Oh François, si tu savais

 

 

Oh François, pourquoi n'entends-tu pas cette jeunesse qui se meurt sous le poids d'un avenir sans rêve et sans lointain ? Ne vois-tu donc pas à quel point ta France se morfond, enfouie dans un automne sans fin ? Ta France, celle dont tu es président, n'a d'autres perspectives que d'attendre, saison après saison, les quelques événements marquants qui rythment son quotidien.
 

Oh François, pourquoi n'entends-tu pas cette jeunesse qui se meurt sous le poids d'un avenir sans rêve et sans lointain ?

Ne vois-tu donc pas à quel point ta France se morfond, enfouie dans un automne sans fin ?

Ta France, celle dont tu es président, n'a d'autres perspectives que d'attendre, saison après saison, les quelques événements marquants qui rythment son quotidien.

Quelques décorations de Noël ne suffisent plus à lui donner même un semblant de festivité. Nous allons fêter la Nativité, un petit Jésus qui attend patiemment sa crucifixion. Il s'élèvera au ciel et nous fêterons Pâques et son agneau d'occasion qui lui n'aura pas eu le temps de voir grand chose de ce monde.

Ainsi défile le temps à l'ombre de ces petites villes et villages dont seul le rire de quelques enfants anime encore les rues

Ici dans cette France là on n'a pas d'art pour éveiller à un ailleurs. Les seules expositions sont de l'artisanat. N'est ce donc pas la même racine ? Alors de quoi se plaint-on ? Il est dur de faire réfléchir à un autre monde autour d'une nature morte locale qui n'a même pas l'audace des vanités. Quelques toiles qui ne verront jamais l'ombre d'un pinceau seront décorées de fleurs et de papillons en paillettes. Une expo photo viendra présenter les mêmes paysages que nous avons déjà sous les yeux. Que nos collines sont belles, dira-t-on. Autour de chaque petites expositions les élus locaux viendront se féliciter de l'animation occasionnée. Champagne pas cher et biscuits apéros viendront égayer le vernissage. Une petite photo par le correspondant de presse locale et ça sera dans la boîte. Bientôt la galette des seniors sera la nouvelle occasion, en espérant que la fève ne casse pas un dentier non remboursé par la Sécurité sociale. Une couronne viendra décorer la tête de l'heureux élu. Et puis il retournera dans sa chambre ou dans la pièce commune et regardera la télé. Tout comme ses enfants qui passent de temps en temps une demi-heure tous les mois pour s'assurer qu'en attendant la mort il ne manque de rien. Ici ni le vieux ni le jeune n'ont rien à donner. Le vieux sert à créer des emplois. Sa mémoire s'éteindra et tout le monde oubliera.

De temps en temps à ces vieux on leur demande de voter. Alors ils votent. Des fois même ils donnent procuration et on vote pour eux.

La maison de retraite c'est un endroit de restriction des libertés. Quand un vieux a l'audace de partir ça prend l'ampleur d'une évasion. Alerte. Il faut le ramener d'urgence. Finalement nous sommes des éternels mineurs, d'avoir trop vécu nous méritons la tutelle.

Et puis les petits enfants viennent aussi voir ce triste spectacle. Alors ils les regardent ces petits vieux qui un jour ont fait l'amour et ils regardent leurs parents qui eux ont arrêté de le faire, futurs vieux-enfants entre leurs mains.

Leur avenir est censé être tracé : se marier ou se pacser, enfanter, trimer et si le cancer n'est pas passé par là à leur tour de reprendre le lit médicalisé.

À cette jeunesse on leur dit que ça sera dur, qu'il y a la crise, que c'est la guerre.

Et puis quand on leur demande ce qu'ils ont envie d'être plus tard à ces adolescents ils répondent en chœur : célèbre !

De là, nous adultes sérieux et doctoraux nous décidons que jeunesse se fasse. Célèbre ! Et puis quoi encore ! C'est pas un métier ça d'être célèbre !

Pourtant cette jeunesse s'exprime on ne peut plus clairement. Derrière le mot célèbre c'est horizon, ailleurs et rêves qui apparaissent.

Oh François, tu les connais bien ces rêves toi qui a sûrement dû lutter pour en arriver là où tu es. Cette France où tu as grandi elle te parle pourtant j'en suis sûre, au fond de ton âme. Peut-être même qu'elle t'horripile. Si un instant tu te retournes en arrière un frisson d'effroi parcourt ton échine. Tu aimerais sûrement l'effacer cette France où le costume cravate tombe toujours mal, où la grâce du titi parisien n'est pas innée. Tu essayes mais n'y arrives pas. Tu n'as pas non plus la gouaille populaire d'un monsieur sans-gêne dont la trivialité n'a d'égale que la mauvaise foi.

Tu as peut-être le regard dur de ceux qui y arrivent : vouloir c'est pouvoir. Toi seul connais les sacrifices et les abnégations de la réussite, de ta réussite. Toi François tu sais ce que ça veut dire de naître dans un milieu conservateur entre un père médecin ORL d'extrême-droite et une mère de gauche mais catholique. Tu sais aussi qu'on peut naître dans une famille catholique, être non-croyant et soutenir le mariage pour tous. Tu sais donc que la fatalité n'existe pas. Pourtant ta politique est celle de la fatalité. Ta présidence ne donne aucun espoir. Les enfants de France sombrent. Certains dans un radicalisme religieux, emportés par la croyance qu'ils vont bâtir un monde meilleur. Enfants réactionnaires de cette société vide de sens ils espèrent dans l'au-delà mais également ici-bas, voulant créer un monde austère rétablissant l'ordre et la moral que Dieu dicte Et dans ce monde aussi aride nous semble-t-il à nous impies ils y trouvent un sens, une place et un combat. Bien entendu que ce qu'ils croient vrai est un mirage, une oasis inexistante au fond d'un désert. Mais quand on est assoiffé, le seul point d'eau même imaginaire est bon à prendre.

Dans l'autre sens tu as une autre jeunesse, miroir de la première exaltée par un hypothèque combat pour la sauvegarde des valeurs chrétiennes et de la France. Car au risque de choquer les deux vont de pair : extrémisme catholique et patriotisme ultime. France nation catholique en quête de pureté virginale où un baiser entre deux femmes scandalise au point de vouloir censurer la Vie d'Adèle. Cette autre jeunesse réactionnaire à qui on ne peut déchoir la nationalité frémit à l'unisson dans sa mission de sauvetage.

À ne pas donner de rêves, ces jeunesses choisissent le cauchemar. Ces deux jeunesses sont l'expression radicale d'une même chose. Deux visages, deux haines, deux Dieux dans une lutte commune, Savonarole des temps modernes. Les premiers sont le fruit d'une trop longue politique inégalitaire, où le seul horizon est rempli de tours à 20 ou 30 étages. Tu ouvres la fenêtre et pour ne pas te jeter dans le vide tu imagines être un oiseau qui s'envole loin. Tes voisins baissent les yeux et n'osent pas. Tu affrontes une société que tu vois et qui te voit hostile. Ton cerveau bascule. Devenir un héros, quel qu'il soit donne un sens. Car oui la vie doit avoir un sens autre que d'acheter une maison à crédit, la meubler et faire ses courses dans une grande surface avec l'argent de l'humiliation quotidienne. C'est aussi le rôle de la société de se donner un sens valable, un avenir à ses jeunes qui n'est pas uniquement matériel.

Les autres n'ont pas de tours à l'horizon. Ils se prennent pour des résistants même si ils n'ont jamais vu l'ennemi. Alors ils le créent. Ils découvrent la vierge sans avoir connu les saints. Le drapeau français leur donne une identité, celle qu'ils n'ont pas trouvé en eux. Le retour aux traditions c'est comme une madeleine de Proust rance. Leur culture nationale se limite à peu, essentiellement grâce aux noms des rues, celles qui désignent le milieu social. Rue Émile Zola, rue Marcel Pagnol c'est comme la cité des fleurs. L'humaniste baptise toujours les rues des quartiers pauvres. Les cités ont toujours des noms qui chantent. Pourtant vouloir conjurer le sort avec ces jolis noms ne permet pas d'éviter la catastrophe sociale.

Oh François, quand j'étais plus jeune j'ai habité dans une petite commune jouxtant Lille. Je vais t'y décrire mes voisins François. La maison à la gauche de la mienne était occupée par un homme et ses trois filles de 5, 8 et 10 ans. La mère avait quitté le foyer. Elle revenait régulièrement avec son nouveau compagnon et leur rottweiller. Elle ne venait pas voir ses filles. Elle venait boire. Le plus grand des enfants, un fils, venait de sortir de prison. Le soir, on entendait les gamines pleurer pour ne pas se prendre une torgnole, comme on dit là-bas. Ils étaient tous français et bien français, certainement plus que je ne pourrais génétiquement prétendre l'être. Tout le monde savait et surtout les services municipaux. Crois-tu François que quelque chose ait été fait?

Je laissais ma porte ouverte pour que les gamines rentrent, j'essayais de leur donner ce que je pouvais. Je me demande ce qu'elles sont devenues. C'est vieux tout ça. J'avais 20 ans. J'en ai 37 maintenant. 17 ans sont passés où je me suis évertuée à donner un sens à ma propre vie et à celle des autres. Je n'oublie pas, comme toi, j'en suis sûre. On ne peut pas oublier.

Je pense sans me tromper que ces gamines devenues maintenant de femmes si elles votent, elles votent FN. Peut-être même qu'elles vont à la messe à l'instar d'un ancien ami perdu de vue, ex-Sdf qui n'a pu s'en sortir que grâce au chemin de croix. Une pénitence en remplace une autre.

Et toi François tu nous demandes de faire barrage, à nous qui faisons barrage au quotidien, tous les jours, en donnant un livre, un gâteau, un sourire et un horizon à ceux qui en demandent ? Tu nous demandes toi et ton ministre de faire barrage au FN ? Es-tu sérieux quand tu nous dis cela ? Ce barrage nous le faisons jour après jour, notre dos se courbe de plus en plus sous le poids de ce foutu barrage, car si nous n'étions pas si nombreux à vouloir lutter contre les inégalités et les fatalités, crois moi François le pays aurait déjà été noyé depuis des lustres.

Dimanche les français seront de nouveau appelés aux urnes. Chacun ira ou pas, selon ses croyances laïques. Dimanche soir nous serons soit effarés pour la centième fois, soit soulagés en nous rassurant que ça ne se reproduira pas. Si c'est le dernier cas arrêtons donc de nous mentir et ne mettons pas la poussière sous le tapis un an et demi. Le barrage qui aura été fait n'est qu'illusoire.

Alors moi François, je te dis juste, sans animosité aucune, que si tu veux vraiment qu'on fasse barrage donne nous les moyens de le faire. Apportons la culture, le savoir, montrons les possibles, ouvrons en grand les fenêtres pour y trouver un horizon sans fin. Donnons les mots, les images pour que les jeunes puissent s'exprimer, se libérer. Donnons du pain et du travail mais pas que. Donnons un sens à chacun de construire non pas sa propre vie mais la société . Déverrouillons les accès, cassons les plafonds de verres et arrêtons de vivre sur l'aura lointaine du passé. Et ça ça ne s'appelle pas faire barrage mais construire ensemble une société meilleure qui a un véritable avenir.

 

SOURCE / MEDIAPART

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Tag(s) : #actualités
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