Trump bloqué par des villes qui résistent

Trump bloqué aux portes des « villes sanctuaires »

Alors que le président états-unien voulait expulser en masse les immigrés illégaux, de nombreuses métropoles ont fait front contre lui en opposant à sa politique une résistance relative, mais efficace.

 

Quand l’ouragan Donald Trump s’emploie à dévaster les États-Unis, les villes peuvent-elles servir d’abri ? L’engagement d’environ deux cents municipalités autoproclamées « sanctuaires » à refuser au maximum de coopérer avec les autorités fédérales en matière d’immigration suggère en effet qu’il existe des marges de manœuvre pour résister à la politique répressive du président.

 

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« Quelles que soient les menaces proférées par le président élu Trump, San Francisco demeurera une ville sanctuaire, avait annoncé la ville au lendemain de l’élection du milliardaire républicain. Nous ne tournerons pas le dos aux hommes et aux femmes originaires d’autres pays qui participent à la grandeur de la ville et qui représentent plus d’un tiers de la population. Il y a ici le Golden Gate : nous construisons des ponts, pas des murs. » Vœux pieux ou véritable politique de résistance ?

La couleur religieuse du terme « sanctuaire » n’est pas fortuite : ces villes sont les héritières d’un mouvement né au début des années 80 dans les églises et les synagogues, qui aident alors les réfugiés salvadoriens et guatémaltèques fuyant la guerre civile à passer la frontière. C’est à ce moment-là que certaines grandes villes mettent en place des règles en leur faveur, interdisant par exemple aux policiers ou aux assistants sociaux de dénoncer les réfugiés clandestins aux autorités fédérales. San Francisco est la première ville à officialiser par une loi, dès 1989, ses pratiques pro-immigrés.

De Clinton à Obama, « déporteur en chef »

Il ne faudrait cependant pas surestimer leur pouvoir de protection. En réalité, tant qu’elle possède un mandat d’arrêt signé par un juge, la police fédérale est libre d’intervenir où bon lui semble pour arrêter, détenir et déporter des immigrés. Les villes sanctuaires garantissent seulement que la police locale ne s’occupe pas d’appliquer les lois sur l’immigration.

Toujours est-il que face à cette « passivité » active, la contre-offensive gouvernementale n’a guère tardé. La loi sur l’immigration illégale de Bill Clinton, qui marque en 1996 un tournant pénal et conduira à terme à une explosion des déportations, en constitue la première étape. Mais c’est sous George W. Bush, dans la foulée des attentats du 11-Septembre, que les dispositions de cette loi sont massivement appliquées pour impliquer les agents municipaux dans l’identification et la détention d’immigrés en situation irrégulière.

En 2008, son gouvernement aura tout juste le temps d’organiser un système de partage d’informations exigeant de la police locale qu’elle transmette systématiquement à l’agence fédérale de contrôle de l’immigration, l’ICE (pour Immigration and Customs Enforcement), les empreintes digitales de toute personne arrêtée. Si ces empreintes correspondent à un profil qui semble ne pas être en règle, le ministère de la Sécurité intérieure peut demander à la prison locale de le détenir quarante-huit heures supplémentaires, le temps que la police fédérale vienne le récupérer. C’est grâce à cette coopération renforcée avec les échelons locaux que Barack Obama, surnommé le « déporteur en chef », battra tous les records d’expulsions.

Bras de fer juridique

Si les mouvements pour les droits des immigrés finissent par infléchir quelque peu sa politique migratoire à partir de 2014, les villes supposément sanctuaires sont donc en réalité déjà sous pression lorsque le candidat Trump les désigne comme adversaires prioritaires. Liant immigration illégale et criminalité, il s’appuie sur l’assassinat, en 2015 à San Francisco, d’une jeune femme par un Mexicain sans-papiers, au lourd casier judiciaire, qui avait déjà été expulsé cinq fois des États-Unis. Arrêté pour une affaire de drogue, l’homme avait été relâché malgré une demande de maintien en détention de l’ICE, qui souhaitait l’expulser une sixième fois.

Fidèle à sa promesse de campagne, Trump multiplie les attaques à leur encontre dès ses premiers jours à la Maison Blanche, maniant tantôt le bâton, en les menaçant de sanctions financières, tantôt la carotte, en conditionnant le versement de subventions à la bonne coopération de la police locale en matière migratoire. Si certaines villes renoncent à leurs lois sanctuaires, plus nombreuses sont celles à engager un bras de fer juridique pour maintenir, voire renforcer leur législation pro-immigration.

Dans la grande majorité des cas, les tribunaux leur donnent raison, jugeant illégales les tentatives de mise au pas de Trump. Paradoxalement, les juges s’appuient notamment sur la jurisprudence de décisions très conservatrices de la Cour suprême, prises précisément au nom de leur attachement à la « souveraineté » des États face au gouvernement central. Ainsi, les avocats californiens rappellent par exemple qu’Antonin Scalia, l’un des juges les plus conservateurs de la Cour, avait décidé en 1997 qu’un shérif du Montana n’avait pas à respecter la loi fédérale Brady soumettant les acheteurs d’armes à feu une vérification des antécédents psychiatriques et judiciaires…

Entrave à la « tolérance zéro »

Certes, les grands discours de « résistance » de certaines figures démocrates locales masquent parfois une politique moins glorieuse. À New York par exemple, où le maire Bill de Blasio a juré de « défendre tous les New Yorkais, peu importe d’où ils viennent et quel est leur statut », le NYPD (département de police) transmet dûment à la police des frontières les dates des procès des immigrés détenteurs d’un casier judiciaire, reconduisant ainsi implicitement l’opposition entre « bon » et « mauvais » immigré. Mais d’autres villes sont plus radicales dans leur engagement, refusant fermement de prolonger la détention d’immigrés à la demande de l’ICE. À Austin, au Texas, le conseil municipal a même voté une résolution pour décourager les policiers de procéder à des arrestations (et donc à des enregistrements d’empreintes digitales) pour les petits délits, tels que la possession de cannabis.

Si les municipalités ne sont pas en mesure d’empêcher les déportations, elles peuvent donc entraver significativement la politique de « tolérance zéro » de Trump. Le président en est réduit à jouer la provocation verbale, menaçant par exemple de transférer les sans-papiers dans les villes qui lui résistent. « La gauche radicale semble toujours avoir une stratégie de frontières ouvertes [...]. Cela devrait les rendre très heureux », a-t-il lancé sur Twitter en avril dernier. « Nous leur donnerons beaucoup [d’immigrants illégaux], a-t-il ajouté un peu plus tard lors d’une cérémonie à la Maison Blanche. Nous avons une offre illimitée à leur proposer. » Il peut ironiser tant qu’il veut, les chiffres ne mentent pas : le président qui avait fait de la lutte contre l’immigration illégale son cheval de bataille a le plus grand mal, sans la coopération des villes, à tenir parole. Alors qu’Obama avait expulsé plus d’un million de personnes durant ses trois premières années, le score de Trump ne dépasse pas 800.000…

 

Laura Raim

 

SOURCE / REGARDS.FR

Tag(s) : #actualités
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