impliquer les jeunes de «Tarnac» dans le sabotage de lignes TGV.





L’appareil judiciaire antiterroriste se trouvait ainsi pris en flagrant délit de cafouillage, dans cette affaire montée en épingle par le gouvernement et Michèle Alliot-Marie — alors ministre de l’Intérieur, aujourd’hui garde des Sceaux — qui faisait pression sur les services d’enquête pour trouver les auteurs des sabotages de lignes SNCF. Pour que la justice reconnaisse le fiasco policier et en tire les conséquences, les avocats du «groupe de Tarnac» avaient demandé au juge antiterroriste chargé du dossier, Thierry Fragnoli, en novembre 2009, d’élucider les «incohérences et invraisemblances résultant de l’enquête diligentée par la Sous-direction antiterroriste (SDAT) de la direction centrale de la police judiciaire».



C’est peu dire que les explications apportées depuis par les policiers ne dissipent pas les doutes persistant dans ce dossier. Au point que Mes Jérémie Assous et Thierry Lévy considèrent que les dernières investigations policières ne font «qu’ajouter de nouvelles invraisemblances et démontrer l’absence d’authenticité du procès-verbal de surveillance» ayant conduit leur client Julien Coupat à rester six mois en prison. À lire ces éléments, l’impression de cafouillage continue de dominer, alors que les jeunes de «Tarnac» — libérés les uns après les autres — restent mis en examen pour «association de malfaiteurs, destructions et dégradations en relation avec une entreprise terroriste».



Dans leur minutage de la filature, les enquêteurs ont confondu les chiffres «3» et «5»…



Pour justifier leurs incohérences horaires, les limiers de l’antiterrorisme avouent aujourd’hui une «erreur matérielle» . Comment ne pas reconnaître, en effet, que leur minutage consigné dans leur PV de surveillance de la voiture conduite par Julien Coupat (dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008) relève de l’impossibilité ? Ce document de procédure — la pièce D 104 — est censé reconstituer la filature avec une extrême minutie. Or, il y est affirmé que les 27 kilomètres de routes de campagne concernées avaient été parcourus en dix minutes, la nuit du sabotage, à la vitesse moyenne de 160 km/h.



Les policiers de la PJ admettent donc à présent une méprise dans la rédaction de leurs procès-verbaux. Ils indiquent avoir confondu le chiffre «3» et le chiffre «5» dans leur transcription. Cela n’a l’air de rien. Mais c’est un aveu de taille, quand cette prise de notes fautive concerne le procès-verbal crucial d’une enquête : les policiers antiterroristes ont écrit «3h50» au lieu de «3h30» . Et ces vingt minutes supplémentaires leur permettent de rendre crédible la chronologie de la filature de Julien Coupat, le soir de l’attentat.



«Cette invraisemblance ne saurait pour autant être une simple erreur de retranscription, telle que les services de la SDAT l’ont péniblement et de manière plus que risible soutenu concernant l’horaire de départ de Trilport (la ville de Seine-et-Marne où avaient dîné Julien Coupat et sa compagne) à 3h50 du véhicule Mercedes», commentent Mes Jérémie Assous et Thierry Lévy. «On pourrait aussi bien arguer que s’ils se sont trompés une fois, ils peuvent aussi bien se tromper trois fois», ironisent les défenseurs.



«Si le 3 ressemble au 5, pourquoi ne pas dire qu’il ressemble au 2 tout aussi bien ?», s’interrogent les avocats. «Même si les services de la SDAT étaient atteints de dyscalculie, se manifestant par des troubles de la représentation des chiffres et notamment des chiffres 3 et 5», ils auraient aussi bien «pu confondre, dans leurs écrits “5h30” et “3h50”», notent encore Mes Assous et Lévy, qui doutent de l’authenticité du procès-verbal dans son entièreté.



D’autant plus qu’une autre question n’est toujours pas réglée : pourquoi certains OPJ — et pas d’autres — ont-ils signalé la présence d’un «individu piéton» sur la voie de la ligne ferroviaire à l’heure du sabotage ? Tentant d’expliquer ces contradictions enregistrées sur procès-verbaux, les enquêteurs mettent en avant une «distorsion de l’information» dans les messages échangés, cette nuit du 8 novembre 2008, au sein des services de sécurité informés de la rupture des caténaires du TGV.



«Il convient de noter que treize interlocuteurs différents interviennent à divers endroits de la chaîne de transmission de l’information, cette multiplicité d’intervenants créant inexorablement des distorsions du message initialement transmis», plaident les policiers. Une argumentation qui conduit naturellement les avocats à exiger l’audition — en leur présence — des policiers et des gendarmes ayant fait ces déclarations contradictoires. Car ces professionnels avertis de l’«attentat» venant d’être commis contre une ligne SNCF savaient bien, cette nuit-là, que cet événement méritait toute leur attention.



La preuve par la borne relais téléphonique ?



Les recherches sous-marines effectuées dans cette affaire présentent aussi certaines particularités. Car la filature avait signalé un arrêt de la voiture de Julien Coupat au dessus de la Marne, au petit matin du sabotage. Le magistrat instructeur avait donc diligenté des recherches sous-marines pour draguer le fleuve. Un an et demi après les faits, un premier plongeur avait exploré les fonds à la recherche de preuves matérielles. En vain : «La Marne étant actuellement en crue, le fort courant au niveau de la zone de recherche empêche toute prospection efficace. En effet, malgré un lest très conséquent le plongeur ne parvient pas à se plaquer au fond et à procéder à ses recherches par tâtonnement la visibilité étant nulle», notait le compte-rendu de cette vaine recherche.



Par chance, quelques semaines plus tard et au même endroit, un second pêcheur avait repêché des tubes ayant pu servir à poser le crochet métallique sur les fils électriques de la voie à grande vitesse. Ces tubes se trouvaient «posés sur le sol, à l’horizontale, complètement découverts», selon les constatations policières. Mais une telle découverte conduit les avocats à s’interroger sur la découverte du second plongeur qui, pour être fructueuse, n’en est pas moins survenue après la crue d’un fleuve remué par un «fort courant au niveau de la zone de recherche».



L’ensemble des explications apportées aujourd’hui par la police antiterroriste ne paraît pas forcément convaincant. Aux yeux des avocats de Julien Coupat, ces éléments ne font même «qu’ajouter de nouvelles invraisemblances à un procès-verbal déjà invraisemblable — le D 104. Or c’est sur ce procès-verbal que repose toute la présente procédure. C’est lui qui motive tant les arrestations que les perquisitions, les mises en examen et pour finir les incarcérations», ont-ils indiqué dans la note qu’ils ont adressée le 30 août au juge Fragnoli.



Face à tous ces cafouillages, Mes Jérémie Assous et Thierry Lévy demandent au magistrat antiterroriste de prolonger ses investigations sur les incohérences de l’enquête policière. Les avocats réclament notamment la communication du «trafic téléphonique» opéré, la nuit du sabotage, par la borne relais qui se trouve aux abords immédiats de la voie ferrée. Plus exactement entre 3h30 et 5h10 du matin — ce qui permettra de préciser si des policiers ont alors fait usage de leurs portables. Donc de savoir s’ils se trouvaient bien sur place et, du même coup, d’éclairer l’«erreur matérielle» liée au minutage du PV de surveillance de Julien Coupat (jusqu’à présent, les policiers n’ont en effet fourni que les relevés de borne téléphonique opérés entre 5h10 et 6 heures du matin).



Une fois de plus, les avocats demandent également au juge de procéder à une reconstitution des faits. Le 22 mars 2010, le magistrat antiterroriste leur avait indiqué qu’il envisageait d’y procéder, une fois qu’un certain nombre d’investigations auraient été effectuées. Plutôt que d’évoquer la «reconstitution» réclamée par les avocats, le courrier en réponse du juge avait alors préféré parler d’une «mise en situation». Ce choix des mots, du moins, a fait le bonheur des mis en examen de Tarnac et de leurs avocats : Thierry Fragnoli, un juge… «situationniste» ?


Erich Inciyan - Mediapart, 2 septembre.


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