Samuele, 12 ans, vit à Lampedusa, île de pêcheurs, où l'on prend la mer de père en fils pendant que les femmes s'affairent à la maison. Le DJ Pippo passe à la radio leurs chansons dédicacées à leurs hommes, comme l'entraînante et mélancolique "Fuocoammare" ("la mer en feu"). Cette ritournelle, qui fait référence aux bombardements pendant la guerre, résonne tragiquement aujourd'hui. Plus proche de l'Afrique que de la Sicile, Lampedusa, bout de terre battu par les vents, constitue aussi la porte d'entrée de l'Europe. Durant les vingt dernières années, 400 000 migrants y ont débarqué, sur des rafiots et au prix d'une traversée atroce et périlleuse, qui aurait causé au total 15 000 morts. Pendant que Samuele joue avec sa fronde et se forge avec difficulté le pied marin, le ballet des sauvetages en mer et des contrôles est incessant...
"Prise de conscience émotionnelle"
Le réalisateur filme à distance respectueuse deux populations qui ne se croisent jamais : Lampedusiens et migrants. Depuis 2013 et la mise en place de l'opération Mare Nostrum, après un naufrage qui a fait des centaines de victimes, ces derniers sont devenus invisibles car les sauveteurs interceptent désormais les embarcations en mer. Outre l'omniprésente Méditerranée, le seul personnage du documentaire à faire le lien est le médecin Pietro. Dans un témoignage qui constitue l'un des acmés du documentaire, il confie ne pas s'habituer à voir "des enfants morts, des femmes qui ont accouché sur des canots en perdition", et que cela lui laisse "une colère, un vide dans l'estomac". Gianfranco Rosi souhaitait provoquer une "prise de conscience émotionnelle". Il y parvient grâce à la beauté et à la rigueur de son cadre, à la lenteur des plans, qui arrêtent la course folle de l'information et ouvrent un espace de réflexion. Surtout, par sa connaissance du terrain, le cinéaste nous immerge parmi ses protagonistes, notamment aux côtés de Samuele, l'émouvant fil rouge du récit, dont l'anxiété grandissante symbolise celle d'une Europe crispée sur ses frontières, et des réfugiés, foule compacte et mouvante plus difficile d'accès, mais qui, à travers l'éclat d'une couverture de survie dans la nuit, le récit vigoureux d'un griot ou les bribes d'un déchirant témoignage, marque à jamais le cœur et l'esprit.
ARTE / MERCREDI 05 SEPTEMBRE 2018 A 22 H 45
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