Le ministère de la Culture a annoncé en début de semaine le lancement d’un Appel à Manifestations d’Intérêt (AMI) « Culture, Patrimoine et Numérique » destiné à « soutenir le rapprochement d’organismes publics culturels et de partenaires issus du secteur privé au sein de sociétés de projets valorisant la culture et la communication par le numérique. » Ce dispositif est accompagné par le Commissariat général à l’investissement et bénéficiera d’un financement de 100 millions d’euros.
On pourrait se réjouir de voir des fonds aussi importants débloqués pour le secteur culturel et la valorisation du patrimoine. Mais le collectif SavoirsCom1 tient une nouvelle fois à mettre en garde contre de tels partenariats public-privé, notamment lorsqu’ils portent sur la numérisation de corpus d’œuvres appartenant au domaine public.
Parmi les domaines sur lesquels les projets peuvent porter figurent en effet explicitement : la « numérisation, création, production, gestion, valorisation et diffusion des contenus numériques et des données associées ».
En 2013, le collectif SavoirsCom1 et plusieurs associations de la sphère du Libre s’étaient élevés contre des partenariats public-privé conclus par la Bibliothèque nationale de France et des sociétés privées pour la numérisation de fonds d’ouvrages et d’enregistrements musicaux. Le partenariat avec la société Proquest notamment comportait une exclusivité d’accès de 10 ans durant lesquels les corpus ne peuvent être diffusés en ligne. Nous avions dénoncé dans ce montage une privatisation du domaine public et une confiscation du bien commun que constitue le patrimoine culturel.
En dépit de la polémique soulevée à l’époque par cette affaire, ce nouvel appel à projets « Culture, Patrimoine et Numérique » n’offre hélas a priori aucune garantie que des dérives similaires ne surviendront pas.
Le cahier des charges auquel les porteurs de projets devront se conformer précise que « les projets ciblés doivent démontrer une rentabilité économique à un horizon de temps adapté. » Mais les critères de sélection n’encadrent à aucun moment les exclusivités qui pourront être concédées aux sociétés privées, ni dans leur nature, ni dans leur durée. Par ailleurs, comme on pouvait hélas s’y attendre, le terme même de « domaine public » n’apparaît à aucun moment.
On peut donc redouter que ces millions d’euros des Investissements d’Avenir servent une nouvelle fois à alimenter la machine à copyfrauder, qui n’a déjà que trop lourdement sévi en France.
Précisons par ailleurs, que d’un point de vue légal, la situation est pire aujourd’hui qu’en 2013. La loi Valter adoptée en décembre 2015 a en effet gravé dans le marbre le principe du recours aux partenariats public-privé en matière de numérisation des collections patrimoniales et elle permet d’accorder des exclusivités de toute nature, pour une durée pouvant aller jusqu’à 15 ans.
Il est regrettable que le ministère de la Culture n’ait même pas tenu compte de l’évolution de la pratique des partenariats public-privé de numérisation. La BnF notamment, à travers sa filiale BnF-Partenariats, a conclu plusieurs partenariats suite aux accords Proquest. Or on a pu constater un progrès au fil du temps dans la mesure où la BnF a privilégié des exclusivités plus courtes et des modèles de Freemium, dans lesquels l’accès gratuit en ligne est préservé en déplaçant le modèle économique vers des services à valeur ajoutée.
Le ministère aurait pu s’appuyer sur ces acquis d’expérience pour garantir un équilibre entre préservation du domaine public et rentabilité économique. En ne le faisant pas, il ouvre la porte à une régression et à de nouvelles dérives.
Les partenariats public-privé ne sont pas en eux-mêmes à rejeter à condition que l’État joue son rôle de garant en fixant des principes clairs de régulation et qu’ils ne soient pas source d’enclosures. Par ailleurs, il pourrait favoriser la diversité des modèles en suscitant aussi des partenariats public-Communs, dont l’intérêt serait certain dans le champ culturel.