Même en lisant beaucoup, même en étant ancien libraire et actuel bibliothécaire, un roman important, un auteur important peut nous échapper. Ce fut le cas en 2014 pour Antonio Moresco, écrivain italien célèbre qui publia chez Verdier, La petite lumière. Un grand merci à La grande libraire sur France 5 (le jeudi soir) pour nous avoir permis de remédier à cet oubli. Séance de rattrapage.

 

 

Parfois, la première phrase d'un roman donne le ton, c'est le cas ici : « Je suis venu pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant. » Écrit à la première personne du singulier, ce roman étrange et beau, insère en nous la voix du narrateur. Un narrateur qui vient de se retirer du monde, enfin d'un monde. Seul, il vit dans un village déserté où la nature reprend peu à peu ses droits. La nature et les animaux. Comme une retraite possible face à un monde menaçant et chaotique. Le lent processus naturel de la végétation est à l'œuvre alors qu'une tempête est proche et que la terre vibre dans cette zone sismique. Alors que la vie solitaire est choisie, alors que ce retrait du monde parle déjà au lecteur attentif, un fait étrange survient.

 

Une petite lumière à l'horizon.

 

Chaque soir elle revient, insolite et insistante. La trouver, comprendre. Non sans mal, le narrateur découvre alors un enfant, dans une maison assez mystérieuse, un enfant en culottes courtes, vivant seul. Il fait sa lessive, prépare ses repas, va à l'école. Peu à peu le dialogue se fait entre cet homme retiré de la vie, et ce garçon solitaire. Qui est cet enfant ? Des rumeurs dans un village à proximité. Quelques confidences de l'enfant ne donnent pas de pistes. Vies minuscules, instants volés, jonction de deux solitudes, éloge de la sobriété choisie, small is beautiful, comme une luciole face au cosmos, liberté de vivre, Thoreau dans les parages... Éloge de la lenteur et de l'instant face au règne de la vitesse d'un monde de plus en plus chaotique. Être présent à l'autre, être présent à soi-même. Antonio Moresco signe là un récit mystérieux, envoûtant, laissant à l'imaginaire du lecteur une vaste et belle place. Moins il en dit, plus fort est son récit autour de ces deux êtres fascinants au milieu d'une nature omniprésente. A la fin du roman...comme une envie de le relire, puis de le partager et de faire que la vie de ce livre continue, dans l'attente d'une autre publication signée Antonio Moresco.

 

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La petite lumière

Antonio Moresco

Traduit de l'italien par Laurent Lombard

Éditions Verdier

Collection Terra d'altri

2014 / 128 p / 14 euros

 

Cet ouvrage a reçu le Prix de la Librairie Nouvelle (Voiron) 2014 et le Prix des Rencontres à Lire de Dax 2015.

Le site de l'éditeur

Extrait

Le soleil vient tout juste de s’effacer derrière la ligne de crête. La lumière s’éteint. En ce moment, je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d’être englouti par l’obscurité. Mon corps est immobile sur une chaise en fer dont les pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol, et pourtant, de temps en temps, j’ai le souffle coupé, comme si je chutais, assis sur une balançoire aux cordes fixées en quelque endroit infiniment lointain de l’univers.

Le ciel est traversé par les dernières hirondelles qui volent, çà et là, comme des flèches. Elles passent en rase-mottes au-dessus de moi, s’abattant tête la première sur de vastes sphères d’insectes suspendus entre ciel et terre. Je sens le vent de leurs ailes sur mes tempes. Je vois distinctement devant moi le corps noir, plus caréné et plus grand, de quelque insecte englouti par une hirondelle qui le suivait le bec grand ouvert en lançant des cris. Le silence est tel que j’arrive même à entendre le craquement de son corps qui continue à souffrir, broyé et démembré, dans le corps de l’autre animal qui remonte grisé dans le ciel.

 

Tag(s) : #lectures
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