Pour l’écologie, la majorité introuvable 
 Par 

Le drame de l’inaction gouvernementale face aux dérèglements du climat ne peut pas se résumer à l’effet des lobbies. Aucun parti écologiste n’a gagné d’élections nationales importantes. Il est pourtant urgent de mettre en marche nos sociétés vers la justice climatique.

  •  

Mardi 28 août au petit matin, plusieurs centaines d’activistes bloquent le site gazier de Groningue, aux Pays-Bas. C’est une des plus importantes zones de forage de gaz en Europe, et ils l’occupent pour demander l’arrêt de son exploitation : au nom du climat et du droit des riverain·e·s à vivre dans un environnement non pollué. Des logements sont menacés de destruction par l'extension des opérations d'extraction et de stockage d'énergie fossile.

Au même moment ou presque, Nicolas Hulot annonce sa démission du ministère de la transition écologique et solidaire.

Les un·e·s veulent agir directement pour arrêter les gaz à effet de serre, sans attendre les décisions des autorités en place. L’autre reconnaît publiquement son échec à changer le système, malgré les hauts pouvoirs qui lui avaient été conférés. Quel rapport entre les deux événements ? Deux stratégies d’action divergentes pour affronter le même problème : l’absence de majorité politique, dans les sociétés démocratiques occidentales, pour empêcher la destruction du monde à force de pollutions et de course au profit.

 

Emmanuel Macron et son gouvernement méritent beaucoup de critiques pour leur inconsistance et leur malhonnêteté intellectuelle face au changement climatique, au sujet duquel ils font semblant d’agir. Mais on ne peut pas leur reprocher leur cohérence historique : le futur chef de l’État n’en a quasiment pas parlé lors de sa campagne électorale et n’a presque rien proposé dans son programme. Les électeur·ice·s ne l’ont pas élu face à Marine Le Pen pour cela. Il n’a pas reçu de mandat électif pour changer le système et sauver le climat.

Le parti politique qui fait de cette cause sa raison d’être, EELV, n’a même pas été en mesure de présenter un candidat. Le représentant du Parti socialiste a tenu le discours le plus écologiste de l’histoire électorale et a subi sa plus grosse défaite présidentielle. La vigueur de Jean-Luc Mélenchon à défendre la planification écologique et la règle verte n’a pas suffi à le propulser au deuxième tour.

Le drame de l’inaction gouvernementale ne peut pas se résumer à l’effet des lobbies, aussi délétère soit-il. Aucun parti écologiste n’a jusqu’ici gagné d’élections nationales importantes, celles qui font accéder au niveau d’exercice du pouvoir nécessaire au changement de système de production, d’organisation sociale et de mode de vie requis pour réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas qu’un problème français : le même blocage électoral s’observe aux États-Unis, au Canada, en Europe, en Amérique latine. Les sociétés démocratiques occidentales ne portent pas au pouvoir les forces écologistes.

Des raisons profondes expliquent cette situation : la prédominance de la lecture économique du monde, le matérialisme hédoniste forgé par la croissance d’après la Seconde Guerre mondiale et la société de consommation, la peur du changement et de perdre ce qu’on a – surtout quand on possède peu –, le conservatisme des représentations culturelles, la montée des xénophobies et du chacun-pour-soi, la piètre offre politique des écolos.

Mais pendant ce temps, l’écosystème se dégrade à un rythme accéléré. À quelques semaines de la parution d’un nouveau rapport du GIEC, début octobre, les preuves de la catastrophe climatique s’accumulent. La situation est aujourd’hui pire que ce que l’on pouvait prévoir il y a quelques années.

L’année 2017 a été la troisième la plus chaude depuis que l’on mesure les températures atmosphériques, selon la National Oceanic and Atmospheric Administration. La fonte de l’Antarctique prend une telle ampleur qu’elle va aggraver les effets déstabilisateurs de l’accumulation de gaz à effet de serre et de la déforestation, comme le démontre un récent articlede la revue de référence PNAS. Si bien qu’un « effet de domino » désastreux et irréversible risque de s’enclencher à partir du moment où la hausse de la température moyenne globale atteint + 2 °C. C’est-à-dire que ce seuil symbolique, envisagé jusqu’ici comme une limite encore vivable des dérèglements climatiques, risque au contraire de nous faire basculer dans une situation de catastrophe permanente.

Le constat sur la gravité des destructions irréversibles en cours et l’explication de ses causes sont à portée d’yeux et de mains  pour toute personne qui veut se donner la peine d’y accéder. De nombreux médias les relaient. Mais il ne suffit pas de savoir pour agir. Longue est l’histoire de la dissonance cognitive sur le climat. Le foisonnant article publié cet été par le New York Times MagazineLosing Earth: the decade we almost stopped climate change, en offre la démonstration : dès les années 80, des conseillers de la présidence des États-Unis étudiaient les causes et les effets du dérèglement climatique. Résultat sur la politique américaine ? Rien, ou presque.

Dans ces conditions, comment réconcilier la réalité des faits, des atteintes irréversibles et en chaîne à notre milieu de vie, et la mise en marche démocratique de nos sociétés vers la justice climatique ?

C’est cette discussion que nous devrions avoir aujourd’hui : quels modes d’action imaginer pour être à la hauteur de la brutalité des événements climatiques en cours ? Ils doivent être radicaux, au sens étymologique : prendre les problèmes à leurs racines. Ils ne peuvent être uniquement pensés sur le mode de la contrainte : les discours sur la décroissance, la réduction de l’empreinte écologique, les limites de consommation sont inaudibles pour les pauvres et les précaires. Ils doivent aller dans le sens de la justice sociale et contre les inégalités de genre et de race supposée, sinon ils ne pourront que contribuer à l’accroissement des injustices. La révolution énergétique à mener entraînerait un tel bouleversement du cadre économique qu’elle doit être totalement redistributive afin d’être acceptable socialement.

« Nous sommes la nature qui se défend », dit un beau slogan crié dans les mouvements de désobéissance climatique et sur les ZAD. Mais contre qui ? Contre les « modernes »déterritorialisés décrits par Bruno Latour, qui veulent continuer le business as usual du capitalisme mondialisé. Et comment ? Trop nombreu·ses sont les femmes et les hommes qui ne se sentent pas encore appartenir à cette nature et ne perçoivent pas leur intérêt à cette nouvelle forme de lutte des classes.

Pourtant les idées et les pratiques sont déjà là, plus qu’en germe dans nos sociétés florissantes d’alternatives :

  • La défense des terres et de leur usage commun, pour reconstruire une agriculture vivrière et solidaire, mais aussi une cohabitation intelligente avec les forêts, les mers et les espaces naturels.
  • La création d’emplois dans le respect de chacun·e, dans des conditions économiques décentes et redonnant un sens au travail. Les scénarios de transition énergétique et les entreprises d’économie sociale et solidaire fourmillent d’exemples : relocalisation de la production, réemploi et réusage, souci des plus vieux et vulnérables…
  • La protection de la santé contre les effets délétères et discriminants de la pollution de l’air, de l’eau et des sols.

Cultiver les terres, les usages communs, le travail et la santé : les écologistes assumés ne sont pas les seul·e·s à avoir intérêt à ce que notre société y parvienne. C’est un enjeu bien plus collectif et partagé de vie, de bonheur et de désirs. C’est cette majorité politique et sensible qui doit prendre corps désormais pour exercer son pouvoir de changement. Et ne plus tomber dans l’illusoire attente d’un homme ou d’une femme providentielle.

 
 

SOURCE/ MEDIAPART

Tag(s) : #actualités, #environnement
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :