Les auteurs et autrices qui décident de publier leur travail — tout ou en partie — sur internet, que ce soit par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou via leur site personnel — se trouvent souvent confronté·e·s à un dilemme cornélien : en publiant sur le web, gâche-t-on ses chances de trouver un éditeur pour ses romans, pour ses illustrations, pour ses bandes dessinées ?
Car c’est une remarque qui revient souvent : dès lors qu’un travail est rendu public sur le net, sa valeur pécuniaire chute dramatiquement. C’est le prix de la nouveauté et de l’inédit — et un roman publié sur internet n’est plus considéré comme inédit pour la plupart des éditeurs, même s’il n’a trouvé en chemin qu’une dizaine de lecteurs pour « faner » son exclusivité.
J’y vois pourtant deux paradoxes :
- le prix de l’exclusivité n’est pas le même pour tout le monde. Un roman lu trente fois sur internet a peu de chances de trouver un éditeur pour l’accueillir, en revanche ces mêmes éditeurs se battront pour arracher au meilleur prix le même roman sur le même site internet s’il a été lu par dix millions de lecteurs. L’argument selon lequel le roman lu trente fois a « épuisé » une partie de son lectorat potentiel est donc assez cocasse.
- faute de moyens et en partie à cause de la surproduction qui empêche les diffuseurs d’accorder le même temps aux petits et aux plus célèbres, on demande aujourd’hui aux auteurs d’assurer leur propre promotion. En somme, de devenir leurs propres VRP, notamment via leurs canaux de diffusion personnels que sont les sites et les réseaux sociaux. Problème : comment générer une attente, une envie, un désir chez des lecteurs si l’on ne peut rien publier de ce que l’on écrit ? La solution est d’écrire autre chose (des articles de blog, par exemple, comme je le fais ici), mais comment présumer des qualités littéraires d’un roman sur la base d’autres écrits qui n’ont peu ou prou rien à voir avec lui ?
J’en arrive donc à la conclusion que… cet empêchement volontaire, quasi-censure professionnelle, est parfaitement stupide et surtout anachronique. De fait, considérant la formidable opportunité de diffusion qu’est le web, les éditeurs devraient non pas recaler les primo-publiants sur internet, mais au contraire les encourager en ce sens. Et plutôt que de perdre du temps, de l’argent et leur santé psychique à parcourir tous les manuscrits qui leur arrivent, les professionnels devraient passer plus de temps à fureter sur les réseaux sociaux, dans les communautés d’écriture et sur les blogs littéraires à la recherche de leur prochain poulain.
L’exclusivité n’est rien sans la diffusion, et si la responsabilité de la diffusion est désormais largement déportée sur les artistes, alors l’exclusivité ne peut plus être une condition sine qua non à la publication. C’est une question d’équilibre.
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