"Ces dernières années, des actions localisées, éclatées, fébriles, ont enfanté une contestation amoureuse d’elle-même, une galaxie d’impatiences et d’impuissances, une succession de découragements"

 

Serge Halimi, Stratégies pour une reconquête, Le Monde Diplomatique, Septembre 2013.

 

Cette citation de Serge Halimi s’inscrit dans un article qui vise à donner des pistes aux militants de tous poils pour mettre en place une action efficace pour rétablir un peu de justice dans ce bas monde. Or, il me semble que cette dernière  s’applique parfaitement au mouvement du libre. Malgré les fleurs que nous nous envoyons à longueur de forum, je constate année après année que les gens s’usent et se renfrognent faute de véritables victoires…

Les licences libres ne sont pas magiques…

J’ai longtemps cru au mythe fondateur du Libre : les licences libres allaient faire naître toute une panoplie de pratiques tellement fabuleuses qu’elles emporteraient dans un raz-de-marée les pratiques privatrices. Je nous croyais invincibles car, tel le virus, nous étions tenaces, mutants et contagieux !

Je n’ai jamais cessé une seul seconde de croire que le partage et la culture (du) libre allait améliorer les choses, et je m’émerveille tous les jours des prouesses des hackers et des partageux de tout pays. Cependant, il y a un aspect de mon conte de fée que j’ai dû remettre en question : les outils (juridiques, techniques, virtuels,…) que nous fabriquons ne sont pas magiques. Non seulement ils peuvent devenir inutiles si on s’en sert mal, mais ils peuvent aussi être utilisés contre nous !

Un(e) licence/logiciel/machine libre est un outil et rien de plus !

Cette introduction sonne comme un tas d’évidences et vous commencez peut-être à croire que je vous prends pour des buses ! Il n’en est rien, et si je prends la peine de poser tout ça par écrit, c’est bel et bien parce que la croyance que les licences libres se suffisent à elles mêmes est diablement tenace dans notre mouvement !

Certes, cet outil -comme tout outil- aura permis, par sa seule existence, des changements et des avancées significatives. Cependant -comme tout outil- il ne fera jamais rien de plus que ce qu’on lui fera faire !

Il y a beaucoup d’exemples d’outils fabuleux porteurs d’espoirs qui ont été vidés de leur sève. L’un d’entre eux se trouve d’ailleurs juste sous votre nez. Je parle bien entendu d’Internet !

Internet, porte en lui les germes de l’abolition des frontières, du partage sans limite, de la communication sans barrières… Cependant cela n’est pas si simple, car dès qu’un outil est potentiellement source de pouvoir (ou de perte de pouvoir), il devient source d’enjeux.

Or, bien qu’internet soit un espace virtuellement infini, nous constatons de plus en plus que ces enjeux ne peuvent pas coexister pacifiquement. C’est d’ailleurs pour cela que la Quadrature du Net, l’April ainsi que bien d’autres associations doivent se battre quotidiennement pour éviter que les pousses de liberté semées par les pionniers du net se retrouvent écrasées par un centre commercial virtuel géant.

De révolutionnaire à publicitaire il n’y a qu’un pas

Ce qui est vrai pour internet l’est tout autant pour les licences libres. Après avoir bossé 2 ans dans une boite qui vend de l’open-source, je puis vous affirmer que les quatre libertés fondamentales ne changent que très peu les pratiques quotidienne d’un éditeur de logiciel. Il s’agit d’un argument de vente efficace mais les relations fournisseurs/clients obéissent aux mêmes règles que celles d’un éditeur propriétaire. Il en va de même pour la culture :  récemment, la SACEM nous aura également prouvé qu’il suffisait d’un accord pour réduire les Creative Commons au rang de vulgaire objet promotionnel pour leurs sociétaires

Un outil doit servir un but et non l’inverse

Ces détournements des licences libres prouvent bien qu’un outil doit être un moyen et non une fin. Ça paraît relever du bon sens, mais force est de constater que les libristes affichent (pour la plupart) la diffusion des licences libre comme unique objectif ; il est très rare de voir des gens se questionner sur ce qui se passera après ( que faire si ça marche ? que faisons-nous si ça ne marche pas ?).

Or cela pose de nombreux problèmes :

  • Les débats se cristallisent sur les outils ce qui empêche toute mise en perspective ou élargissement (d’autant plus que de choisir un outil sans but est absurde… C’est comme choisir une mèche de perceuse sans savoir si le mur est en béton ou en bois)
  • De fausses dissensions apparaissent sur des détails faute de pouvoir prendre la hauteur pour constater que le débat est absurde (et si je vous disais que la clause NC et la clause SA peuvent servir le même objectif… )
  • Personne ne remarquera, ni qu’un outil obsolète ou inefficace, ni l’apparition d’un meilleur outil (ce qui revient à défendre mordicus votre mèche à bois, même après avoir en avoir usé 10cm sur un mur en béton – parce que vous comprenez, une mèche c’est cher et le magasin il est loin).

En d’autres termes, toute discussion de l’outil est confondue avec une discussion sur le but,  ce qui fausse complètement tout débat.  Pour filer ma métaphore de trou, c’est comme si vous disiez à votre collègue que sa mèche n’est pas bonne et qu’il vous rétorque  : « On a besoin de percer un trou là ! Si tu comptes m’en empêcher va-t-en tu ne m’aides pas ! ». L’objectif (percer un trou) et le moyen (la mèche) sont mêlés : la discussion est impossible.

En face, ils ne confondent pas…

A l’inverse, il est bon de noter que l’une des principales caractéristiques du capitalisme (il faut appeler un chat un chat) est de combiner un but infiniment simpliste (accumulation maximale de richesse) avec une absence totale d’état d’âme concernant les moyens. Lorsque les licences libres sont instrumentalisées par Google, il n’y a pas de tergiversation sur le but de ses dernières : ils s’en emparent tant qu’elles présentent un intérêt et les abandonneront du jour au lendemain quand ça cessera d’être le cas !

bateau2

Quels objectifs ? Le projet politique !

Pour les moyens, pas de soucis : on est bon ! On a des logiciels super, des juristes super, des machines super et plein d’idées géniales ! Bref, on a toutes les meilleures mèches de perceuse du monde (oui j’aime ma métaphore). Vous l’aurez compris le problème, c’est le but. Le but lointain, grand, beau et inatteignable vers lequel on veut aller, l’horizon pour lequel on se bat.  Or, là aussi il faut appeler un chat un chat : cela s’appelle un projet politique.

 

 

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