Cinéaste à la fibre sociale, Lucas Belvaux s’est lancé un défi inhabituel dans le cinéma français : participer au débat de la prochaine élection présidentielle avec un thriller psychologique. Chez nous, interprété par Emilie Dequenne, André Dussollier et Catherine Jacob, sort en salles le 22 février. Le cinéaste belge installé en France, qui a déjà obtenu des succès en salles (notamment avec son précédent film, Pas son genre), entend faire barrage, à sa manière, au Front national. Il montre donc comment un parti populiste imaginaire (« le Bloc ») s’implante dans une petite ville du nord de la France : en instrumentalisant une infirmière connue et appréciée de tous, donc candidate locale idéale.
Dès le lancement de la bande-annonce sur Internet, le Front national s’en est pris vivement au réalisateur. L’avocat Gilbert Collard, secrétaire général du Rassemblement bleu Marine a tweeté : « Emules de Goebbels, les productions du système produisent Chez nous, à nos frais, film de propagande anti-FN: rideau ! » Gilles Pennelle, président du groupe Front national au conseil régional de Bretagne a dénoncé un « film de bobos avec des bobos pour les bobos »... Tout sauf surpris par ces réactions, Lucas Belvaux revient pour telerama.fr sur ses intentions et sur la difficulté à créer, en temps réel ou presque, une fiction à partir de notre réalité sociale et politique.
Quelle est l'origine de Chez nous, votre film le plus engagé ?
J’ai tourné mon film précédent, Pas son genre, à Arras, pendant plusieurs semaines, peu avant les élections municipales de 2014. Les sondages donnaient le Front national très haut dans le Nord-Pas-de-Calais. Nous travaillions avec beaucoup de gens du coin, techniciens, figurants, ou propriétaires des lieux qui servaient de décors au film. Ils étaient sympathiques, agréables, mais, statistiquement, entre 30 et 50 % d’entre eux votaient pour le Front national. J’en suis venu à me poser la question à propos de mon personnage principal, cette coiffeuse déjà jouée par Emilie Dequenne. Mais ce n’était pas le sujet de ce film-là… Plus tard, j’ai pris contact avec Jérôme Leroy, auteur du Bloc, un roman noir qui raconte l’arrivée au pouvoir d’un parti d’extrême-droite, et nous avons écrit un nouveau scénario ensemble, en reprenant certains de ses personnages.
Comme Hénin-Beaumont, la ville fictive de Chez nous est située près de Lens...
Je ne peux pas envisager des personnages en dehors d’une géographie précise. En l’occurrence une région traversée par les séismes de l’Histoire européenne depuis des siècles, et notamment par deux guerres mondiales et deux révolutions industrielles en cent cinquante ans. Ça laisse des traces profondes, des fractures. Le nord de la France est un territoire où j’ai beaucoup tourné et que j’aime, notamment parce qu’il me rappelle la Wallonie, où je suis né. Les enfants y trouvent encore des obus en jouant dans les champs et ils dévalent des terrils. Les agriculteurs travaillent entre les cimetières militaires. La géographie structure la vie des gens. Elle peut aussi la déstructurer. Ce qui était un monde rural cohérent est devenu périurbain, une suite discontinue de périphéries, où les habitants se sentent rejetés, oubliés. Hier citoyens, ils se vivent aujourd’hui comme marginaux, inadaptés.
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Avec "Chez nous", le réalisateur belge installé en France utilise les armes de la fiction pour dénoncer, en pleine campagne présidentielle, les méthodes d'un parti populiste d'extrême-droite ...
SOURCE / TELERAMA, suite et fin de l'entretien avec LUCAS BELVAUX