« Surveillance ://. Les libertés au défi du numérique : comprendre et agir » / Tristan Nitot.- Caen : C&F Éditions, septembre 2016
Analyse à paraître dans la revue I2D Information, Données & Documents
« Souriez, vous êtes filmés ! ». Qui ne connaît pas cette phrase transposée ici aux réseaux informatiques : « vous êtes surveillés ». Que Google et les autres suivent en permanence les multiples traces laissées lorsque nous consultons l’Internet, nous le savions. Avec Tristan Nitot, nous découvrons bien d’autres aspects non connus nécessairement de tous. Nos ordinateurs, tablettes et smartphones sont truffés d’enregistreurs de données et tous les objets connectés aujourd’hui, et de plus en plus à l’avenir, ces objets intelligents censés nous aider (« podomètre mouchard » et autres), ceux que nous activons à distance pour le bien-être de nos intérieurs, ceux qui doivent attirer notre attention sur des publicités customisées, nous épient eux aussi.
Les Gafa, acteurs privés, utilisent ces données ; les États aussi. Toutes les dérives liées à la concentration de données entre quelques mains devraient nous faire frémir. C’est ce qui permet à une société de la surveillance et du formatage de prospérer : harcèlements, manipulations, et autres dérives découlent aussi de ces piratages de données personnelles devenus si banals qu’on finit par oublier les risques encourus.
Mais que fait la Cnil ? Conventions, chartes, règlement européens, lois, etc. Un bref panorama nous est donné. L’environnement juridique devrait nous protéger. On s’y efforce, c’est vrai, et l’action sur ce point doit être maintenue, voire renforcée.
Parmi les adages dangereux, le fait que « l’on aurait rien à cacher ». La confiance ne peut, pourtant, manquer d’être ébranlée. Elle devrait lorsque l’on apprend les trésors de précautions pris par les responsables des Gafa pour préserver leur intimité. « On a tous quelque chose à cacher » à titre privé et à titre professionnel lorsqu’il s’agit de secrets d’entreprise. Oui, mais lesquels ? Si l’on évoque Edward Snowden, oui et non. Quel équilibre ? La question n’est pas simple mais elle ne doit pas être éludée.
« Décrypter les mécanismes de la surveillance », c’est ce que propose Tristan Nitot. Il démontre les avantages de la transparence, en l’illustrant par le logiciel libre, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. On y fait le point sur les données collectées par Facebook, celles que moissonne Google, le « piège de la gratuité ». S’interroger alors sur l’opportunité du modèle fremium, sur le manque de compréhension des utilisateurs, sur ces sociétés de l’Internet qui sont souvent opaques, sur les évènement liés à l’actualité, comme Apple, dont le modèle économique a permis de s’opposer au FBI, on s’en souvient. Le cloud, par ailleurs, n’a rien d’éthéré. Quid des surprises de la sérendipité si on ne me montre que ce qui est censé me convenir, ou de la prédictivité fort aléatoire ?
Dans cet ouvrage, ce sont deux chapitres pour « comprendre » (des tableaux utiles, des explications très claires) mais aussi deux chapitres pour « agir » qui nous sont proposés. On est effectivement acteur de ses libertés et plusieurs outils à la portée de tous sont présentés pour garder le contrôle de ses outils et pallier le fait que « le mieux est l’ennemi du bien ».
Que faire ? Une surveillance de masse pour quels résultats ? Plusieurs institutions se mobilisent pour éviter les dérives d’une telle surveillance. A titre individuel, ne pas oublier de lire les privacy policies, indispensable pour une prise de conscience. Par ailleurs, on nous donne aussi des pistes pour reprendre le contrôle sur nos données – garder la maîtrise de son serveur, chiffrer ses messages, s’interroger sur la gratuité de l’accès, « faire mieux que les systèmes centralisés », paramétrer ses outils informatiques sur le plan de la navigation, de la messagerie ou Google, bien choisir son smartphone, utiliser intelligemment les médiaux sociaux, etc. Autant de bonnes pratiques à acquérir et dont l’ouvrage fournit un mode d’emploi.
Une publication indispensable pour prendre conscience des enjeux en termes de démocratie, de liberté… et reprendre la main sur ses données et sa vie.