Jeunes Français partis en Syrie : quelles réponses pour notre sécurité ?

 

1500 jeunes français au moins sont partis en Syrie ! Un chiffre auparavant impensable qui nécessite la recherche de nos responsabilités. N'est-il pas temps de s'en occuper autrement que par la seule menace répressive ? La question de l'organisation Daech est à distinguer de la question de cette jeunesse française révoltée et désespérée, hommes et femmes jetés dans cette violence extrême.
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          De lois d'urgence en déchéance de nationalité, de rétrécissement de base politique en bunkérisation justifiée par courtisans et affidés, de renoncements politiques en reniements républicains, le tout-sécuritaire et tout-répressif, a jeté à la poubelle la première des questions de notre période : Comment vivre la démocratie sous la menace terroriste ?

Quelle efficacité ? Quelle sécurité ?

          Rectifions toute de suite, la réponse de l'exécutif a bien une réponse : restreindre toujours plus les libertés publiques et le champ d'intervention du judiciaire, donner au seul exécutif tout le pouvoir arbitraire possible même si finalement contre le terrorisme le symbole tient lieu d'efficacité. Hors l'urgence post-attentats, ce n'est pas l'efficacité du dispositif répressif et policier qui guide cette politique ni de jeter les bases d'une sécurité durable par des moyens politiques, sociaux, éducatifs, de santé, d'emploi.

Le bilan de la période « état d'urgence » voulue par l'Assemblée Nationale n'a pas encore été établi et discuté que le tandem de l'exécutif entend prolonger l'état d'urgence de trois mois. Notre Président-candidat-pour-un-deuxième-mandat ne veut pas qu'au prochain attentat, que nous craignions tous, les français, les médias, les sondages et l'opposition politique ne puissent pas invoquer la fin prématurée de l'état d'urgence et mettre en cause la responsabilité présidentielle, critique jugée disqualifiante pour ce deuxième mandat tant convoité.

Le bilan judiciaire de cette période a beau être des plus minces [lire ici], on continue [lire rapport Assemblée Nationale]! L'efficacité, c'est d'abord maintenir la possibilité d'une réélection et faire accroire qu'elle assure la sécurité par la brutalité des actions policières, la stigmatisation de fait d'une partie de la communauté nationale [lire Eric Fassin], le chiffre des interventions et l'arsenal répressif toujours renforcé. Cette politique se condamne à l'urgence répétée post-attentats, à renforcer sans cesse, dans une fuite en avant autoritaire et liberticide, globalement inefficace, qui laisse le calendrier aux terroristes. Il est vrai que l'extrême-droite peut fournir à ce président quelques recettes infaillibles !

Brader la République et les libertés publiques pour un deuxième mandat présidentiel c'est Richard III s'écriant « un cheval, mon royaume pour un cheval ! » : Misérable et consternant ! L'Histoire jugera mais nous paierons, certains indûment embastillés à domicile payent déjà.

Mais à qui fera-t-on croire que tout miser sur la répression assure la sécurité ?

Comprendre nos responsabilités dans ce processus de radicalisation

          Le travail pour comprendre en amont les processus de radicalisation de ces jeunes Français est exclu, hors de propos, comme si chacun était, par exemple, programmé génétiquement à partir en Syrie et devenir terroriste. Ce déni d'un processus, sur lequel les responsables politiques ont une responsabilité qui n'exclue nullement la responsabilité personnelle, sous-tend les propos réitérés du Premier Ministre contre sociologues et chercheurs qui tentent de comprendre les processus et les déterminants conduisant à la violence terroriste. Ces propos sont inadmissibles dans la bouche d'un Premier Ministre [lire ici] et [pour la sociologie]. Ils rappellent cette phrase ignominieuse prononcée pour la première fois dans une pièce de Hanns Johst intitulée « Schlageter » en 1933 : « Quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver ».

Qu'est-ce qui est construit pour être efficace à terme dans une large politique de prévention et de développement assise sur la mobilisation de la société civile et l'exercice des libertés publiques ?

Par la mise en oeuvre du seul sécuritaire, du seul dispositif Préfet/forces de l'ordre, le pays est engagé dans une impasse sécuritaire qui non contente de précipiter l'Etat autoritaire et arbitraire, assure une sécurité toute relative : déjouer certains projets d'attentats et, pour ceux exécutés, retrouver et punir les tueurs [lire ici]. Insuffisant.

Comment tarir durablement l'attractivité du départ en Syrie rejoindre l'E.I – condition essentielle à réduire le risque d'attentats de français en France - si ce n'est en modifiant aussi les conditions sociales, culturelles, économiques qui favorisent ce processus de radicalisation ?

1500 jeunes Français et Françaises parti-e-s en Syrie !

          Mille cinq cents jeunes Français et Françaises(1) étaient partis en Syrie et en Irak mi-2015 [les chiffres du Sénat] Plus de Mille cinq cents ! Chiffre inenvisageable il y a peu ! Ce ne sont pas quelques individualités malsaines radicalisées mais des groupes entiers, des fratries qui, dans toute la France, jeunes hommes et jeunes femmes se sont précipités dans cette tuerie. Ce nombre par son ampleur sans précédent même s'il ne concerne qu'une fraction de la jeunesse, celle de jeunes de deuxième génération nés en France ou de Français convertis de fraîche date pose une question : Pourquoi un si grand nombre, un nombre qui peut croître, malgré l'état d'urgence ?

Les trois auteurs des attentats de janvier 2015 (Charlie-Hebo et l'hyper cacher) ont été commis par des Français. Cinq des neuf auteurs des attentats du 13 novembre étaient Français. Nés en France ou grandis en France ne change rien, ces terroristes ne sont pas des étrangers mais des citoyens français qui ont massacré d'autres citoyens français. Faire comme s'ils étaient étrangers est une malhonnêteté, un mensonge qui ne peut cacher notre responsabilité collective. Ils sont connus depuis longtemps, des reportages, des écrits détaillent leur parcours.

Ceux qui sont partis en Syrie peuvent avoir des destins variés, du terroriste forcené au retour désillusionné. Pourquoi ne voit-on pas comme en Angleterre des témoignages de jeunes revenus de Syrie, écœurés par ce qu'ils ont vu et vécu, des femmes témoignant des conditions qui leur sont faites ? Impossible ? Il n'y en a pas ou n'est-ce pas plutôt qu'au retour ils sont considérés seulement comme terroriste, cerveau lessivé à reconditionner ?

Nous devons offrir une autre perspective à ces jeunes tentés par ce nihilisme, cette négation d'eux-même et de tout autre, pas seulement compter sur le seul dispositif répressif qui sera toujours insuffisant [lire Thomas Piketty]et, par là, laisse l'insécurité persister.

Les racines du mal

          Si la France veut mettre un terme au terrorisme de citoyens français sur leur propre sol (et non seulement combattre le terrorisme), elle ne peut pas s'en remettre à la seule répression mais travailler à désactiver ce processus de radicalisation. Combien sont-ils ceux et celles qui souhaitent partir ? N'est-il pas temps de s'en occuper autrement que par la seule menace répressive, digue submersible qui sera toujours submergée si rien ne change dans notre société de l'exclusion ?

Ce processus s'enracine dans un sentiment d'injustice exacerbé, de cultures opprimées, de frustrations accumulées, de discriminations, de ségrégation, d'exclusions réelles et fantasmées dont souffrent bien des jeunes de banlieues et d'ailleurs. La victimisation vite obsessionnelle participe de ce processus face à la violence sociétale qu'est le triptyque discrimination/stigmatisation/exclusion quand ne s'ajoute pas en plus le déni de ces constats désastreux. Pour certains, la radicalisation extrémiste et violente fait son chemin par des rencontres, par la propagande sur internet : c'est le départ en Syrie, ultime valorisation au service d'un fantasme d'idéal où la destruction de soi est l'achèvement d'un parcours de tueur obsédé par le massacre du plus grand nombre dans une coloration pseudo-religieuse, maquillage pratique pour se croire héros, d' « essence divine » quand tout avant signifiait avenir impossible, désespérant.

Les responsables politiques, les politiques menées s'accommodent, quand ils ne les encouragent pas, des inégalités criantes, des discriminations territoriales et d'origine, des exclusions du marché de l'emploi des jeunes surtout les moins diplômés, de la stigmatisation croissante de catégories de la population et d'abord de tout ce qui fait de « l'étranger » une figure-repoussoir : versions arabe, musulmane, immigrée, rom, réfugié... comme jadis italien, polonais, espagnol, turc, juif etc... Trente ans de racisme au grand jour, d'exacerbation des tensions sociétales pratiqués du café du commerce au sommet de l'état ont façonné les consciences et donnent leurs fruits toxiques.

Comme le dit Olivier Roy [lire son article] il s'agit bien d'une islamisation de la radicalité d'une révolte générationnelle et nihiliste. Daech et le vernis islamiste sont l'opportunité du moment, la « modernité » de la radicalité extrême qui le fait héros par le sacrifice de sa vie et le massacre du plus grand nombre : Daech, symptôme monstrueux d'une autre monstruosité : notre société d'exclusion.

L'état d'urgence signe la stigmatisation d'une catégorie de Français musulmans ou présumés tels, s'accompagne de la brutalité des interventions policières, procède de l'arbitraire qui préside aux décisions. Il pourrait, de ce fait, au moins par ressentiment, enclencher ou accélérer chez les plus jeunes ce processus de radicalisation devenu, dans la période, plus souterrain. Les « bavures », les « erreurs », cet arbitraire ciblé laisseront des traces certaines et durables [lire Halim Abdelmalek].

Pour déraciner « discrimination/stigmatisation/exclusion »

          Si nous ne savons pas, par calcul, par intérêt, par paresse, par passivité, entendre cette révolte contre un ordre sociétal insupportable à ceux qui n'en bénéficient pas ; si nous ne savons pas remédier, au niveau politique et au niveau des citoyens à ce triptyque par l'inclusion, la non-discrimination, l'acceptation des différences culturelles, de pratiques religieuses, d'origine ; si nous ne savons pas construire cette société de solidarités pour répondre aux défis de notre temps, alors nous pouvons être sûrs que certains jeunes parmi les plus influençables, les plus démunis, les plus désespérés, les plus exclus, après la victoire sur Daech sauront encore rejoindre à travers le monde d'autres organisations violentes et terroristes, islamistes ou martiennes. Ils auront encore assez de désespoir vengeur pour trouver les voies d'une descente aux enfers sanglantes y compris après Daech, y compris après l'après-Daech, Daech qui lui-même est un après-El Quaïda.

Par leurs désordres de tous ordres, leur radicalité marchande où tout est subordonné au profit quitte à rendre malade, abréger la vie, tuer par la faim, les pollutions (air, eau, alimentation), la contamination, le travail etc... nos sociétés fabriquent depuis bien longtemps des groupes, des catégories de citoyens qui veulent une rupture radicale avec celles-ci. La radicalité de la société occidentale basée sur le seul profit renvoie à la radicalité de ceux qui veulent la détruire. Le basculement dans la violence terroriste est le fait de petites minorités qui attaquent la démocratie par la terreur à travers des organisations qui sont le reflet de leur époque.

Le terrorisme une vieille histoire

          Pour nous limiter dans le temps, les groupes terroristes d'Action Directe en France, de la Fraction Armée Rouge en Allemagne, des Brigades rouges en Italie ont été les organisations terroristes de leur époque. Elles ont toutes sérieusement malmenées la démocratie. Rappelons-nous ces années de poudre (2) que furent les années soixante-dix. La rhétorique terroriste était toujours la même, langage politique stéréotypé contre le capitalisme.

Du terrorisme de l'E.T.A, de l'I.R.A aux attentats du F.N.L.C, d'organisations palestiniennes ou asiatiques, la liste est longue et sanglante de ce terrorisme d'indépendance et du contre-terrorisme par les attentats voulus ou manipulés par des états et des services secrets (la France elle-même dans le port d'Auckland) comme ceux entre organisations rivales.

Chaque époque a eu son lot de terroristes et d'organisations criminelles accompagnés d'une rhétorique auto-justificatrice. Notre époque ne fait pas exception. Ce n'est pas, hélas, une nouveauté même si elle est, par le public visé, d'ampleur inégalée.

Mondialisation des échanges – mondialisation du terrorisme

          Aujourd'hui, à la mondialisation des échanges correspond la mondialisation du terrorisme. La rhétorique est toujours stéréotypée, elle a simplement changé de registre en prenant aujourd'hui un langage religieux falsificateur (les terroristes sont toujours des faussaires du langage). La même radicalité par la violence mais une violence démultipliée. La mondialisation a fait changer d'échelle les échanges marchands, les marchés ; les terroristes se sont mis à cette échelle. Leur terrain c'est le monde ; le moyen, terroriser les populations, leur but, abattre les démocraties, promouvoir un Reich islamique mondial (en attendant une autre folie). Défi pour la démocratie, perdu par le seul recours à la répression.

La question de l'organisation terroriste Daech et son anéantissement est à distinguer de la question de cette jeunesse française révoltée et désespérée qui a épousé cette violence. Celle-là est affaire de coalition internationale, de jeux et d'enjeux politiques internationaux, celle-ci est d'abord une affaire nationale prioritaire.

Notre responsabilité collective de citoyen est engagée. La responsabilité de la classe politique est engagée, la responsabilité du gouvernement de la République et de son chef est engagée : nous devons offrir particulièrement aux plus fragiles et aux plus démunis de nos jeunes, non la perspective d'un avenir impossible mais celui d'un possible avenir, ensemble dans une possible solidarité qui n'est pas autre chose qu'une communauté d'intérêts compris et assumés.

          La fermeture des postes d'éducateurs de rue ne va pas dans cette direction [lire ici]. Le signal politique à apporter est d'une tout autre visée que ce tout-répressif : Il devrait avoir l'ampleur d'un « plan Marshall pour la jeunesse » dans l'accès à l'emploi, la fin des stigmatisations et des discriminations, le désenclavement de territoires, banlieues et pays, la construction de liens de voisinage pour donner une perspective crédible à une citoyenneté partagée, inclusive. Bref un autre souffle, un autre projet pour la France et les Français, tous les Français sans distinction. L'intérêt personnel exclusif, le chacun pour soi, le rejet de l'autre, trois maux de nos sociétés qui acceptent par là, de facto, d'en payer le prix par une révolte sanglante d'une partie croissante de sa jeunesse perdue dans le terrorisme.

Le tout-répressif que constitue l'état d'urgence, la réforme constitutionnelle et la réforme de la procédure pénale sacrifie la République et l'unité de la Nation pour un jeu politicien : un nouveau mandat présidentiel. Ce tout-répressif est une digue, une ligne Maginot : elle sera submergée tôt ou tard, elle sera contournée tôt ou tard si rien n'est fait ou si peu fait, qui n'est pas de l'ordre du répressif mais de la construction d'une société inclusive par la démocratie et les initiatives encouragées de la société civile. Alors ce tout-répressif d'urgence ou permanent, cet empilement de textes législatifs et constitutionnel c'est l'insécurité organisée comme moyen d'une politique de la peur dans un état de police et de suspicion [lire ici]

Nous sommes comptables de tous nos jeunes. En choisir certains et rejeter les autres, c'est périr.

(1) « A la date du 9 mars 2015, les services de renseignement avaient recensé un total de 1 432 ressortissants français partis vers les zones de combat syro-irakiennes, 413 se trouvant effectivement dans les zones de combats, dont 119 femmes. Un total de 261personnes auraient quitté le territoire syro-irakien, dont 200 pour regagner la France. 85 seraient présumées décédées sur place et 2 seraient emprisonnées en Syrie.», p.9 Rapport du sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, Avril 2015.

 (2)Hamon et Rotman, « Génération, 2. Les années de poudre», Seuil, 1988

 

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SOURCE/ MEDIAPART

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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