Hiver tranquille à Notre-Dame-des-Landes

 

         

© Jordan Pouille

© Jordan Pouille

Les gendarmes ayant déserté la « zone à défendre » en sursis, ses occupants goûtent à une autre forme de lutte : l’enracinement.

 

Les ados avachis sur les marches de l’église savent bien « là où ça chauffe ». Sur leurs indications, nous roulons au pas jusqu’au carrefour des Ardillières, en direction de La Paquelais. Quelques tags virulents (« Une balle = un flic », « Incitation à la révolte ») ornent d’anciennes chicanes policières et les façades décaties de fermes abandonnées. Derrière une barricade de pneus, dans son poste de guet aux planches vermoulues, un barbu nous accueille : « Bienvenue chez nous. Longez la chaussée jusqu’à la deuxième épave de voiture, et c’est à droite ! »

Black Plouc Kitchen, table d’hôtes

Au bout d’une allée bordée de châtaigniers, voici la Black Plouc Kitchen. Une table d’hôtes mobile, une roulotte pour gastronomes inaugurée à la fin de l’été. La taulière – qu’il faut appeler Black – a 30 ans, une coupe à la garçonne et fait partie des 150 indignés qui squattent la vaste « zone d’aménagement différé », malicieusement rebaptisée « zone à défendre ». Ces 1 600 hectares de bocage furent réquisitionnés en 1974 par l’État en vue d’y construire un nouvel aéroport, au nord de Nantes. Par la grâce de la crise pétrolière, le projet fut mis en veille jusqu’aux années 2000. Les squatteurs sont apparus dix ans plus tard et avec eux, les échauffourées. « Mais depuis un an et demi, il faut bien avouer que c’est très calme. Alors on s’enracine ! »

Black est auvergnate. Fille d’un professeur d’électro­technique et d’une employée du Trésor public, cette serveuse de café associatif ferraillait contre l’arrivée d’un incinérateur à Clermont-Ferrand. À l’automne 2012, une vague d’expulsions de paysans à Notre-Dame-des-Landes l’a poussée à monter un comité de soutien. De cabane auvergnate en ferme abandonnée, la demoiselle s’est installée.

Au milieu de potagers, cette roulotte grandiose aux fenêtres bleu azur est sa plus grande fierté. Un chalet chaloupé, posé sur une remorque de tracteur. À l’intérieur, 12 belles places autour d’une grande table de bois massif. La cuisine a été montée grâce à des matériaux de récupération, les ustensiles dénichés dans une brocante, comme cette batterie en cuivre acquise pour 10 €. « L’idée est que les opposants à l’aéroport puissent nous rencontrer ailleurs que dans une manif. » Une gazette circule dans les boîtes aux lettres des fermes squattées et annonce, entre les dates d’un marché à libre tarif, celles des repas de la table d’hôtes. On peut aussi réserver sur un blog. « L’autre jour, nous avons accueilli des retraités du Finistère. Ils étaient sensibles à notre cause, mais n’osaient pas nous rendre visite. » La cuisine mobile fut leur sas d’entrée.

La carte se concocte au hasard. Le dernier repas, végétalien, offrait une mousse de betteraves, des courges farcies et un velouté de potiron aux cèpes. La seule condition : que tous les aliments soient issus de l’agriculture biologique, récoltés sur place ou chez des exploitants dans un rayon de 50 km. Des contacts sont pris avec un vigneron local, pour arroser les prochains repas de muscadet bio. « La seule chose qu’on n’arrive pas à fabriquer nous-mêmes, c’est le café et le chocolat. »

Des migrants de Calais décompressent

Mine de rien, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes font tourner un moulin, pousser 12 hectares de sarrasin, huit hectares de blé, deux hectares de patates, 3 000 m2 d’oignons. Ils bichonnent aussi 25 vaches. « Des gens de l’extérieur prennent encore les zadistes pour une armée de punks cagoulés et violents. Bien sûr, quand on est attaqués, on se défend. Mais la plupart du temps… nous cultivons les champs. » Même si la Black Plouc Kitchen est mobile, elle attendra la belle saison pour s’aventurer dans le bocage. « Pour l’instant, le sol est très humide. Aucun tracteur ne viendra la chercher. Plus tard, cette table d’hôtes pourra même quitter la Zad et investir d’autres lieux de lutte. » Comme la forêt de Sivens dans le Tarn, ou le chantier de Center Parcs à Roybon, en Isère.

En ce jour de repos, Black nous invite chez elle, à 4 km de sa roulotte. Sur le chemin, nous croisons trois Africains fluets marchant en file indienne, tête ­baissée. « Ceux-là, ce sont des migrants de Calais. Ils décompressent ici avant de retenter leur course vers l’exil. » Avec cinq colocataires, Black a repris la ferme d’un octogénaire arrivé en fin de procédure d’expulsion. « Il n’avait pas l’énergie pour squatter sa propre ferme. Il était heureux que nous prenions le relais », affirme-t-elle. La maison a été remeublée en quatre jours. Les squatteurs ont ouvert des abonnements internet, d’eau et d’électricité. Et paient leurs factures rubis sur l’ongle : « En débarquant chez nous, l’huissier a été très surpris », s’amuse Vincent, son colocataire, et fils de paysans landais.

Un pôle de recherche et développement

« Pour moi, le squat n’est pas un renoncement… mais la possibilité de construire sa vie », résume Black. « Vous voyez, je ne renonce à rien », ajoute Vincent en servant une généreuse tartiflette. Pour lui, la Zad est un pôle de recherche et développement. À moindre coût, il y mène ses expérimentations, tournées vers la traction animale. « Avec un designer en service civique et quelques paysans, nous planchons sur un prototype de bineuse. Il faut un cahier des charges, élaborer des plans en 3D et discuter de chaque étape par e-mail. Tout cela prend du temps, mais justement, ici, j’ai du temps. »

D’autant que les perspectives sont porteuses… « De plus en plus de gens reviennent au cheval de trait ! » Son cobaye s’appelle Babar, un joli canasson offert par un paysan franc-comtois. L’attelage a été testé avec un dynamomètre, un GPS pour contrôler la vitesse et la pente. « J’ai ajouté une couverture de pression pour voir où cela appuyait. La traction animale indolore est une toute petite filière, qui ne pourra grossir qu’avec cette énergie-là, celle des bénévoles de la Zad… ou bien on importera tout de chez les amish ! »

 

> Du bâton de César au triton cendré

D’octobre 2012 à avril 2013, les zadistes ont affronté les nombreux gendarmes dans le cadre de l’opération « César ». Des médias ont décrit des scènes de guérilla interminables, des combats au corps à corps. Les réoccupations ont succédé aux évacuations forcées. « Ils contrôlaient tout le monde, tous les jours et même le facteur à chaque tournée. Ils espéraient créer un ras-le-bol, pour que les agriculteurs évitent de nous fréquenter. Aujourd’hui, on voit seulement des fonctionnaires comptabiliser les tritons cendrés », dit Black. Le 5 janvier, sur France Inter, François Hollande a de nouveau évoqué la construction de l’aéroport : « Quand les recours seront épuisés, il sera lancé. » Sans donner de date…

 

SOURCE / LAVIE.FR

Tag(s) : #environnement, #alternatives
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