Rapport Badinter : le diable est dans le premier article
Réaction de Jean-Marie Harribey au rapport Badinter
 
jeudi 28 janvier 2016, par Jean-Marie Harribey

Le rapport Badinter au Premier ministre rassemble « Les principes essentiels du droit du travail » en 61 articles. L’article 1er en résume la philosophie : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

La première phrase de l’article exprime clairement la garantie des libertés et droits fondamentaux du travail. La seconde phrase soumet cette garantie à deux conditions. La première est l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux qui sont placés sur le même plan que ceux du travail. Rien à redire. La seconde condition à laquelle peuvent être soumis les libertés et droits fondamentaux de travail est les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise. Donc ce dernier est placé sur le même plan que les libertés et droits fondamentaux. Voilà le néolibéralisme en action.

On ne saura pas si le bon fonctionnement de l’entreprise est celui d’une entreprise capitaliste dont le critère essentiel sinon unique est le dividende pour l’actionnaire, mais on peut le conjecturer.

On se rappelle que le traité de Lisbonne de l’Union européenne met au même rang la dignité des personnes, le droit de propriété et la liberté d’entreprise.

L’introduction de Robert Badinter inscrit son rapport dans le cadre des transformations économiques de la société contemporaine sous l’impulsion de « la révolution numérique et de l’irrésistible mondialisation des échanges ». Cela signifie sans doute que ce n’est pas l’économie qui doit s’adapter au respect des libertés et droits essentiels mais l’inverse.

Le jour même où ce rapport est remis au Premier ministre, celui-ci fait semblant de contredire son ministre de l’économie qui estime qu’il faut en finir avec les 35 heures, puisque leur contournement est pratiquement déjà dans les faits (près de 39 heures effectives en moyenne).

Ce qui reste en suspens, c’est le principe de la durée légale qui déclenche le paiement d’heures supplémentaires avec majoration. Là dessus, le rapport Badinter reste flou puisque son article 33 stipule : « La durée normale du travail est fixée par la loi. Celle-ci détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente. Tout salarié dont le temps de travail dépasse la durée normale a droit à une compensation. » Ainsi, en vertu de l’article 1er, qui met le bon fonctionnement de l’entreprise au rang de valeur essentielle, l’article 33 laissera la possibilité de fixer une durée différente de la « durée normale », tout en maintenant le principe de la compensation. Qu’est-ce qui l’emportera, la durée légale avec compensation ou la « liberté » pour une entreprise de faire ce qu’elle veut ?

De la même façon, si l’article 13 précise que « Le contrat de travail est à durée indéterminée. Il ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas prévus par la loi », comment s’établira la partition entre les activités qui relèveront de la règle et celles qui relèveront de l’exception ? Gattaz a déjà répondu à toutes ces questions parce qu’il a lu l’article 1er du rapport Badinter. Une enquête est ouverte pour savoir s’il a lu les autres… si jamais le premier suffisait…

 

Voir : le blog de Jean-Marie Harribey.

Tag(s) : #actualités
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