La France partie prenante de la guerre contre le Yémen
Malgré l’état d’effondrement du Yémen et les preuves qui s’accumulent sur son implication dans ce conflit, la France reste inflexible et poursuit ses livraisons d’armes. Selon des informations inédites de l’Observatoire des armements transmises à Orient XXI , Paris apporte un soutien de premier plan en matière de guerre tactique à Riyad et Abou Dhabi : entraînement des forces spéciales saoudiennes, fourniture de leur équipement de pointe et prévente du futur drone tactique Patroller aux Émirats arabes unis.
Conflits > Tony Fortin > 4 octobre 2018
La guerre au Yémen dure depuis plus de trois ans, mais aucune partie au conflit ne manifeste de volonté réelle d’y mettre un terme. Le nombre des victimes est gelé depuis 2016 à 10 000 morts recensés, mais les estimations d’un institut indépendant comme l’Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled) se montent plutôt à 50 000 . Un chiffre qui exclut les personnes mortes de faim alors que tout porte à croire que la guerre menée par la coalition arabe est dirigée contre la population.
Les projecteurs médiatiques sur le conflit sont tournés sur Hodeïda, port majeur tenu par les houthistes par lequel transite 70 % de l’aide humanitaire, mais le champ de bataille se décompose en près de dix fronts. L’offensive menée à l’ouest depuis décembre 2017 au cours de laquelle des armements français ont été remarqués (chars Leclerc et blindés légers Panhard) a entraîné des vagues de réfugiés vers la capitale Sanaa. Cela se couple au blocus maritime qu’exercent Riyad et Abou Dhabi au moyen de frégates notamment françaises, provoquant pénuries et un surenchérissement des coûts des produits. Avec un effet prévisible et catastrophique. « À cause des combats à Hodeïda, beaucoup d’habitants ont fui la ville pour rejoindre Sanaa. Mais un grand nombre de ces réfugiés se retrouvent dans la rue, collectent des bouteilles qu’ils revendent, et se nourrissent d’ordures. À Hajah, non loin de Sanaa, des habitants en sont même réduits à manger des feuilles d’arbres », nous a confié le 16 septembre Ahmed Alramah, citoyen yéménite vivant à Sanaa. Johan Mooji, directeur de l’ONG humanitaire Care avertit : « Les réserves actuelles de nourriture au Yémen ne permettront pas à la population de tenir plus de deux ou trois mois. »
Selon l’ONG Save The Children, cinq millions d’enfants sont menacés de famine. Dans un reportage paru dans The Intercept le 21 juin, la photojournaliste Alex Potter raconte des histoires de familles brisées parce que le mari ne peut plus subvenir aux besoins de ses proches, ou celles de patients qui n’ont plus les moyens de se soigner à l’hôpital et rentrent mourir chez eux. ONG et médias n’hésitent plus à dénoncer l’emploi d’une stratégie de la famine comme arme de guerre, famine contre laquelle l’ONU avoue « perdre le combat ».
Pour couronner le tout, les Émirats arabes unis, alliés, mais aussi concurrents de l’Arabie saoudite, ont pris possession des ports stratégiques du Sud-Yémen (Aden, Mukalla, et l’île de Socotra) contre la volonté du gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, qu’ils sont censés soutenir, et installé un réseau de prisons secrètes. À l’appui de cette stratégie colonisatrice qui recoupe les revendications du mouvement sécessionniste au sud, une milice formée par ses soins, accusée d’actes de torture et de disparitions forcées — ce qui accélère la partition du pays. Face à ce désastre, l’exécutif français, maintes fois interpellé par les ONG , reste inflexible. Tout en organisant à la va-vite une conférence humanitaire en juin 2018 qui s’est soldée par une simple réunion d’experts, elle continue à soutenir la coalition arabe à travers ses ventes d’armes et une assistance militaire.
D’excellents clients
En 2017, la France a livré pour 1,4 milliard d’euros d’armes à Riyad ; c’est plus que les montants déjà élevés des années précédentes : 1 milliard en 2016 et 900 millions d’euros d’armement en 2015. Si la transparence fait toujours défaut, de nouveaux contrats ont pu être signés cette année. Dans Le Télégramme , le journaliste Jean Guisnel fait état de la vente de patrouilleurs maritimes (Constructions mécaniques de Normandie, CMN ) et de nouveaux canons Caesar (Nexter).
SOURCE/ ORIENTXXI.INFO