- 8 août 2016
- Par ermler
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Monsieur le président,
Monsieur Valls, votre premier ministre, nous annonce avec certitude "d'autres morts". Monsieur Trevidic, ex-juge antiterroriste, nous prédit "une année épouvantable". Nous voici prévenus. Nous mourrons et ce sera épouvantable. Nous attendons. Nous sommes prêts. Je suppose que c'est ce que vous, président, attendez de nous! Etre prêts à supporter l'horreur ! Une horreur prolongée. Ne vous inquiétez pas. Nous ferons face. Avec la résignation froide du citoyen qui est "en guerre". La guerre suppose des sacrifices, n'est ce pas ? Tout est bien.
Je ne suis pas un "pacifiste" au sens munichois. Je veux bien risquer ma vie, celle de mes proches, mes parents, mes amis, mes concitoyens ou n'importe quel malheureux qui foulera le sol de mon pays. Oui je veux bien, pour un combat légitime, pour une guerre nécessaire risquer tout cela. A condition que cette guerre - qui est la pire des choses mais à laquelle il faut quelquefois se résoudre, l'Histoire nous l'a appris - à condition que cette guerre donc, en plus d'être légitime et nécessaire soit également gagnable. Or, avant de me préparer le plus dignement possible à affronter l'épouvante annoncée, je vous pose la question :
Cette "guerre", monsieur, est-elle légitime ? Est-elle nécessaire ? Est-elle gagnable ?
Selon vous, président, je n'en doute pas (sinon quel monstre d'irresponsabilité vous seriez!), la réponse à ces trois questions est "oui". Selon moi, citoyen ordinaire, la réponse est" non". Nous avons un désaccord.
Le citoyen, en un pareil débat, a un désavantage certain sur le président. D'abord par ce qu'il n' a pas son pouvoir et son autorité, ensuite parce que - c'est une chance pour vous, monsieur ! - on entend fort peu de voix remettre en question le fondement de cette "guerre". Certes, les débats sont nourris. On disserte à n'en plus finir sur la religion et la laïcité, la fraternité et la fermeté républicaine, l'état de droit et l'état d'urgence... Certains, voulant plonger aux racines du mal, nous parlent de misère sociale, d'inégalités, de discriminations et de toutes les fautes politiques commises depuis trente ans. Y compris les vôtres. C'est bien. Ces palabres ne vous ébranlent pas puisque personne ou presque ne remet en cause l'"essentiel", le bien-fondé de votre guerre ! Puisque personne ou presque n'ose exiger l'arrêt de vos bombardement en Syrie et en Irak. L'opinion publique, les intellectuels des deux rives, les médias même les plus critiques, vos opposants politiques même les plus "à gauche", aucun n'a la "lâcheté" d'exiger que vous cessiez votre guerre. Car aucun n'oserait donner cette "victoire" à Daech ! N'est-ce pas une guerre de la démocratie contre l'islamo-fascisme ? De la civilisation contre la barbarie ?
Ce consensus du "courage" me consterne et m'effraye. J'en pleurerais s'il ne me fallait économiser mes larmes pour les semaines, les mois, les années à venir, quand elle se mêleront au sang versé que monsieur Valls nous a promis et dont monsieur Trévidic nous annonce l'épouvantable ampleur.
Mais trêve de larmes ! Venons-en au fait. Parlons Histoire. La vôtre d'abord.
Qui a voulu cette guerre ? Vous, monsieur ! Quand ? Un jour de septembre 2014 quand vous avez décidé de bombarder l'Irak puis la Syrie. Cette décision a-elle été préalablement débattue au parlement, soumise au débat public, à l'approbation des citoyens? En a-t-on évalué publiquement la nécessité et les conséquences? Non. La Ve république qui vous protège de tout vous dispense de ces formalités démocratiques.
Il faut être honnête, peu de voix se sont élevées alors pour contester le choix du monarque. "De tels barbares ! Ca se bombarde sans états d'âme! " Consensus déjà par le silence, au mieux des murmures vite étouffés. On "vivait" encore en ce temps là. On respirait l'air des terrasses, on dansait au Bataclan, on déambulait sur le front de mer de Nice, un vieux prêtre disait encore la messe dans une obscure église de Normandie... Vous souvenez-vous qu'avant votre "décision" aucun attentat revendiqué par Daesh n'avait encore frappé notre territoire ?
Aviez-vous, le jour de cette décision, mesuré ses conséquences ? Bien sûr que non ! Pas plus que nous, pauvres fous ! Mais peut-être que cette guerre, après tout, était vraiment nécessaire, légitime, juste et que le Bien ne mégote pas sur les morts quand il s'agit de terrasser le Mal ?! A ce propos quel mal avez-vous donc terrassé, vous et vos alliés anglo- américains, en deux années de bombardements ? Quel est votre bilan ? Combien de milliers de tonnes de bombes jetées ? Combien de morts civils, de femmes, d'enfants tués là bas? Pour quel résultat ?... Pourquoi êtes-vous si discrets sur ces chiffres, sur ce bilan ? Pourquoi ne rendez-vous jamais compte de cela ? Par pudeur ? Il est vrai que les morts de votre guerre ne se comptabilisent que lorsqu'ils succombent en France. A l'unité près et répété en boucle. En Syrie, en Irak on ne compte pas... c'est un détail de l'Histoire sans doute. Et Daech est toujours debout ! Et Daech pavoise.
Revenons à l'Histoire. Qu'avez-vous donc, vous président, retenu des guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye ? Toutes ces guerres, souvenez-vous, ont été menées au nom de la démocratie contre la barbarie et le terrorisme. Du Bien contre le Mal. Toutes ! Ces guerres ont-elles fait reculer la barbarie, le terrorisme ? Non elles les ont multipliés ! Toutes ! Ont-elle vaincu le mal ? Non il a empiré. Ces guerres-là ne se gagnent jamais !
Combien de folies guerrières faudra-t-il encore que nos "démocraties" commettent pour comprendre enfin que l'interventionnisme dans des pays en guerre civile conduit systématiquement au désastre, au chaos ? Non, vous n'avez rien retenu ! Vous vouliez écraser Daech ? Mais Daech a déjà gagné. La terreur règne en France. Pour longtemps. Monsieur Trevidic (toujours lui) nous promet un possible recul du jihadisme ..."dans dix ans...peut-être". Vous noterez l'optimisme raisonnable de ce "peut-être". En attendant vous bombardez et des civils meurent en Irak, en Syrie. Vous pilonnez et on meurt en France. On mourra encore. Beaucoup. Longtemps. Nous sommes prêts. Nous attendons.
Un autre rappel historique, si vous permettez. Connaissez-vous Zapatero ? C'est un "social-libéral" comme vous. II a dirigé un état, comme vous. Nous sommes en 2004. En Espagne. Al Quaida (le Mal se nomme ainsi à l'époque) y commet des attentats qui font deux cents morts. Arrivé au pouvoir quelques jours après, ce même Zapatero décide le retrait immédiat des forces militaires espagnoles en Irak. Depuis ce jour plus aucun attentat islamiste commis en Espagne. J'ajoute que personne n'a jamais accusé Zapatero de "capituler face au terrorisme". Mais vous n'êtes pas Zapatero, n'est-ce pas ? En effet, vous n'êtes pas Zapatero. Vous n'êtes pas le genre d'homme d'état qui épargne la vie de ses compatriotes pour renoncer à une guerre meurtrière, inutile et contreproductive. Vous, monsieur, vous jouez dans la cour des "grands". Ceux qui ont perdu la guerre du Vietnam.
Je sens que mes rappels historiques vous fatiguent. Vous n'aimez pas l'Histoire, peut-être ?
Et puis, je le sais bien que vous ne serez jamais Zapatero. Que jamais, vous président, ne cesserez de bombarder en Syrie et en Irak. Car vous perdriez la face, n'est-ce pas ? Sauver la face d'un président, ça vaut bien des dizaines, des centaines de morts en France ! Ca vaut bien une année d'épouvante ! Que valent nos vies contre la face sauvée d'un président tel que vous ? Dans neuf mois vous ne serez plus à L'Elysée, car on vous en chassera, vous le savez. D'ici là, il ne nous reste plus qu'attendre. La mort. L'épouvante. Un chaos de haines, de peurs, de fantasmes...Tout est bien. Nous sommes en démocratie. Nous attendons.
Oui, je vous fatigue et il est temps de conclure. Voici ma conclusion :
Monsieur François Hollande,
Je vous accuse de mettre NOS vies en danger pour mener VOTRE guerre ! Une guerre meurtrière, inutile, contreproductive et ingagnable.
Je vous accuse, sous couvert de combattre le terrorisme, d'avoir déchainé le terrorisme sur notre sol et de le rendre in-maitrisable.
Je vous accuse d'avoir décidé seul cette guerre dans l'unique but de soigner votre "stature internationale".
Je vous accuse, pour compenser une politique intérieure désastreuse faite de mensonges et de reniements, d'avoir pensé rétablir votre image extérieure en vous faisant guerrier. Un guerrier "terrassant le terrorisme" de l'Afrique au Moyen-Orient. Prétention aussi vaine qu'arrogante dont nous payons la folie au prix fort.
Je vous accuse de poursuivre la sale besogne commencée par Bush et Blair qui sont les créateurs de Daech, de poursuivre les mêmes aventures qu'eux, les mêmes chimères.
Je vous accuse d'intervenir sans légitimité ni mandat dans des guerres civiles qui doivent être l'affaire des seuls pays concernés et des peuples de ces pays.
Je vous accuse de faire le jeu de Daech qui se régale que nous le traitions en ennemi et qui nous le fait savoir comme vous le savez.
Dans un pays vraiment démocratique, vous seriez destitué, traduit en justice, peut-être. Mais notre démocratie, qui, pour l'instant, peut encore tolérer des propos tels que les miens, ne monte pas aussi haut. Elle ne peut vous atteindre. Vous, président, on vous hait, moi, citoyen, on m'ignore. C'est le lot de celui qui est tout en haut et de celui qui est tout en bas. C'est tout. Vous ne risquez rien. Dans neuf mois vous serez ex-président. Vous voyagerez dans le monde, donnerez des conférences à 100 000 euros. Pendant ce temps, nous, citoyens, nous comptabiliserons nos morts, nos haines et nos peurs, nos plaies passées et à venir. Nous apprendrons à gérer l'épouvante. Tout est bien.
Patrice Muller
Strasbourg, 8 août 2016
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SOURCE/ MEDIAPART