Depuis l’annonce de l’attentat qui a touché notre pays ce 16 octobre 2020, le monde est sidéré. En termes de récupération politique, chacun scrute la réaction de son adversaire, pour pouvoir le charger en responsabilité. Devant un tel acte, chacun veut parler et trouver des coupables. Alors que, par décence et contre ces récupérations, nous préconisions le silence — celui qu’impose le recueillement — les habituels manipulateurs d’opinion, faisant mine de ne pas comprendre que nous parlons d’un silence de deuil, se sont sentis en confiance pour proclamer leur courage à parler, crier, et se lever contre « l’islamisme » auquel ils ont automatiquement associé notre travail de lutte contre l’islamophobie.
Très vite, notre message de deuil a été attaqué, ce qui démontre à nouveau l’impasse que nous décrivions l’an dernier, au lendemain de l’attaque à la Préfecture de Paris : « les musulmans » sont, a fortiori dans ces moments, construits comme une entité à part, prétendument homogène, qui devrait se sentir coupable, s’excuser, voire remettre en question sa religion. Il lui est interdit d’être touchée, de s’émouvoir, sous peine d’être traitée d’hypocrite et de produire des « larmes de crocodiles ». Lui est déniée son humanité, et sa recherche de paix ; laquelle préconise, pour l’immense majorité des musulmans, d’ignorer ce qui pourrait l’offenser et de s’en écarter.
Comme dans tous les cas de « blasphème » (notion qui n’a de sens que pour un croyant) ou d’insulte à la religion, nous n’avons jamais réagi, ni juridiquement, ni dans notre communication — et nous mettons au défi quiconque de prouver le contraire. Que ce soit les caricatures de Charlie Hebdo ou l’affaire Mila : aux personnes qui nous sollicitent et qui nous demandent pourquoi nous ne faisons rien, nous appelons à l’indifférence, et conseillons toute personne qui se sent blessée par ces insultes de les ignorer.
Le CCIF se concentre sur les affaires de discrimination et de racisme. Nos rares interventions à l’encontre de Charlie Hebdo, qui se sont limitées d’ailleurs sur le plan de la communication, furent lorsque l’hebdomadaire avait produit des caricatures que nous jugions racistes, comme par exemple la caricature de Maryam Pougetoux en couverture. C’est le caractère raciste de ce dessin que nous avons dénoncé, et que nous dénoncerons à chaque fois que ce type de représentation se produira. C’est le champ d’action du CCIF.
Nous avons été saisis par le parent qui a réalisé une vidéo pour décrire la situation vécue par sa fille. Selon le premier témoignage parvenu au CCIF, l’enseignant aurait demandé aux élèves musulmans de sortir de la classe car il allait montrer le prophète Mohammad nu. Au stade où en était l’affaire ce 16 octobre, l’équipe du CCIF était à l’étape des vérifications d’informations, car si effectivement nous n’intervenons pas dans les cas où le cours porte sur la liberté d’expression et qu’il se sert de Charlie Hebdo pour en parler, nous agissons lorsqu’il est question de discrimination et de fichage des musulmans. Aucune action n’avait été entamée, et même si cela avait été le cas, c’est l’occasion pour nous de rappeler notre premier principe dans la lutte contre l’islamophobie : la médiation se basant sur le droit. Aujourd’hui, il est trop tard pour cela, et l’horreur qui a touché cet enseignant nous bouleverse au plus haut point.
Malheureusement pour celles et ceux qui nous accusent d’avoir mené une campagne de harcèlement contre cet enseignant, cela est faux et constitue donc une diffamation d’une grande abjection. Le CCIF dépose donc plainte contre Aurore Bergé qui a déclaré, en nous citant : « Votre silence oui, par le nôtre. Pas après cette chasse à l’homme à laquelle vous avez participé ». Le CCIF dépose également plainte contre Zineb El Rhazoui, qui a déclaré : « Une campagne de harcèlement a été menée contre lui avec l’aide du CCIF et l’académie en a été informée ». Une simple enquête montrera que ces allégations sont fausses et d’une gravité extrême.
Contre la logique du choc, illustrée par Aurore Bergé, qui oppose un « nous » et un « vous », nous refusons ce séparatisme. L’enseignant Samuel Paty fait partie de nos morts, des morts de notre pays, ceux qui sont les victimes de l’extrémisme, et avant d’en arriver à identifier les responsables, nous exprimons notre douleur et notre tristesse à la famille de cet enseignant, et celles et ceux qui lui ont été proches.