Dans un rapport, cinq associations présentes dans les centres de rétention administrative dressent le bilan dune augmentation du nombre détrangers enfermés par la France. Elles dénoncent une rétention « souvent inutile, parfois même absurde, et entachée de nombreuses violations des droits ».
Alors que lUnion européenne vient dabandonner le projet de répartir de manière contraignante les 40 000 demandeurs dasile coincés en Italie et en Grèce, le rapport annuel de cinq associations présentes dans les centres et locaux de rétention administrative (CRA/LRA) montre que la France est, sans conteste, la championne dEurope de lenfermement des étrangers. En 2014, 49 537 personnes ont été privées de liberté, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2013. Selon les chiffres des associations, cette année-là, la France enfermait déjà cinq fois plus quen Espagne (9 020), sept fois plus quen Belgique (6 285), dix fois plus quen Allemagne (4 309) et dix-huit fois plus quen Angleterre (2 571). Alors même que la plupart des pays de lUnion européenne ont une durée maximale de rétention bien supérieure à celle de la France : 60 jours en Espagne, 8 mois en Belgique et 18 mois en Allemagne pour ne citer que ces trois pays.
Pour rédiger ce rapport commun, les cinq associations, autorisées par lÉtat à intervenir dans les centres et locaux de rétention administrative (Cimade, Ordre de Malte France, France terre dasile, Assfam et Forum Réfugiés), ont compilé des données et des situations observées tout au long de lannée 2014. Et leur constat est sans appel. Selon elles, la rétention « savère en effet souvent inutile, parfois même absurde, et entachée de nombreuses violations des droits ». Elles parlent dun « enfermement abusif » et « détourné de son objet » puisquen métropole, cest une personne sur deux (55 %) qui a été renvoyée de force vers un pays européen « depuis lequel elles peuvent aisément revenir », « alors que bon nombre dentre elles seraient parties volontairement si elles avaient bénéficié dun délai de départ ». « Ces expulsions permettent ainsi à ladministration de gonfler ses résultats, puisque 80 % des décisions de renvoi vers un État membre sont exécutées contre 34,2 % à destination des pays hors de lEurope. »
Parmi ces personnes expulsées, plus du quart (28 %) sont des ressortissants européens, essentiellement des Roumains qui bénéficient pourtant du principe de libre circulation et des Albanais, « nouvelle population permettant de faire du chiffre », note le rapport. En 2014, les Albanais représentent la quatrième nationalité des personnes enfermées mais surtout la première des personnes expulsées. Des chiffres qui interpellent quand on sait que le pays a obtenu le statut de candidat à lUnion européenne, « ce qui pose à tout le moins un problème de cohérence ». D'ailleurs, depuis 2010, les ressortissants albanais titulaires dun passeport biométrique peuvent circuler librement dans lespace Schengen, sous réserve de disposer de ressources suffisantes et davoir souscrit une assurance maladie.
Quant à lenfermement des Afghans, Syriens, Érythréens et Soudanais, arrêtés à Calais ou à Paris, le rapport dénonce le fait que dans ces villes « la rétention est utilisée abusivement pour démanteler plusieurs camps de migrants en les dispersant dans différents CRA ». À Calais, sur les 600 migrants, dont une majorité dÉrythréens, qui ont été forcés de quitter leur campement, 205 ont été placés en CRA et seulement 24 ont finalement été renvoyés vers lItalie.
Le rapport évoque également la situation de lOutre-mer. Avec 65 % des éloignements forcés au niveau national, la région « concentre les plus graves violations des droits ». « Le régime dérogatoire prive notamment les personnes de réelles possibilités de recours », indique le rapport. À Mayotte par exemple, 19 810 personnes ont été enfermées « sans possibilité de défendre leurs droits ». Les renvois massifs étant exécutés en quelques heures, il est rarissime quun étranger puisse bénéficier dune audience devant le juge des libertés et de la détention (JLD) qui intervient au bout du cinquième jour de rétention. En Guyane, ce sont souvent les mêmes personnes, originaires du Surinam ou du Brésil, qui sont renvoyées de force de lautre côté du fleuve. David Rohi, représentant de la Cimade, explique que « certaines personnes sont enfermées en CRA jusquà 25 fois ». « La répétition de ce phénomène, année après année, montre limpasse de cette politique. »
Aussi « plus laccès aux juges est réduit, plus les éloignements sont nombreux ». Le rapport parle même dune « volonté manifeste de contourner le juge ». En métropole, par exemple, près de la moitié (45,2 %) des personnes éloignées le sont avant le délai dintervention du JLD. Cette intervention tardive empêche notamment le contrôle des procédures de police et leur sanction le cas échéant. Pourtant, au niveau national, les juges judiciaires ont libéré 20,3 % des personnes placées, lorsquelles ont eu lopportunité de lui être présentées. Le rapport détaille la méthode de ladministration : « Les associations constatent que les familles surtout lorsquelles sont interpellées à leur domicile arrivent souvent au centre de rétention en fin de journée, ce qui rend la rencontre avec les intervenants associatifs difficile. Des vols sont généralement réservés le lendemain matin, si bien que les familles sont éloignées sans même avoir eu la possibilité de faire valoir leurs droits. En revanche, on constate que sur les 12 familles ayant été placées en métropole plus dune journée, une seule a finalement été éloignée, les autres ayant été libérées par des tribunaux ou par la préfecture elle-même. »
Encore plus inquiétant, le nombre denfants enfermés qui a « considérablement augmenté », les associations évoquant « un triste record ». Le nombre de mineurs retenus est passé de 3 608 en 2013 à 5 692 en 2014, soit une hausse de 16 % en métropole et de 59 % à Mayotte. Pire, parmi ces enfants 676 ont été enfermés dans des locaux de rétention administrative (LRA), « alors que la loi interdit leur privation de liberté dans ces lieux ». La preuve que le gouvernement de François Hollande ne respecte pas ses promesses de campagne.
Au début de lannée 2012, alors que la Cour européenne des droits de lhomme condamnait la France pour sa pratique denfermement des enfants en rétention, François Hollande, alors candidat à lélection présidentielle, sengageait à y mettre fin. Le 6 juillet 2012, dans une circulaire, le ministère de lintérieur demandait « dans le cadre de la mise en uvre des procédures déloignement des étrangers en situation irrégulière » de veiller à ce que « dans le cas de familles parentes denfants mineurs » soit « appliquée la procédure dassignation à résidence plutôt que le placement en rétention ». Mais aujourdhui encore, des enfants sont privés de liberté en raison de lirrégularité du séjour de leurs parents.
Les cinq associations réclament, dans ce rapport, la modification du projet de loi relatif au droit des étrangers qui doit être discuté à lAssemblée nationale en juillet prochain. « Ce projet ne prévoit nullement de revenir sur les dispositions les plus contestées de la réforme de 2011, pourtant décriées à lépoque par lactuelle majorité », rappellent-elles. En effet, le projet de loi prévoit de maintenir la durée de rétention à 45 jours (fixée à 32 en 2011) et le passage devant le juge des libertés et de la détention (JLD) continuera à nintervenir que dans un délai de 5 jours (au lieu de 48 heures en 2011). « De même, les personnes les plus vulnérables, notamment les étrangers malades, ne bénéficieront toujours pas dune protection satisfaisante », déplore le rapport. Lespoir dun changement de cap suscité par larrivée au pouvoir des socialistes semble ainsi réduit à une peau de chagrin.
SOURCE / MEDIAPART