Octobre 1492, Christophe Colomb découvre l'Amérique, début d'un ethnocide
Christophe Colomb découvre l’Amérique : au premier jour d’un ethnocide
 

 

Almanach de Myrelingues

 

Le 12 octobre 1492 Christophe Colomb découvre pour le compte des rois catholiques, Isabelle Ire de Castille (1474-1504) et Ferdinand II d’Aragon (1479-1516), ce que l’on connaîtra bientôt comme le Nouveau Monde. Lui pensera jusqu’à sa mort avoir découvert la route des Indes par l’ouest. A partir de ce jour, l’Occident qui découvrait tout juste l’existence de ce continent va se lancer dans une vaste opération de conquêtes coloniales. Entre sa découverte par Colomb et le XIXe siècle, la population autochtone d’un vaste continent va diminuer de 95% [1]. La disparition des populations due à de multiples facteurs (maladie, guerre, exploitation) s’accompagne d’une volonté de destruction systématique des cultures autochtones par les colonisateurs.

En réalité la première découverte est bien plus ancienne on estime que les premiers Humains découvrent l’Amérique il y a vraisemblablement 15 000 ans à partir du continent européen en passant par le Groenland. Ces premiers arrivants se lancent à la découverte de l’Amérique et iront, de génération en génération, peupler le continent jusqu’à la Terre de Feu. Deux autres vagues de peuplement suivront par le nord en provenance d’Asie, mais ces nouvelles populations n’iront cette fois pas plus loin que les actuels États-Unis [2]. Il y a relativement peu de données sur la croissance démographique entre ces vagues d’arrivées et la découverte des Amériques par les rois catholiques espagnols, toujours est-il qu’à l’arrivée des européens la population du continent représente 80 à 100 millions de personnes [3].

Après cela, on sait que Leif Erikson, explorateur islandais, a foulé le sol de ce continent aux alentours de l’an 1000. On sait aussi qu’à peu près à la même époque un savant Persan Abu Rehan Al-Biruni a déduit après avoir calculé la taille de la terre l’existence d’un autre continent en 1037. Enfin aux alentours de 1474, Juan Scolvus un capitaine Norvégien découvre une voie vers ces nouvelles terres en passant par le Groenland pour le compte de Christian 1er du Danemark, personne n’y prendra garde [4]. Pour le reste tout un tas de théories, jusqu’aux plus farfelues, circulent sur la question [5] .

L’Occident chrétien n’entendra en tout cas jamais parler de ce continent jusqu’à cette découverte fortuite le 12 octobre 1492. La portée de la chose n’est pas comprise tout de suite.
Et d’ailleurs la première découverte 20 ans plus tôt par la couronne du Danemark a totalement été effacée des mémoires collectives. A ce moment là, les scandinaves ne sont pas particulièrement intéressés par cette découverte, et l’information ne filtre pas en dehors de la cour. C’est la volonté primaire d’accumulation de capital de la noblesse ibérique qui va faire une place dans les livres d’Histoire à ce savoir. Quand débute cette ruée vers l’or c’est toute la structure sociale des deux continents qui en est radicalement changée.

Au fil des siècles le rôle idéologique de l’Église dans cette affaire sera déterminant du fait de son influence quasi hégémonique sur la pensée occidentale à ce moment. Les idées d’évangélisation et d’universalité du message chrétien joueront un rôle important dans le déroulement de la conquête coloniale de l’Amérique. C’est au sein de l’Église que vont se dérouler les débats qui vont faire des populations rencontrées sur place des sauvages qui ne sachant pas se gouverner ne sauraient revendiquer la souveraineté sur une terre. Dans la logique de l’Église, c’est aux chrétiens d’assurer l’évangélisation des terres ainsi découvertes et donc de leurs souverains. C’est au nom de l’Église que des massacres seront commis, mais c’est aussi au nom de l’Église que d’autres les condamneront.

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Les États espagnols et portugais ont déjà commencé à se partager le gâteau et, lorsqu’en 1507 le navigateur Florentin Amerigo Vespucci donne pour la première fois un nom et une existence à ce nouveau continent, le traité de Tordesillas est déjà signé depuis 13 ans.

Le 7 juin 1494 à Tordesillas, l’Espagne et le Portugal se sont partagés ce qui sera bientôt officiellement un nouveau continent. En effet, malgré les rencontres avec des populations indigènes dont font état les rapports des premiers marins, les terres découvertes sont déclarées Terra nullius [6], et sont partagées entre les deux belligérants - dans un premier temps par le Pape.
Celui-ci édite une bulle pontificale [7] appelée "Inter Caetera" le 4 mai 1493 qui fixe comme séparation entre les deux royaumes un méridien à 100 lieux à l’Ouest de cap vert. Ce découpage ne plaît pas au roi d’Espagne qui fait déplacer le méridien à 370 lieux lors des négociations du traité de Tordesillas. Le traité est entériné en 1506 par une nouvelle bulle pontificale. Ces documents appuyés par la suprématie navale des deux puissances excluent de fait les autres royaumes d’Europe de la partie. Il faudra attendre 1533 pour qu’un nouveau pape autorise les autres royaumes à se lancer dans l’évangélisation et la conquête des terres non encore occupées par "des royaumes chrétiens".

Ethnocide :
Robert Jaulin décrit en 1974 l’ethnocide comme « l’acte de destruction d’une civilisation, l’acte de décivilisation ». Plus tard, Pierre Clastres pour l’Encyclopédie Universalis écrit au sujet de l’ethnocide : " Si le terme de génocide renvoie à l’idée de « race » et à la volonté d’extermination d’une minorité raciale, celui d’ethnocide fait signe non pas vers la destruction physique des hommes (auquel cas on demeurerait dans la situation génocidaire), mais vers la destruction de leur culture. L’ethnocide, c’est donc la destruction systématique des modes de vie et de pensée de gens différents de ceux qui mènent cette entreprise de destruction. En somme, le génocide assassine les peuples dans leur corps, l’ethnocide les tue dans leur esprit. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit bien toujours de la mort, mais d’une mort différente : la sup­pression physique et immédiate, ce n’est pas l’oppression culturelle aux effets longtemps différés, selon la capacité de résistance de la minorité opprimée. Il n’est pas ici question de choisir entre deux maux le moindre : la réponse est trop évidente, mieux vaut moins de barbarie que plus de barbarie".


Les premiers temps de la colonisation du continent concernent donc principalement les royaumes d’Espagne et du Portugal. Les colons s’appuient sur leur force brute mais aussi, profitant des dissensions au sein des cultures autochtones, sur des alliances avec les minorités locales [8] . Les alliés d’un jour seront une fois le pouvoir installé considérés comme des vassaux, les ennemis n’auront pas le droit à ces égards. Les populations conquises seront traitées comme du bétail [9], directement passées par les armes ou bien massacrées dans des camps de travail. Des populations entières meurent dans des mines dès les premières années de la découverte, permettant à la noblesse espagnole d’effectuer un gigantesque transfert de ressources entre le nouveau continent et le coffre de la couronne d’Espagne. Entre 1500 et 1800, 80% de l’extraction de métaux [10] se passe aux Amériques [11], principalement pour le compte de la couronne d’Espagne.

La noblesse espagnole va principalement se tourner vers le commerce extérieur pour écouler ces ressources rapidement acquises. Ces nombreux achats à l’extérieur qui s’accompagneront d’une faible progression de l’appareil de production ibérique vont a l’inverse alimenter les industries productrices en Angleterre, en France et en Italie. Dans le même temps cet or va accompagner le développement des banquiers. Les banquiers lyonnais tirent relativement bien leur épingle du jeu, et les coffres des banques de la ville voient affluer les devises rassemblées grâce à des prêts émis dans le cadre du commerce avec le nouveau monde.

Controverse théologique
Dans un premier temps, les habitants des terres nouvellement découvertes sont des "barbares" envers lesquels les souverains des pays colonisateurs n’ont aucune sorte de devoirs et il faut attendre le 9 juin 1537 pour que le pape Paul III intègre ces populations à l’Humanité. Dans la Bulle pontificale Sublimis Deus l’Église rappelle officiellement que les indiens aussi sont des Humains et qu’il appartient donc aux chrétiens de les évangéliser. [12] Si par ce geste les habitants de ces terres deviennent des humains, ce sont toujours des mécréants et il devient nécessaire, puisque c’est la mission des chrétiens, de se demander comment les convertir. C’est au milieu de ces controverses qu’intervient la controverse de Valladolid sous l’autorité de Charles Quint et des papes Paul III (1534-1549) puis Jules III (1550-1555). Celle-ci oppose, avec l’arbitrage d’un représentant du Pape, Bartolomé de Las Casas, qui se pose en avocat des peuples autochtones, à Sepúlveda entre août 1550 à mai 1551.

Il s’agit de décider comment devront à l’avenir être traité les habitants originels des Amériques nouvellement découvertes. "Concernant l’identité des Indiens, les contradicteurs disposent de plusieurs grilles. Théologique : sont-ils des démons, des êtres que Dieu refuse, ou des fils de Dieu ? Métaphysique : sont-ils des êtres humains comme nous ou plutôt des êtres d’une humanité inférieure, comme ces « esclaves de nature » d’Aristote ? Un spectre anthropologique : sont-ils des bêtes, des sortes de singes ? Des sauvages, de bons sauvages, comme le pense Colomb au début de son exploration ? Ou des barbares cruels qui se livrent à des exactions de toutes sortes et en particulier à des sacrifices humains ? Ne sont-ils pas finalement des hommes semblables à nous, ni meilleurs ni pires ? De la qualification des Indiens va dépendre leur traitement : comment faut-il se comporter dans la colonisation ? Et même, qu’est-ce qui justifie de conquérir ces terres lointaines ?". Tout au long du débat, "Sepúlveda et Las Casas se situent à l’intérieur d’un super-registre (le catholicisme) mais le premier construit les problèmes en greffant une axiologie vétéro-testamentaire (le dieu terrible et le peuple élu) sur la doctrine aristotélicienne de l’esclavage [13] , tandis que la problématique du second s’appuie sur le dieu bon de l’Évangile dont nous serions tous les fils." Le résultat de la controverse est en demi teinte, "elle ne reconnaîtra l’humanité des Indiens qu’en la refusant aux noirs d’Afrique". La solution envisagée "préserve les enjeux économiques et politiques de la colonisation tout en endormant provisoirement la mauvaise conscience catholique." [14] C’est cette séparation entre bon sauvage amérindien et mauvais sauvage africain qui va ouvrir la voie à l’achat massif d’esclaves en Afrique et leur déportation que nous connaissons aujourd’hui sous la formule euphémique de "commerce triangulaire".

Dans sa définition de l’ethnocide, l’anthropologue et l’ ethnologue Pierre Clastres dit au sujet de la conquête de l’Amérique que "L’horizon sur lequel prennent figure l’esprit et la pratique ethnocidaires se détermine selon deux axiomes. Le premier proclame la hiérarchie des cultures : il en est d’inférieures, il en est de supérieures. Quant au second, il affirme la supériorité absolue de la culture occidentale. Celle-ci ne peut donc entretenir avec les autres, et singulièrement les cultures primitives, qu’une relation de négation. Mais il s’agit d’une négation positive, en ce qu’elle veut supprimer l’inférieur en tant qu’inférieur pour le hisser au niveau du supérieur."

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Épilogue
Les Tainos un peuple de culture Arawaks vivant sur l’ile de San salvador, la première sur laquelle Colomb a posé le pied [15], vont être le premier groupe "génocidé" de l’histoire de l’Amérique. Pourtant, la rencontre avait plutôt bien commencée. Christophe Colomb écrit au roi et à la reine en Espagne "Ce peuple est si paisible et si doux qu’il n’y a pas de meilleur nation sur terre, j’en fais le serment à vos Majestés. Ils aiment leur prochain comme eux-mêmes et leurs conversations sont toujours douces, affables, accompagnées d’un sourire, et même si il est vrai qu’ils vont nus, leurs manières n’en sont pas moins bienséantes et dignes d’éloge."
La tradition de ce peuple voulait qu’on accueille les étrangers avec de généreux présents et en les traitant avec honneur. On peut imaginer que leur civilisation les amenaient à voir l’étranger avec bienveillance. Et tout cela fut interprété comme un signe de faiblesse. Colomb, imprégné de culture occidentale, adopta rapidement un autre ton et suggérera que ce peuple devait être "contraint à travailler semer et faire tout ce qu’il est nécessaire de faire, enfin d’adopter nos mœurs." [16]. Dès 1498 les colons espagnols posent les bases d’un système analogue à celui du servage, "les « Indiens » sont dépossédés de leurs terres et enrôlés de force selon le système de l’encomienda ou du repartimiento qui accorde à chaque colon, selon son rang et sa fortune, un certain nombre d’indigènes corvéables à merci." [17]
Dans les dix années qui suivirent l’arrivée de Christophe Colomb aux Antilles, des tribus entières disparaissaient- pour donner une idée de la vitesse du phénomène on passerait pour la zone des caraïbes de 7 à 8 millions d’âmes en 1492, à 65.800 en 1510, 15.600 en 1518, 250 en 1540 [18]. Les Tainos en l’intervalle d’une génération disparaissent remplacés par une population d’esclave originaire d’Afrique. Dans le même temps leur habitat est remplacé par des champs de coton. En 1542, il ne reste plus que 200 Tainos qui se replieront dans les montagne et engageront une lutte à mort contre les colons. L’île que Colomb décrivait comme « très grande et très plate, et les arbres étaient très verts… l’ensemble si vert que c’était un plaisir de le contempler », finit par devenir un désert que le colons abandonnèrent.

Controverse mémorielle : Génocide ou Ethnocide
Il existe un débat [19] autour de la qualification de ce qui est arrivé aux peuples et cultures de l’Amérique. On pourrait, avec une certaine mauvaise foi simplificatrice, résumer la discussion en disant que les tenants de la thèse du génocide accusent les autres de minimiser l’ampleur du désastre qui intervient durant ces 5 siècles. A l’inverse les seconds accusent les premiers de dénier aux amérindiens la qualité de sujet de l’Histoire de l’Amérique. Les amérindiens ne seraient plus que les objets de cette histoire de la conquête de l’Amérique par l’occident. Comme si quelque millions d’occidentaux avaient pu, par la seule force du fer (et la supériorité du capitalisme), massacrer 90 millions de personnes.

Au moment d’écrire ce texte je pense que si il y a bien une stratégie systématique des classes dominantes en Europe de destruction des cultures locales en vue d’offrir toujours plus de terres à la spéculation et de sujets à l’exploitation. Volonté qui accompagne la formation de ce que nous appelons le capitalisme. Les massacres aussi importants soient-ils résultent le plus souvent de l’expression du déni de l’Autre à l’échelle locale. Si génocide il y a eu, c’est culture par culture au gré des conquêtes et non selon un plan généralisé pour les cultures amérindiennes envisagé comme un tout. C’est une succession de choix pris tout au long de l’histoire de la conquête coloniale non selon un plan défini par le haut mais comme des moments d’expression radicale de l’idéologie dominante. En disant cela il ne s’agit pas de nier l’horreur de cette histoire mais bien de rendre évident que dans cette affaire c’est la même logique qui engendre les massacres et les tentatives d’assimilation des populations autochtones.

 

Notes

[1P. Clastres La société contre l’Etat, éd. de Minuit, Paris, 1978 (1re édition : 1974).

[2article collectif : Reconstructing Native American population history, Nature

[3P. Chaunu « La population de l’Amérique indienne. Nouvelles recherches », Revue Historique, 1964

[5Comme par exemple celle d’une flotte de navires templier qui à la veille de l’interdiction de l’Ordre par Philippe le Bel aurait fuit en direction de l’Amérique. Ou encore la thèse qui veut que Charles V ait fait l’achat de bois brésilien pour la construction d’une série d’étagères

[6que l’on traduit généralement par « territoire sans maître »

[7Une bulle pontificale est un acte juridique à valeur universelle émise par le pape

[8Par exemple dans le cadre de ce que l’on nomme communément l’empire Inca, les colons vont profiter d’une guerre de succession suite à la mort de l’empereur en 1527 et s’allier à certains clans de l’ethnie dominante (les Quechuas), mais ils vont aussi s’appuyer sur des ethnies minoritaires vivant sous la domination de l’empire Inca, c’est comme ça que 180 conquistadors mettront fin à un empire vieux de trois siècles

[9« Allez enseigner toutes les nations ». Elle a dit toutes, sans exception, puisque tous les hommes sont capables de recevoir l’enseignement de la foi. Ce que voyant, le jaloux adversaire du genre humain, toujours hostile aux œuvres humaines afin de les détruire, a découvert une nouvelle manière d’empêcher que la parole de Dieu soit annoncée, pour leur salut, aux nations. Il a poussé certains de ses suppôts, avides de satisfaire leur cupidité, à déclarer publiquement que les habitants des Indes occidentales et méridionales, et d’autres peuples encore qui sont parvenus à notre connaissance ces temps-ci, devaient être utilisés pour notre service, comme des bêtes brutes, sous prétexte qu’ils ne connaissent pas la foi catholique.Lettre du pape Paul III Veritas ipsa 2 juin 1537

[10Principalement des mines d’argent (96,4%)

[11Les Amériques, Laurent Carroué, Didier Collet, Claude Ruiz, Ed. Bréal, 2008

[12Nous qui, bien qu’indigne de cet honneur, exerçons sur terre le pouvoir de Notre-Seigneur et cherchons de toutes nos forces à ramener les brebis placées au-dehors de son troupeau dans le bercail dont nous avons la charge, considérons quoi qu’il en soit, que les Indiens sont véritablement des hommes et qu’ils sont non seulement capables de comprendre la Foi Catholique, mais que, selon nos informations, ils sont très désireux de la recevoir.

[13doctrine qui postule l’existence de personnes esclaves par nature

[14les citations sont extraites de Fabre Michel, « La controverse de Valladolid ou la problématique de l’altérité. », Le Télémaque 1/2006 (n° 29) , p. 7-16

[15qu’on appelle à ce moment Hispaniola

[16Enterre mon coeur à Wounded Knee Dee Brown

[17Fabre Michel, « La controverse de Valladolid ou la problématique de l’altérité. », Le Télémaque 1/2006 (n° 29) , p. 7-16

[18Sherburne F. Cook, Woodrow W. Borah, Essays in Population History : Mexico and the Caribbean, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of Califorina Press, 1971.

 

 

SOURCE / REBELLYON.INFO

Tag(s) : #actualités
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