Je partage in extenso (et reprends à mon compte) le commentaire de lundi.matin, qui publiait le 23 mars 2020 la lettre envoyée par Cesare Battisti de la prison de haute sécurité d’Oristano (Sardaigne), où il est prisonnier depuis le 14 janvier 2019, après avoir été enlevé en Bolivie.
Son dernier roman, Indio, dont la publication avait été repoussée en 2019 par les éditions du Seuil, devrait paraître le 25 mai 2020…si le confinement n’en décide pas autrement.
De celui qui ne fut qu’un parmi des milliers de révoltés qui se sont engagés les armes à la main contre la société capitaliste, on a fait un monstre unique dans l’histoire du pays. Cette construction fantasmatique sera quelque jour déconstruite, par des historiens critiques des vérités officielles et par des mouvements sociaux susceptibles de remettre en cause le pouvoir de la démocrature numérique. Quand celle-ci nous assigne tous à domicile au motif d’un virus produit par sa civilisation, le moment pourrait paraître particulièrement mal choisi pour tenter de faire entendre la voix de Cesare. Mais nos concitoyens pourraient tout à coup se découvrir capables d’imaginer comme jamais ce que subit le prisonnier d’Oristano. Car ce qui est infligé à Cesare depuis plus d’un an, sous un régime infiniment plus dur, n’est pas sans rappeler que ce qu’il nous faut accepter aujourd’hui en Europe après la Chine. Certes, on ne nous interdit pas de parler à nos enfants par Skype ni ne nous oblige à choisir entre la promenade et le repas. Il n’empêche que chaque jour passant dans la prison plus ou moins dorée de notre confinement, nous serons plus à même de à comprendre l’horreur que contient la menace que l’Italie officielle fait peser sur Cesare : l’enfermement à vie.
Quinze mois se sont écoulés depuis mon enlèvement et ma déportation, et je suis toujours dans une sorte d’isolement punitif, sans aucune base légale. Une situation inédite dans le système pénitentiaire italien.
Jusqu’à maintenant, si j’ai accepté passivement – mais avais-je le choix ? – cet abus de pouvoir, c’est pour deux raisons simples : d’une part je méconnaissais les normes pénitentiaires italiennes, et d’autre part je rédigeais mon dernier ouvrage – ce qui m’a aidé à supporter le strict confinement autour de ma cellule.
San Michele, Pouilles |
Mais à l’heure actuelle, ces deux raisons n’ont plus lieu d’être : j’ai terminé mon roman (écrit avec des moyens de fortune) et, même dans les conditions où je suis, un an aura suffi pour découvrir les abus de pouvoir que le ministère a mis en œuvre dans le but de me faire « pourrir en prison » – ainsi qu’un ministre d’État l’avait publiquement promis à l’époque.
Toutes les bornes ont été dépassées le mois dernier, lorsqu’on m’a nié le droit sacré à l’appel vidéo-téléphonique avec mon enfant de 6 ans qui vit au Brésil. Cela au mépris de la loi italienne, de la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU (CIDE) et des dispositions européennes en la matière.
Le battage médiatique orchestré par l’État sur « l’affaire Cesare Battisti » a permis à cette situation dramatique de se produire au cœur de l’Europe : l’Italie se croit tout permis car elle se croit à l’abri de tout éventuel scandale public.
Or, je sais qu’il y a des femmes et des hommes, ici et ailleurs, qui n’ont pas avalé les désinformations sur le soi-disant « monstre » Cesare Battisti. C’est à ces personnes que je lance un appel, afin d’engager une lutte avec tous les moyens permis et disponibles, de façon à obliger l’État italien à respecter ses propres lois, pour tous les reclus, sans distinction.
Je sais que cela sera une tâche difficile, mais il est important d’ouvrir une brèche dans le mur du silence. Autrement, ils auront mené à bien leur plan, ils m’auront enterré vivant.
Je suppose qu'il doit exister d'autres détenus enfermés eux aussi dans des conditions difficiles, mais mon isolement ne me permet pas d'en avoir connaissance.
Pour ce qui est de mon propre cas, les arguments en ma faveur pour mener cette bataille sont solides :
On me tient abusivement à l’isolement, sans aucun contact avec les autres détenus.
Je suis soumis à une sorte de régime punitif permanent, sans aucune justification et contre toute loi ou norme établies.
J’ai droit à peine à une heure de promenade quotidienne, tout seul et à l’heure du déjeuner – il faut donc choisir entre la promenade ou le repas.
On me refuse les moyens basiques nécessaires à mon activité professionnelle, alors que la loi le permet et que tous, même dans les quartiers de haute sécurité, y ont accès.
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On me maintient illégalement en A.S. 2 (Alta Sicurezza 2 : sections de haute surveillance destinées aux « terroristes » et aux « subversifs »), alors qu’il n’existe plus, de facto, aucun risque ni aucun motif pouvant justifier une telle mesure : 40 ans après les faits – 40 ans vécus dans la transparence d’un réfugié politique sous surveillance quasi-permanente –, on me garde dans une île, éloigné de tous, dans la prison considérée comme la plus dure d’Italie, dans le but de m’épuiser, de détruire tout contact avec l’extérieur, y compris avec ma famille – jusqu’à m’empêcher, donc, avec une lâcheté inouïe, de maintenir le lien paternel avec mon enfant de 6 ans !
Primo Levi disait qu’on réduit l’homme au niveau de la bête pour que le tortionnaire n’ait pas trop à souffrir de sa faute.
Ainsi, comme vous le constatez, j’ai pris la décision de ne plus me taire – quoi qu’il m’en coûte ! –, puisque les injustices dont je fais l’objet piétinent également le respect et la dignité des familles, de la société, des enfants…
Je vous remercie tous une nouvelle fois pour votre solidarité.
Vous embrasse.
Cesare Battisti