Cédric Kahn : « Mon film est anti-matérialiste, limite décroissant… »
Entretien, par Thomas Bauder| 4 janvier 2012
 

Une Vie meilleure, le dernier film de Cédric Kahn sort ce mercredi sur les écrans. Rencontre avec un réalisateur qui propose d’« abandonner [nos] rêves d’entrepreneur » pour « devenir des nomades de notre propre vie »


Regards.fr : Une vie meilleure est-il un film militant ?

Cédric Kahn : Oui et non. Oui parce que je me suis mis en face de mes idées, de mes convictions, et que j’ai mis du temps pour oser le faire : depuis vingt ans que je fais des films j’ai beaucoup tourné autour du pot. Il y a toujours eu des thématiques sociales dans mes films, mais elles étaient cachées, ça n’était jamais affirmé comme tel.

Et non, ça n’est pas vraiment un film militant, parce que je rentre dans l’histoire par les personnages, et que ces personnages, eux, n’ont pas tellement de conscience politique, ils sont assez naïfs, ce sont des pions du système.

Je pense que ce film dégage une vraie philosophie de vie, montre une émancipation des personnages, même si eux n’en ont pas conscience. Je ne crois pas qu’ils seraient capables de théoriser comme je le fais moi. Dans ce sens là, c’est donc encore moins un film de militants, on ne voit pas des gens au combat, les personnages ne sont pas politisés. Et, dans le fond… moi non plus !

Regards.fr : Le film tient quand même un discours politique, notamment sur le surendettement...

Cédric Kahn : Le surendettement est une péripétie. Le discours du film, s’il y en a un, est plutôt clairement anticapitaliste. Il montre que ce système qu’on nous a vendu comme celui de l’amélioration de la vie pour tous, a en fait créé un fossé impossible à combler entre les gens qui ont de l’argent et ceux qui n’en n’ont pas.

Le film part d’un constat très simple : les pauvres paient tout plus cher. J’ai pensé aux subprimes, aux crédits à la consommation pour le mec qui veut acheter un frigidaire ou une voiture et je me suis dit : "il n’y a que les riches qui font des bonnes affaires". En fait, la pauvreté est devenue un terrain de spéculation formidable : des gens très « ingénieux » ont compris qu’on pouvait faire plus d’argent en gagnant 1 euro sur le dos de beaucoup de pauvres, plutôt que 10 euros sur le dos de quelques riches. Et à partir du moment où la pauvreté devient un terrain de spéculation, c’est quasiment impossible de changer de condition sociale.

Regards.fr : Pourtant, tes personnages tentent par tous les moyens de s’élever, de s’en sortir. Est-ce que cette énergie qu’ils ont dans ton film est une clé de la réussite ?

Cédric Kahn : Le constat du film c’est qu’ils n’y arrivent pas. Ils n’y arrivent pas tant qu’ils sont dans un idéal petit bourgeois, tant qu’ils veulent accéder au rêve, à l’idéal de la société de consommation, c’est à dire posséder, être propriétaire, être son propre patron, gagner de l’argent et avoir une « belle situation ». Tant que leur idéal de vie est encodé de cette manière-là, ça ne marche pas pour eux. Et je pense profondément que cet idéal qui nous est vendu, ce bonheur là, nous aliène. Et bizarrement les personnages se sauvent dans le dénuement. C’est à partir du moment où le personnage de Guillaume Canet n’a plus rien qu’il commence à avoir une intelligence de vie. Et lorsque le gars se retrouve avec rien, et personne pour l’aider, qu’est ce qu’il lui reste ? Les yeux d’un enfant posés sur lui. Et cet enfant lui dit juste : « sois vivant », « amuse toi ». Alors ça commence par une beuverie, une fille qu’on croise dans un coin, et puis une cagnotte qu’on se fait, et puis un match de foot qu’on va regarder… C’est comme ça que mon héros se reconstruit : par des petits bonheurs, des petites victoires, mais qui ont une saveur incroyable vu les épreuves qu’il a traversées. Pour moi la philosophie du film est vraiment là : la reconstruction dans la simplicité.

Regards.fr : Un des moments jouissifs du film, c’est cette scène au cours de laquelle Guillaume Canet vole le marchand de sommeil, l’exploiteur de la misère humaine. Est-ce que selon toi, voler des voleurs, ça participe de la solution aux problèmes qui se posent à lui ?

Cédric Kahn : Oui. En tous cas, lorsqu’on est dans une situation difficile, la frontière entre la légalité et l’illégalité est très mince. L’acte qu’il commet n’en fait pas un type malhonnête, d’autant plus qu’avant cette scène il « apprend l’honnêteté » à l’enfant, lui donne ça comme règle de vie, alors que l’enfant qui ne possède pas les mêmes codes, est d’emblée transgressif. Je voulais montrer que la frontière est très mince, et que parfois on n’a pas d’autre choix. Je peux comprendre que dans une situation limite, on en passe par l’illégalité.

Regards.fr : Comment fait-on pour représenter à l’écran un jeune salarié qui galère ? Par quoi passe la caractérisation du personnage ?

Cédric Kahn : En prenant Guillaume et en l’habillant comme un « n’importe qui » je voulais montrer que c’est l’histoire de tout le monde. C’est un employé, un salarié, un smicard, c’est un mec, voilà, qui n’est pas un miséreux. C’est l’histoire d’un lambda qui commet des imprudences, et puis qui a trop d’envies. Donc, justement, je n’ai pas voulu spécialement le caractériser.

Regards.fr : Pourquoi était-il important que le personnage principal bosse dans la restauration ? Parce que c’est un boulot qui se fait enfermé entre quatre murs ?

Cédric Kahn : Oui, il y a de ça. Elle travaille elle aussi en sous-sol, dans la boîte. Leur rêve de vie à la campagne, c’est un rêve un peu irréel, un peu comme dans un conte, avec la maison d’Hansel et Gretel qui a l’air enchantée alors que c’est un piège… Elle dit : « j’en ai marre de vivre comme un rat, de passer de mon appartement, au métro et à mon travail ». Ce que j’aime dans le métier de cuistot, c’est qu’il est à mi chemin entre l’entreprise et la passion. Un peu comme le cinéma, en fait. Avec une confrontation de la création et de la réalité économique qui est forte. Donc à une petite échelle, monter son restau, c’est comme monter un film, sauf qu’ici, ce serait un film qui se casse la gueule…

Regards.fr : Souvent, dans les films qui parlent du travail, de la misère, de la dégradation des conditions économiques, on fait appel à des comédiens pas connus, vierges de toute image. Tu as choisi de faire le contraire avec un casting « bankable » et deux acteurs, Guillaume Canet et Leïla Bekhti, identifiés dans un cinéma plus grand public. Pourquoi ?

Cédric Kahn : Je trouvais intéressant qu’ils amènent leur notoriété, leur côte d’amour auprès du public. Si on renverse le truc, à eux deux, ils peuvent attirer des spectateurs qui ne viendraient pas a priori voir un film comme cela. Je trouve bien que ce cinéma là, de propos, de combat, de conscience, sorte un peu du ghetto.

Mais cela, je te le raconte en me plaçant à l’extérieur du projet, c’est presque un discours de producteur, ce que je ne suis pas. De l’intérieur, c’est vrai que je me suis posé beaucoup de questions, notamment de savoir si je ne devais pas faire ce film de façon plus « pauvre » avec des acteurs inconnus, afin d’accentuer l’effet de réel, déjà très fort dans le film. Et puis finalement, je me suis dit que c’était plus audacieux de le tenter avec un couple identifié : des acteurs jeunes, beaux, glamours et célèbres dans une histoire comme celle là, si ils sont bons et réussissent à faire oublier leur statut au point que l’on y croit, le pari est gagné. Et en fait, selon moi, c’est gagné dès la première scène, dès qu’ils se branchent. Pourquoi ? Comment ? Je sais pas ! Parce que ce sont de bons comédiens, je crois… Même si les rôles sont bien écrits, qu’il y a un travail de décor qui les porte, ils y sont allés, se sont dépoilés pour incarner le truc. Ils sont arrivés sans masques et sont rentrés dans les personnages.

Regards.fr : Quand on a une histoire de gens simples incarnés par des "vedettes", on les filme comme des stars ou comme de simples comédiens ?

Cédric Kahn : Je les filme comme des gens lambda. Et avec empathie. J’essaie toujours d’être du côté de mes personnages. Ça commence, évidemment, par ne pas les regarder comme des stars, parce que sinon c’est foutu, je suis certain de ne pas y arriver. Mais pour moi, ce n’est pas très compliqué, parce que j’ai tendance à regarder tout le monde comme des gens lambda ! J’ai beaucoup de mal à voir les gens à travers leur statut social. Je peux être en face d’un ministre et lui raconter des conneries. Ça peu friser l’insolence ou la maladresse, mais j’ai une espèce de décontraction sociale, c’est vrai.

 

Source : REGARDS

 

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