En cette fin d'année 2015, nous achevons notre série d'articles sur une sélection de premiers romans publiés cet automne. Nombre d'entre eux furent de belles surprises, c'est encore le cas pour ce premier roman du poète, dramaturge et essayiste, Gabriel Gbadamosi, Vauxhall, aux éditions Zoé. Un nouvel exemple de la vitalité métissée de la littérature anglaise comme nous l'aimons, puisque l'auteur, qui vit à Londres, est né d'une mère irlandaise et d'un père nigérian.

 

 

Si pour certains le titre de ce roman, Vauxhall, peut évoquer une marque de voitures, il s'agit surtout d'un quartier de Londres, à proximité de Big Ben, mais situé du "mauvais côté" de la Tamise. Inspiré de la vie de Gabriel Gbadamosi, ce roman est à la fois une chronique urbaine et une chronique familiale, de la fin des sixties ou début des seventies. Le point de vue étant celui d'un enfant. Un narrateur qui a une mère irlandaise catholique, et un père nigérian musulman. Un couple qui se querelle, se sépare parfois, pour mieux se retrouver... Le gamin habite avec ses parents, mais aussi deux frères et une sœur, Busola. Tous vivent dans une maison peu salubre qui parfois s'enflamme, dans un quartier peuplé de pauvres et d'étrangers venus d'Afrique ou du Portugal.

 

 

Toutes les couleurs de peaux sont présentes, mais pour le narrateur, ni blancs ni noirs ou métis, juste une maman et un papa... Bien des choses lui échappent vu son jeune âge. Les promoteurs qui lorgnent sur le quartier, les jalousies entre voisins, les histoires de famille, les absences de la mère parfois, ces cicatrices sur le visage du père. Parfois la mort qui survient, comme cette vieille femme morte de froid dans un tunnel ou la violence des bagarres soudaines entre clochards. C'est presque toujours la dèche, même si elle peut être joyeuse.

 

 

Pas toujours facile de grandir dans ces conditions. Le narrateur, par petites touches, va se rendre compte que le monde n'est pas uniquement constitué de papas et de mamans, de tantes et de voisins, mais aussi de blancs et de noirs. Il va surtout comprendre qu'il est noir. Gabriel Gbadamosi nous livre ici un premier roman attachant, flamboyant, où, pour le plus grand plaisir du lecteur, se mêlent les cultures, les religions, les vies. Un tableau poétique vivant. L'auteur possède un sens de la narration affirmé et un art du détail qui crédibilise la multiplicité de ces petites histoires vécues à hauteur d'enfant. Une vraie réussite.

 

Dan29000

 

 

Vauxhall

Gabriel Gbadamosi

Traduit de l'anglais par Élisabeth Gilles

Éditions Zoé

2015 / 368 p / 21 euros

 

 

Le site de l'éditeur

 

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EXTRAIT :

 

 

"J’ai commencé à voler l’argent de mon papa. Chaque fois qu’il rentrait à la maison, il vidait ses poches sur le buffet et j’ai commencé à piquer la petite monnaie. On le faisait tous alors je pensais que ce n’était pas important. C’est là qu’on prenait l’argent pour aller aux magasins – le lait, le mazout, le pain. Quand on ne rapportait pas tout et qu’on achetait des bonbons, personne ne s’en apercevait. Jusqu’au jour où papa a commencé à demander « Où est ma monnaie ? »

On n’était pas censés prendre une demi-couronne – ça pouvait être six pence ou un shilling au maximum. «Ne prenez pas trop», avait dit Manus. Mais c’était trop tard – je volais, j’ai tout pris.

Papa a commencé à vérifier et à faire des tests pour découvrir qui c’était. Il laissait traîner de l’argent soi- disant sans y penser mais de toute manière il ne pou- vait pas trouver parce qu’on le faisait tous, par petites sommes, quand on allait au magasin et quand on en revenait, quand il regardait et quand il ne regardait pas.

«Je ne vais pas tolérer des voleurs chez moi», a-t-il crié.

Maman a dit que les cris la déprimaient, que les choses étaient déjà assez difficiles, que c’était que de la ferraille et qu’il fallait laisser passer ça. Il l’a regardée furieux et il a dit qu’elle pouvait céder mais que lui il n’allait pas accepter ça, qu’il allait écraser ce genre de maladie avant qu’elle ne se répande.

Je voyais qu’il était fâché et qu’il ne plaisantait pas mais à ce moment-là, je n’étais pas de son côté, je ne voulais pas la même chose que lui. J’étais toujours en alerte, à voir ce qu’il allait faire pour m’attraper. Il gardait l’argent dans les poches de sa veste, je le trouvais. Il posait des pièges à argent partout dans la maison, je n’y touchais pas. Il m’envoyait faire les courses, je lui rapportais sa monnaie."

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