Bâillonner les quartiers, de Julien Talpin, éditions les étaques

Au cœur de l'hiver dernier, alors que nous étions pas encore confiné dans un confinement généralisé à coups de contraventions de 135 euros, les éditions les étaques, situées dans une petite ville du nord de la France, publiaient un essai de Julien Talpin, intitulé : Bâillonner les quartiers, et sous-titré, comment le pouvoir réprime les mobilisations populaires.

A vrai dire, nous ne connaissions pas Julien Talpin, sociologue et chercheur au CNRS, spécialiste de la politisation des quartiers populaires, et pourtant déjà auteur de Community Organizing, de l'émeute à l'alliance des classes populaires aux États-Unis, en 2016, chez un excellent éditeur Raisons d'agir. Sans oublier Communautarisme ? aux PUF en 2018, avec un auteur passionnant Marwan Mohammed. Donc plusieurs bonnes raisons d'avoir envie de lire ce livre. D'autant plus qu'il répond à une question primordiale que l'on entend souvent dans le milieu militant, politique ou syndical : pourquoi les quartiers populaires ne se révoltent-ils pas plus souvent ? Chacun ayant encore en mémoire, la longue série de plans « de sauvetage »  des quartiers en difficulté, ou défavorisés, ou relégués, c'est selon... Des plans qui ont traversé les décennies, d'un siècle à l'autre, en passant par la droite, par la gauche, et encore par la droite et de nouveau par la gauche. On se souvient aussi que tout cela a débouché sur l'incendie généralisé de 2005, avec l'état d'urgence en prime. Et tout continua comme avant, pour le pire et parfois encore le pire...

Pourtant, un peu partout les habitants des quartiers résistent, des mobilisations existent, faisant souvent face à la répression la plus dure. En cinq chapitres ramassés et clairs, Julien Talpin documente ces diverses formes de répression endémiques. D'abord travestir les opposants en criminel, que cela soit les jeunes des quartiers ou d'ailleurs les Gilets Jaunes, criminaliser, et donc disqualifier afin de mieux gouverner. Mais quand la force, dite légitime, celle de la violence d’État, ne suffit pas, il reste alors la participation, le clientélisme, bien connu de Lyon à Marseille, acheter la paix sociale, embrasser pour mieux étouffer, financer puis couper les subventions... Pas nouveau mais toujours efficace pour contraindre. Tout au long de son essai, l'auteur donne des exemples édifiants, et, en fin de volume, des pistes pour la quête de l'autonomie (Appel de Roubaix, coordination pas sans nous, de juillet 2019). Un livre petit par son format, mais important par son contenu, qui s'achève sur le principal : S'organiser. Un essai de résistance comme nous les aimons. A lire absolument en cette période de confinement, de drones, de formulaires pour sortir de chez soi et de racket financier organisé par l’État.

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Bâillonner les quartiers

Comment le pouvoir réprime les mobilisations populaires

Julien Talpin

Éditions les étaques

2020 / 184 p / 9 euros

Site éditeur

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EXTRAIT

Introduction : Une répression qui ne dit pas son nom

« Les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques. Depuis quinze ans, cette formule revient inlassablement pour contrer une vision misérabiliste des banlieues. Elle cherche à contrecarrer un discours selon lequel les classes populaires seraient nécessairement dépolitisées, retranchées sur des considérations individualistes ou matérialistes, voire naturellement inaptes au politique. Surtout, cette formule souligne qu’en dépit d’une abstention devenue majoritaire et d’une défiance généralisée envers les partis politiques, il a toujours existé dans ces quartiers des militants et des luttes. Si les organisations du mouvement ouvrier ont pour partie décliné, d’autres collectifs ont émergé : luttes pour le logement et le droit à la ville, collectifs d’éducation populaire et comités de quartiers, associations de jeunes, luttes de l’immigration et contre les violences policières… Outre ces formes d’auto-organisation, les habitants des cités expriment hier comme aujourd’hui des sentiments d’injustice, de colère face aux inégalités et aux discriminations qu’ils et elles subissent, témoignant d’une politisation ordinaire, d’une politique du quotidien. Bien qu’elles n’aient pu déboucher sur une transformation durable des conditions de vie, les révoltes de 2005 ont attesté avec force de cette capacité politique.

 

 

Bâillonner les quartiers, de Julien Talpin, éditions les étaques
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