C'est la fin des années cinquante à la ferme des Passereaux. La seconde guerre mondiale laisse encore des traces, et celle d'Algérie bat son plein. Pas vraiment facile d'avoir vingt ans dans cette exploitation qui fonctionne bien. Jean est doué pour les études et aimerait bien devenir instituteur. Passer le concours. Vers une autre vie que celle de la ferme. Une vie future avec Odette par exemple, même si sa famille ne voit pas d'un bon œil cet éventuelle union.
Mais le père, Martin, surnommé La Corneille, a un autre projet pour son fils. Reprendre la ferme. Jean a aussi deux sœurs, Claudine et Paule. Sans oublier une certaine jalousie des voisins face à la réussite de la ferme.
Peu à peu Jean va devoir différer ses projets et se retrouver en immersion dans la guerre d'Algérie, dans les Aurès. Difficile de rester soi-même quand l'on ne peut choisir sa future vie, sa future femme et que l'on plonge dans une guerre dévastatrice qui va le briser. Pourtant Jeannot va essayer de s'accrocher...
Roman tragique du tourment, ce premier roman de Cathy Jurado-Lécina est une belle réussite. Un roman d'ailleurs inspiré d'une histoire vraie, ce qui le rend encore plus touchant. Le lecteur subjugué va assister à la longue et douloureuse descente aux enfers de Jean, qui s'isole de plus en plus, accueillant parfois les visiteurs avec un fusil. Pourtant malgré la répression autour de lui, malgré cette vie contrariée, il va tenter de survivre. Survivre en écrivant des mots, des phrases, des lignes. Une sorte d'appel venu du plus profond de son être, le pouvoir de la création, plus fort que le pouvoir de la destruction. Souvent la création est un phénomène de réaction, de colère parfois, de survie... Pas très loin du délire, où la raison s'estompe peu à peu. Survient alors la peur, et quelquefois le doute, insidieux.
Alors Jean va se mettre à écrire, ou plutôt à graver ses mots sur le plancher d'une chambre. Il fallait que cela sorte un jour. Un besoin qui par moment nous rappelle la dernière partie de la vie de Camille Claudel.
Au final, Jean n'est pas devenu instituteur, ne s'est pas marié, mais il a créé une œuvre unique, aujourd'hui exposée aux yeux de tous à l'hôpital Sainte-Anne à Paris. Une œuvre de quinze mètres carrés, une œuvre qui nous interroge, sur la douleur, la raison, la folie, la création, notre rapport aux autres.
Un premier roman attachant, réussi, dont la grande force est qu'il demeure longtemps en notre mémoire, bien des semaines après sa lecture. Ce qui est rare et annonce l'éclosion d'un écrivain.
Dan29000
Nous tous sommes innocents
Cathy Jurado-Lécina
Éditions Aux forges de vulcain
Collection littératures
2015 / 212 p /16 euros
L'auteur lit les premières pages de son livre sur FRANCE CULTURE