Les Roms, des citoyens comme les autres ?

Ce film aurait pu s’appeler : « Les Roms en Europe en 2017 », car ce sont les Roms et c’est l’Europe qui apparaitront à l’écran pendant quatre-vingt-dix minutes.

C'est un pari presque impossible à traiter qu'un sujet aussi vaste en une heure et demie. Néanmoins le film réalisé par Samuel Lajus trouvera sa place dans l’histoire des Roms et dans la grande Histoire commune. Le temps lui donnera raison parce que cet état des lieux, aussi incomplet qu'il puisse à première vue sembler, a mis en images notre histoire contemporaine dans sa durée, même si nous voyons défiler une partie seulement de cette histoire qui remonte à la chute des régimes communistes en 89, avec une rapide incursion jusqu’au congrès fondateur de 1971.

Il faudrait sans doute réaliser une bonne demi-douzaine de films sur le sujet pour montrer mieux encore notre condition de Roms, citoyens comme les autres avec ce point d’interrogation pour nous prévenir d’emblée qu’il n’est pas certain que nous soit accordé partout en Europe le titre de citoyens ordinaires.

Il le faudrait, parce que la question est si large que dans ce cadre, avec ses contraintes en 90 mn, l’histoire des Roms et de leur citoyenneté, leur participation active ou passive à la marche des affaires, aux débats culturels et politiques dans certains pays n’a pas pu être abordée.

L’intérêt premier de ce film vient de ce que pour une fois, et c’est rare, il n’est pas construit comme une documentaire animalier. Pour une fois, dans cette histoire de Roms, le héros n’est pas un Gadjo, le héros n’est pas une équipe de Gadgés. Samuel Lajus a su éviter le côté « Tintin, reporter en terre inconnue » et ne confisque surtout pas l’écran pour se lamenter sur les inévitables difficultés du tournage. La dramaturgie habituelle et grotesque de « l’aventure en terrain hostile » de « l’immersion dans une culture étrange» nous est épargnée. Le réalisateur et son équipe se sont totalement effacés pour laisser toute sa place au sujet premier du film.

En tant que militant de la cause tsigane, j’ai cet avantage, ou cet inconvénient, de connaître personnellement presque tous les intervenants, qu’ils/elles soient Roms européens, membres du Conseil de l’Europe ou de la Commission européenne, etc. Mais la sympathie et l’estime que j’éprouve à leur égard pouvait aussi fausser mon jugement et il m’a fallu au cours de la projection m’attacher à comprendre et analyser leurs paroles, faire abstraction de leur visage amical, parce que je serais alors sorti de la salle très heureux d’avoir vu défiler cet album de famille et le bonheur de voir et d’entendre s’exprimer des amis chers ne suffit pas pour écrire un compte-rendu objectif.

Néanmoins, leur témoignage sans filtre est fondamental et c’est une bonne chose de le rendre public, en parler et en débattre, le conserver, le revoir et le réentendre dans quelques années, avec l’espoir que la reconnaissance de la citoyenneté des Tsiganes soit, grâce à eux, et grâce à ce film, devenue enfin pleine et entière.

Outre les images d’archives, les témoignages de militants et de membres des instances européennes, le film s’attarde assez longuement, trop peut-être, sur le discours de trois universitaires français, Eric Fassin, Martin Olivera et Henriette Asséo.

Leurs propos sont évidemment très pertinents, mais sans aucune malice dans la comparaison, chaque cheval court dans son couloir. Le malaise vient de ce que leur discours individuel est livré tel-quel, sans débat, sans nuance ni contradiction et qu’il vient parfois contredire la vision que les Roms se font d’eux-mêmes, et qu’à défaut de débat, le spectateur, peu au fait de la question rom, plutôt que de pencher du côté des rabouins, penchera inévitablement pour les savants, ceux qui ont travaillé, étudié, mis à distance, analysé sans apriori ni passion la question rom.

Certains propos de ces trois universitaires viennent démolir impitoyablement les convictions et les paroles de ceux qui sont nés roms, et qui dans leur vie, leur travail, leur famille, leur village ou leur ville ont vécu la question rom, ont subi la question rom, pendant 30 ans, 40 ans, 60 ans et plus, et depuis tant d’années se battent pacifiquement, patiemment, avec courage, avec opiniâtreté, avec une vraie citoyenneté, avec l’espoir que l’avenir de leurs enfants soit différent de leur passé à eux.

Il est possible que ces universitaires aient complètement raison, mais la vérité "scientifique" de l'histoire, de l'ethnologie, de la sociologie, peut-elle prétendre encadrer et contrôler entièrement le discours militant ?

Souhaitons que le prochain film mette fin à ces monologues et laisse toute leur place aux dialogues indispensables entre tous les acteurs de la citoyenneté européenne, élus, Tsiganes, thésards et doctorants, décideurs de Strasbourg et de Bruxelles.

Documentaire (90 mn) de Marion Lièvre, Olivia Barlier & Samuel Lajus réalisé par Samuel Lajus © Stephan Massis – Chef Opérateur du film
Qui sont les Roms ? Pourquoi leur situation ne cesse de se dégrader ? Entre aberrations politiques, libéralisme, montée des populismes, les Roms incarnent une histoire symptomatique de notre Europe.
Une coproduction Mélisande films & ARTE France avec le soutien du CNC et de la Procirep Angoa Diffusion prévue sur Arte le 18 juillet 2017 à 22h20

Depuis le lancement en juin dernier à Berlin de l'Institut Européen des Roms pour les Arts et la Culture, European Roma Institute for Arts and Culture, chacun de mes billets Médiapart sera maintenant accompagné d'une illustration reproduisant une œuvre d'un artiste rom contemporain.

Ci dessous,  CARAVAN une œuvre d'Alfred Ullrich, Rom, peintre et graphiste d'Allemagne, avec son amicale et chaleureuse autorisation, dont vous pourrez retrouver la biographie, le parcours artistique impressionnant et les œuvres sur son site : http://kaidikhas.com/en/artist/alfred_ullrich/works de même que ses tweets sur  @alfredullrich1

 

Caravan par Alfred Ullrich Peintre Rom d'Allemagne avec son aimable autorisation http://kaidikhas.com/en/artist/alfred_ullrich/works Caravan par Alfred Ullrich Peintre Rom d'Allemagne avec son aimable autorisation http://kaidikhas.com/en/artist/alfred_ullrich/works

Le Club est l'espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n'engagent pas la rédaction.

 

SOURCE/ MEDIAPART.FR