Blackstar : Bowie au zénith d’un crépuscule

 

Ajout de la rédaction, lundi 8h30: David Bowie est mort dimanche à l’âge de 69 ans après s’être battu pendant dix-huit mois contre le cancer, selon un communiqué publié sur son site officiel. Blackstar est l’exact contraire de The Next Day (2013), l’album qui avait surgi par surprise après dix ans de silence. Ils partagent toutefois un point commun : ils sont incroyablement maîtrisés.
 

En 1996, Hubert-Félix Thiéfaine chantait avec ironie qu’il emmenait, dans son ambulance, un critique rock en camisole pour une urgence[1]. Le dernier album de David Bowie a sans doute de quoi rendre fou un tel critique tant le chanteur déroge à la règle – plus d’interviews, plus de concerts, plus de photos –, tant il semble vouloir se passer de tout point de vue de cet ordre[2]. Et pourquoi ne le ferait-il pas puisque critiques et documentaires ressassent la période Ziggy Stardust et la trilogie berlinoise…

 

Si la musique dite savante partageait le même jeunisme que le rock, on n’accorderait que peu d’intérêt au chef d’œuvre de Pierre Boulez qu’est Répons, composé alors que le maître avait presque l’âge de la retraite. La maturité d’un artiste peut s’avérer inutile si celui-ci a tout dit dans ses premières œuvres, si l’inspiration n’était due qu’à la sublimation d’une névrose. Elle peut au contraire être exaltante quand cette inspiration est travaillée et réfléchie.

Blackstar est l’exact contraire de The Next Day (2013), l’album qui avait surgi par surprise après dix ans de silence. Dans le précédent, il y avait 14 titres, courts et nerveux, dans celui-ci, seulement 7 dont le premier dure dix minutes. Ils partagent toutefois un point commun : ils sont incroyablement maîtrisés. Apparemment, Bowie ne souhaite plus qu’une chose : se concentrer sur son art, sans être une star visible – donc une blackstar.

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Comme souvent, tout est polysémique dans ce titre. L’obsession du chanteur pour l’astronomie est toujours présente – dès 1969 avec « Space Oddity » –, le désir toujours intact d’être l’artiste ultime – « Bring me the disco king » en 2003 –, mais la vidéo de « Blackstar » donne une autre interprétation possible. Comme Outside en 1995 et Heathen en 2002, l’album fait écho à un contexte bien sombre. Il ne s’agit plus là de la violence psychotique de la société américaine, ni de l’attentat le plus apocalyptique, mais de la part la plus sombre de l’humain telle qu’elle s’exprime par le biais d’une religion du livre. Un prophète de malheur brandit un livre défraîchi avec une étoile noire en couverture, plus tôt dans le film, un condamné, yeux bandés, chante : « On the day of execution, only women kneel and smile… ». 

L’étoile noire qui brille d’un drôle d’éclat depuis l’Irak et la Syrie n’existe qu’à cause d’un ordre du monde porteur de chaos, mais l’obsession sexuelle manifeste chez ceux qui veulent encager les femmes fait directement référence au Malaise dans la civilisation de Freud. Débordés par leurs désirs, de jeunes hommes choisissent la pulsion de mort dans les rets d’une idéologie absurde et nihiliste. Dans les années 60-70, comme me le soufflait un ami, le rock a permis à toute une jeunesse de canaliser une énergie qui choisit la voie négative si elle ne trouve pas d’issue. Le rap fut aussi un réceptacle, mais aujourd’hui, tous ces mouvements musicaux se sont essoufflés. Seuls quelques rares artistes d’envergure comme Bowie brillent encore pour tenter de dénoncer subtilement des obscurantismes qui veulent nous aspirer dans leur trou noir.

P.S: Cette nouvelle incroyable et terrible, son décès juste après avoir livré cet ultime album... Définitivement dans la légende. Grande tristesse pour tous ceux qui espéraient comme moi encore bien des pépites noires de cet artiste si particulier.

 


[1] « 24 heures dans la nuit d’un faune ».

[2] Voir la critique pédante – désolante puis désopilante – de Didier Péron et Julien Gester dans Libération du 8 janvier.

 

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SOURCE / MEDIAPART

Tag(s) : #musiques
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