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NDDL : Et toc ! Récit d'un jour de victoire
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Et TOC ! Récit d'un jour de victoire

Pourquoi y avait-il tant de gendarmes autour de la zad le 17 janvier ?
Pourquoi l’hélico faisait autant de bruit dans le ciel enfin bleu
au-dessus du bocage ? Pourquoi les journalistes parlaient-ils tant
d’évacuation, de futurs blessés, de morts même, alors que dans la zone,
pas un flic ne montrait le bout de sa matraque ? Pour couvrir
l’événement. Couvrir le bruit retentissant que cette victoire allait
faire résonner, ici, partout. Couvrir de peur et d’angoisse la liesse
qui s’est emparée de tout un mouvement de lutte, endiguer cette énergie
pour ne pas qu’elle déborde des écrans, des ondes, des éditoriaux.
Couvrir, comme un voile de menace pour que ce triomphe n’apparaisse pas
comme tel. Mais il est des instants qui ne se laissent pas aisément
recouvrir. La victoire contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est de
ceux-là.
La veille, à la radio, une habitante de la zad avait dit : « demain,
nous avons rendez-vous avec l’histoire ». Ça fait peur, l’histoire,
quand elle déchire bruyamment les plateaux remplis d’experts, les
sondages, le calme plat qu’ils entretiennent. Quand elle crève enfin
l’écran.

À midi, on était presque une centaine dans la salle d’accueil de la
Rolandière à attendre la déclaration du Premier ministre. Dehors,
derrière les rideaux trop courts, les journalistes avaient faim. Et
nous, dedans, bien que cachés du spectacle, nous en formions le cœur. On
écoutait à la radio des envoyés spéciaux en direct de notre pas de
porte. Ambiance spéculaire. Il nous a fait longtemps languir, Édouard
Philippe, puis il l’a dit, enfin, que nous avions gagné, il a craché
avec difficulté ces mots-là qui prenaient effet immédiatement sur nos
vies. « C’est aussi dur pour lui que de chier un oursin ! » a dit le
naturaliste, toujours friand de métaphores animalières. Après de longues
embrassades agrémentées de cris de joie, nous avons couru en haut du
phare qui surplombe la ferme. Quelqu’un a sorti de son épaisse veste une
bouteille de mousseux qu’il a sabré avec une serpette. Puis dans le
rougeoiement des fumigènes, nous avons hurlé, chanté. On pouvait voir au
loin la tour de Bretagne, symbole hideux de leur empreinte. Et pour tous
ceux-là qui ont voulu réduire au silence nos existences, nous avons
déployé ces mots : Et toc !
En redescendant, les marches n’avaient plus tout à fait la même
consistance, parce qu’alors on savait que jamais il n’y aurait à leur
place une tour de contrôle. Il nous aura fallu un demi-siècle pour
l’effacer définitivement du futur, et ça y est, elle n’est plus là. Le
phare, lui, tourne encore.
La route brillait sous nos pas, le champagne y faisait de petites taches
blanches. Nous allions chercher les autres, tous les autres, ceux qui
ont permis, par leur détermination parfois discrète, de tenir. À la
Wardine, notre nombre a doublé, et nous avons marché, ivres de joie,
jusqu’à la ferme du Liminbout. Les « merci » ont plu face à une Sylvie
étonnée, ne semblant pas encore réaliser que sa ferme ne serait pas
rasée, ni ses bêtes chargées dans des bétaillères escortées de CRS. À
quelques mètres, l’auberge des Q de plomb. Nous n’avons pas pu rentrer
tous, et nous avons crié aussi fort que possible « merci », à Claude qui
nous servait du vin. « Un discours, un discours ! » Mais Claude n’aime
pas les mots inutiles, alors il a simplement dit : « à la vôtre ! » Nous
avons chanté à nouveau, pour lui, pour nous, avant de continuer notre
tournée. Il fallait encore traverser des champs, des clôtures, emprunter
des chemins boueux pour rejoindre la Vacherit. Nous entendions, à
travers les haies et les talus, d’autres groupes sur d’autres sentiers
qui s’y dirigeaient aussi. En approchant du hangar, on s’est pris la
main, et notre farandole a ceint la foule de ceux qui nous attendaient,
vite emportés par le rythme de nos chants essoufflés. Il y avait ici
« le mouvement ». Les tout vieux qui avaient vu la naissance du projet,
les tout jeunes qui étaient venus défendre la zone, les paysannes, les
retraités des comités, les acharnés des tribunaux, les saboteurs de
2012, les amateurs de barricades, tout le monde. Et ça a tourné, sauté,
ri, jusqu’à ce que l’équilibre de chacun ne soit plus assuré que par les
épaules de l’autre. Seuls, nous serions tombés.
Notre barde a alors fait une entrée fracassante : « l’abandon, c’est
maintenant », avons-nous entonné avec lui, tube qu’il a écrit il y a
pourtant quelques années, et qui prenait en ce jour un tour prophétique.
Lorsque sa voix s’éteignait, des dizaines d’autres reprenaient. Il y a
plus de quarante ans, il avait écrit la chanson de la lutte du Larzac,
dont on nous parle tant ces derniers jours. Ses cheveux étaient plus
longs, alors, et la victoire n’avait pas ce goût radical, offerte
qu’elle était par un Mitterrand fraîchement élu. Pas d’oursin à
l’époque.
Peu à peu, la danse nous a pris, jusqu’au matin pour certains. Une danse
étrange, les corps serrés ou s’envolant portés par des bras mêlés. C’est
nous tous qu’on portait en triomphe, tandis que le futur  battait le
tempo. De temps à autre, quelqu’un s’arrêtait, éberlué : « on a gagné,
bordel ! » Et les bras se relevaient, impatients qu’ils étaient de
regagner les airs. On en a oublié que l’aube n’aurait pas la couleur du
passé. On aurait voulu que vous soyez tous là, avec nous. Et en fait
vous y étiez. Et vous y serez le 10 février, afin que l’on fête
dignement non pas la fin d’un mouvement, mais cette victoire, augure
d’un inconnu grisant, qu’il nous incombe de construire.

Collectif Mauvaise Troupe
https://constellations.boum.org/

 

Tag(s) : #actualités, #environnement
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