Une foule compacte parcourt les rues de Sanaa, la capitale yéménite. Des milliers de femmes drapées dans leur niqab noir et, fait inattendu, la tête souvent recouverte d’une casquette colorée scandent inlassablement : « […] Femmes du Yémen, révoltez-vous ! Sœurs de la révolte, nous lutterons jusqu’au bout, nous n’acceptons plus ni l’humiliation ni la tyrannie ! » Des manifestations semblables se répètent depuis les beaux jours du « printemps arabe », depuis que les Yéménites ont repris le flambeau des Tunisiennes et des Egyptiennes. Avec autant de force et infiniment plus de courage. Nées dans un pays pauvre et très fermé, privées des droits les plus élémentaires de parole et de liberté, illettrées pour la plupart, mariées souvent dès l’enfance, elles ont osé quitter leur foyer dans le sillage de l’activiste Tawakkul Karman, pour réclamer justice et égalité. Au fil du temps, et malgré la violente répression exercée par le gouvernement, dans les premiers mois du soulèvement, elles se sont imposées jusqu’à devenir les protagonistes de l’insurrection dans leur pays. Deux ans et demi après le début de leur combat, les femmes yéménites ont déjà obtenu quelques victoires et fait évoluer les mentalités, mais elles n’ont pas encore gagné la guerre. Face à la montée en influence des islamistes, et à la présence de membres de l’ancien régime dans les comités de dialogue national, elles redoublent de vigilance et de fermeté.
Entretien avec Manon Loizeau, coauteure
et réalisatrice
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au Yémen ?
Manon Loizeau : Au moment de l’éclosion du « printemps arabe », je me suis très vite intéressée aux femmes et à leur participation aux événements en cours. Quand le mouvement s’est étendu au Yémen, on en parlait très peu dans les médias, et moi j’aime plutôt ça… C’est ce qui m’a décidée à y aller. Mais cela n’a pas été simple. Le Yémen est un pays très fermé. Avec Sibylle d’Orgeval, coauteure du documentaire, on a eu beaucoup de difficultés pour obtenir un visa. Lorsque, enfin, nous avons pu nous déplacer à Sanaa en janvier et février 2012, la révolte avait commencé depuis un an. Des milliers de gens campaient depuis des mois sur la place du Changement, au cœur de la capitale.
Comment avez-vous choisi les héroïnes de votre film ?
M. L. : Des contacts sur place nous ont permis de rencontrer certaines d’entre elles. Les trois principales intervenantes sont à la fois très différentes et très charismatiques. Nadia, la jeune étudiante, s’est improvisée camera-woman depuis les premiers jours du soulèvement. Avec un petit appareil que lui a confié son père dans ce but, elle filme tout. Dans le documentaire, on montre d’ailleurs quelques-unes de ses images. Ehsan, mère de famille de cinq enfants, dont le mari, opposant à l’ancien régime, a connu la prison, milite pour l’avènement de la démocratie mais, surtout, pour les droits des femmes et l’égalité entre hommes et femmes. Tawakkul Karman, elle, est devenue une figure incontournable au Yémen. Fondatrice de l’Association des femmes journalistes sans chaînes et Prix Nobel de la paix en 2011, elle a rendu sa fierté à tout un peuple, qui la surnomme désormais « la nouvelle reine de Saba ». Elle représente un énorme espoir.
Vous êtes retournée au Yémen cette année pour les besoins du film. Quelle est l’ambiance aujourd’hui à Sanaa ?
M. L. : En janvier 2012, même si nous avions pour consigne de ne pas sortir de Sanaa, nous pouvions circuler et tourner assez librement. En juin dernier, ce n’était plus du tout le cas. Entre les risques réels d’attentats – perpétrés notamment par Al-Qaida – et les menaces d’enlèvements, la ville est devenue beaucoup plus dangereuse, surtout pour les Occidentaux. Le climat d’instabilité est palpable et la situation peut basculer du jour au lendemain. D’où l’importance des commissions de dialogue national, qui réunissent actuellement et pendant six mois toutes les sphères de la société – partis politiques, représentants des femmes et des jeunes, membres du gouvernement transitoire… Il faudrait arriver à un consensus avant l’élection présidentielle qui aura lieu en février 2014.
Durée 52’
Auteures Manon Loizeau et Sibylle d’Orgeval
Réalisation Manon Loizeau
Production Amip, avec la participation de France Télévisions et Public Sénat
Année 2013