L’an dernier, le monde entier s’alarmait des mégafeux qui ravageaient l’Amazonie. Un an plus tard, la situation s’est aggravée. Toujours en cause : les incendies délibérément provoqués par des propriétaires terriens pour pouvoir cultiver ou faire paître le bétail sur les zones déboisées. Les ONG appellent à mettre fin aux importations via lesquelles la France contribue à la déforestation.
La pandémie de Covid-19 les éclipse, mais les incendies en Amazonie sont bien là, et ils s’intensifient, menaçant plus que jamais la plus grande forêt tropicale au monde, et la planète dans son ensemble. La saison des incendies, qui s’étend généralement de juin à octobre, a repris. En juin, ils atteignaient en Amazonie leur pire niveau depuis 13 ans. Puis, en juillet, leur nombre augmentait de 28% par rapport à juillet 2019, selon des données satellitaires publiées samedi 1er août. Sur la seule journée du dimanche 30 juillet, les satellites ont détecté 1 007 incendies en Amazonie, a indiqué l’Institut spatial national du Brésil (INPE). « Plus de mille incendies en une seule journée, c’est un record depuis 15 ans », déplore dans un communiqué le porte-parole de Greenpeace Brésil, Romulo Batista.
La question peut sembler naïve : comment un tel record est-il possible, un an après un été 2019 marqué par des incendies dramatiques, mais qui avaient suscité une émotion et une mobilisation internationale inédites, augmentant – notamment lors du G7 à Biarritz – la pression sur le gouvernement d’extrême-droite de Jair Bolsonaro ? Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU n’avait-il pas alors appelé la communauté internationale à « se mobiliser avec force pour soutenir les pays d’Amazonie » et « mettre fin aux incendies par tous les moyens possibles », ce après avoir alerté sur le fait que le désastre en Amazonie s’ajoutait aux incendies en Sibérie, en Alaska, au Canada et au Groenland ?
Des incendies « interdits » en théorie
Les experts l’avaient expliqué en choeur à l’été 2019 : la grande majorité des incendies en Amazonie sont délibérément provoqués par des propriétaires terriens pour étendre leurs surfaces d’exploitation, en particulier pour l’élevage et l’agriculture industrielle. « 70% de la déforestation est dû aux activités d’organisations criminelles », expliquait à l’AFP fin août 2019 Daniel Azevedo Lobo, procureur à Rondônia, Etat amazonien du nord-ouest très touché par les feux de forêt.
Déployer des bombardiers d’eau – comme l’avaient proposé les pays du G7 en août dernier – ne suffit donc pas, et l’enjeu est de lutter contre l’origine de ces incendies illégales. Or ceux-ci, sont, en théorie, déjà « interdits ». Le 28 août 2019, Bolsonaro avait interdit par décret, pendant deux mois, les brûlis agricoles, ceux-ci étant pratiqués le plus souvent pour faire de la place aux cultures agricoles et à l’élevage bovin, gros secteur exportateur du Brésil. Cette annonce avait immédiatement suscité les doutes de la communauté scientifique, soulignant que « celui qui brûle (la forêt) sans permis ne va pas respecter » un décret.
Le 16 juillet 2020, Bolsonaro a à nouveau annoncé un « moratoire sur les incendies » de 120 jours, après avoir autorisé le 11 mai l’armée à se déployer sur le territoire amazonien pour lutter contre les incendies et la déforestation. Mais les associations environnementales dénoncent des « opérations de diversion médiatique ».
En parallèle, les amendes pour infraction environnementale sont en forte baisse, et le gouvernement n’a cessé de réduire le budget, le personnel et les programmes de l’agence environnementale brésilienne, l’Ibama. Profitant de la crise sanitaire comme un « écran de fumée », le gouvernement Bolsonaro réduit les droits des peuples autochtones, en légitimant l’appropriation des terres publiques qu’ils habitent depuis des décennies, au bénéfice de « puissants lobbies agricoles et miniers ».
Une responsabilité européenne « accablante »
« Notre maison brûle toujours », constatait ce 27 juillet sur Twitter Emmanuel Macron. Et le chef de l’Etat d’ajouter « depuis l’appel du G7 de Biarritz pour sauver l’Amazonie, nous sommes mobilisés pour protéger notre planète. Je salue l’adoption de la Charte de l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales. Accélérons ! ».
Mais la France a-t-elle agi pour cesser la « déforestation importée », c’est à dire l’importation de nombreuses matières premières et produits transformés associés à la déforestation, comme cela était annoncé avec la Stratégie Nationale de Lutte contre la Déforestation importée (SNDI) publiée en 2018 ? Celle-ci, saluée comme « ambitieuse » en 2018 par le WWF, « ne comporte aucune mesure contraignante et n’est pas mise en œuvre », assure Cécile Lauba, chargée de campagne Forêts à Greenpeace France.
En 50 ans, la France a déforesté une surface équivalente à la superficie de la France métropolitaine
Le WWF a révélé en 2018 que la France a potentiellement contribué à déforester 5,1 millions d’hectares, soit environ deux fois la superficie de la Bretagne, au cours de cinq années (2013-2018), à travers ses importations de 7 matières premières (soja, cacao, bœuf & cuir, huile de palme, caoutchouc naturel, bois et pâte à papier). « En 50 ans, nous avons probablement déforesté une surface équivalente à la superficie de la France métropolitaine, ailleurs dans le monde », ajoutait l’étude.
La France n’est évidemment pas seule concernée. 20% des exportations brésiliennes de soja et de viande bovine vers l’Union européenne proviennent de terres déboisées illégalement, en Amazonie et dans le Cerrado (aussi appelée savane brésilienne) a révélé en juillet une étude de la revue américaine Science intitulée Les pommes pourries de l’agro-business brésilien.
L’étude est citée dans une « carte blanche » du quotidien belge L’Echo signée de la princesse Esmeralda de Belgique, le 3 août. « Notre responsabilité en tant qu’Européens dans ce véritable cataclysme environnemental est accablante et résulte du fait que l’Union européenne (UE) consomme d’énormes quantités de soja et de bœuf importés du Brésil », y écrit-elle.
L’origine de la viande consommée en Europe est parfois volontairement dissimulée, comme le montre une enquête du site d’investigation Disclose, le 27 juillet : ainsi, l’entreprise brésilienne JBS, le plus important producteur de viande au monde, s’approvisionne-t-elle directement auprès d’une ferme condamnée pour déforestation de l’Amazonie, et dissimule ensuite cette origine illégale en déplaçant les bêtes d’une ferme illicite à une ferme légale. Une pratique de « blanchiment » de bétail également mise au jour par Amnesty Brésil.
« Voitures contre boeuf »
Le manque de transparence dans les chaînes d’approvisionnement auprès de géants agroalimentaires brésiliens est cependant de plus en plus dénoncé, et la pression internationale s’intensifie. Fin juin, des fonds d’investissement d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Sud qui administrent 4 000 milliards de dollars réclamant des « résultats » dans la lutte contre la déforestation en Amazonie ont menacé de retirer leurs investissements. « Le fait que la pression vienne d’investisseurs et non de chefs d’Etats change la donne », estime auprès de l’AFP André Perfeito, économiste du cabinet de consultants Necton.
Les chefs d’Etat s’apprêtent en revanche à ratifier avant fin 2020 le traité avec le Mercosur, le plus grand marché commun d’Amérique latine, réunissant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Un traité surnommé « cars for cows » (voitures contre boeuf) car il devrait favoriser d’un côté les exportations des entreprises européennes, notamment dans le secteur de l’automobile, et de l’autre donner aux entreprises sud-américaines de plus larges débouchés sur le marché européen pour leur production agricole.
En août dernier, estimant que Bolsonaro avait « décidé de ne pas respecter ses engagements climatiques », Emmanuel Macron avait annoncé qu’il « n’appuierait pas » l’accord en cours de négociation. « L’Europe peut nous aider à sauver l’Amazonie », appellent, dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde le 31 juillet Sonia Guajajara, coordonnatrice exécutive de l’Articulation des peuples indigènes du Brésil, et Maria Laura Canineu, directrice du bureau de Human Rights Watch. Les deux femmes exhortent l’Union européenne à ne pas ratifier l’accord commercial « tant que le Brésil ne se montre pas disposé à honorer ses engagements environnementaux. »
Annabelle Laurent
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