Désintox sur un Hold Up sur la pensée
Un Hold Up sur la pensée
«HOLD UP» surfe sur le désarroi et l'inquiétude, en évitant tout débat contradictoire. Les problèmes pointés sont bien réels, parfois inquiétants. Mais les propos tenus dans ce film sont eux aussi, très inquiétants, car le film constitue un hold up sur la pensée rigoureuse au profit de la manipulation par l'émotion, sans hésiter à recourir au mensonge. Par Alain Trautmann.

Le film HOLD UP, de Pierre Barnerias, est actuellement largement partagé sur les réseaux sociaux. Les images sont de qualité, la musique suggestive, le rythme rapide, et le film fait écho à des inquiétudes et des questionnements largement partagés actuellement.

Par exemple : combien de temps va durer la pandémie de Covid-19 et le confinement qui lui est associé ? Qu'est-ce qui explique la gestion chaotique puis autoritaire de cette crise par notre gouvernement ? Pourquoi l'hydroxychloroquine, puisqu'elle semble efficace, n'est pas largement prescrite ? etc. 

A ces questions légitimes, le film donne deux réponses principales. La première, "rassuriste" concerne la dimension santé publique. Les réponses sont : cette pandémie n'est pas réellement grave, il n'y a pas vraiment de 2e vague, l'hydroxychloroquine marche très bien mais on vous le cache. La deuxième réponse, inquiétante, elle, est politique : la politique autoritaire du gouvernement fait partie d'un complot, le Great Reset, planifié par des leaders politiques et économiques pour qu'une élite riche et informée puisse dominer sans entrave des populations ignorantes, dominées, qui pourraient être remplacées par des robots.

Le film cite longuement une lettre envoyée le 25 octobre 2020 à Donald Trump par l'ancien ambassadeur du Vatican aux USA. Je traduis : Un plan global appelé Great Reset est en cours. Son architecte est une élite globale qui veut assujettir l'humanité toute entière, imposer des mesures coercitives permettant de limiter de façon drastique les libertés individuelles et celles de populations entières. Dans plusieurs pays ce plan a déjà été approuvé et financé; dans d'autres il est encore à ses débuts. Derrière les leaders mondiaux qui sont les complices et les exécuteurs de ce projet infernal, il y a des personnages sans scrupules qui financent le forum de Davos et Event 201[1].

Les risques de dérives autoritaires sont indiscutablement un problème très sérieux, qui mériterait une analyse politique approfondie, concernant notamment la proximité inacceptable entre les décideurs politiques et économiques et leurs relais médiatiques. Mais ce que propose HOLD UP n'a rien d'une analyse approfondie. HOLD UP se contente de chercher à convaincre de l'existence d'un complot, le Great Reset, que je laisse à d'autres le soin de commenter. La suite de cette analyse portera sur les positions rassuristes du film, concernant la pandémie.

C'est une question de santé publique, qui a donc une dimension scientifique et une dimension politique. Le film peut à très juste titre critiquer la politique de revirements successifs du gouvernement sur les masques, inutiles puis obligatoires, ou sur un confinement parfois absurde (on rappelle que même les parcs et espaces naturels vides étaient interdits lors du 1er confinement). Mais le film fait l'impasse sur une cause majeure de la saturation de services de soins intensifs en mars : notre service public hospitalier avait été considérablement affaibli par plusieurs dizaines d'années de politique ultralibérale (réduction du nombre de lits, réduction du nombre d'infirmières, gestion gouvernée avant tout par la rentabilité).

Le film a ceci de remarquable qu'il ne fait jamais parler des acteurs du terrain : des infirmières des médecins généralistes ou urgentistes épuisés par la première vague, et qui ont payé leur lot de morts, des chercheurs ayant des compétences en virologie ou en immunologie. Ce qui intéresse HOLD UP, ce ne sont pas ces acteurs qui pourraient donner à penser, mais des commentateurs qui viseront l'émotion plutôt que la réflexion. Le commentateur principal dans ce film est Jean-Dominique Michel.

JD Michel est un blogueur qui n'a aucune formation sérieuse en biologie. Il se présente comme anthropologue de la santé, grâce à un diplôme délivré en 1995 par un éphémère institut privé dissous en 1999.

Son incompétence en biologie ne l'empêche pas d'affirmer par exemple : "une 2e vague, ce serait un scoop, une nouveauté absolue pour une épidémie mondiale". Le lecteur jugera de cette affirmation en examinant une courbe de mortalité pour la grippe espagnole de 1918-1919 (40 millions de morts au niveau mondial)(Figure 1), ainsi que le doute existant sur une hypothétique 2e vague en France (Figure 2), ou ailleurs.

 

fig-1

 

Figure 1. Les 3 vagues de mortalité provoquée par la pandémie de grippe espagnole en Angleterre en 1918-1919. C'est la 2e qui a été la plus importante.Adapté de

Taubenberger & Morens (2006). 1918 Influenza: The mother of all pandemics. Rev Biomed 17, 69–79.

 

 

fig-2

 

 

Figure 2 : Nombre de morts par jour du Covid en France.

https://ourworldindata.org/coronavirus/country/france?country=~FRA

 Une courbe de forme similaire est obtenue avec le nombre de lits en soins intensifs.
https://covid19.healthdata.org/france

 Globalement, JD Michel montre une hostilité assez systématique pour les chercheurs scientifiques. Dans HOLD-UP, il affirme: "Dans la littérature scientifique, l'essentiel de ce qui est publié est faux". C'est une idée à laquelle il revient souvent. Par exemple, dans un de ses articles, il a écrit "La recherche scientifique donc, est très largement faisandée et mal fichue au point d’en être globalement douteuse. La vraie raison, vous ne l’entendrez jamais mentionnée : c’est simplement que la médecine n’est pas une science". JD Michel a donc l'autorité pour dire en souriant sa détestation de la recherche scientifique, et montre au passage son incompétence qui l'amène à confondre médecine et recherche scientifique.

A de nombreuses reprises, le film distille la défiance que tout le monde devrait avoir pour la recherche. Il met ainsi en scène deux jeunes qui ont préféré abandonner la recherche. On entend aussi "Les scientifiques avaient intérêt à ce qu'il y ait une épidémie". HOLD UP multiplie aussi les attaques contre Anthony Fauci, directeur du NIH (équivalent américain de l'INSERM), un homme largement apprécié par les chercheurs aux USA, notamment pour sa résistance à Trump. A. Fauci est présenté comme favorable aux dangereuses recherches en virologie sur les "gains de fonction", alors même qu'il s'est explicitement prononcé contre [2]. (voir aussi annexe 1).

Le film consacre une longue séquence à un article frauduleux du journal The Lancet, article qui avait amené à l'arrêt des essais avec l'hydoxychloroquine (HCQ). Cet article est en effet scandaleux, dans la mesure où le comité éditorial du journal a laissé passer une série d'erreurs méthodologiques énormes sans en demander la correction. Mais le vrai problème sous-jacent à cet article honteux n'est pas celui que dénonce le film. Le vrai problème, c'est l'évolution du système de recherche, au niveau international, qui vise depuis plusieurs dizaines d'années à mettre la recherche publique au service de l'économie, à donner des pouvoirs exorbitants aux éditeurs de revue scientifiques comme Springer ou Elsevier. Ces journaux ont toute liberté pour pressurer les chercheurs (la plupart du temps) ou pour faire la chasse au scoop sans être regardant sur la rigueur scientifique normalement exigée des chercheurs (cas de l'article au Lancet). L'article du Lancet révèle une anomali, le pouvoir quasi-illimité des journaux scientifiques, et non pas le fait que tous les chercheurs seraient des fraudeurs en puissance.

Revenons à la position "rassuriste" de HOLD UP. Elle est systématiquement affirmée, jamais exposée de façon contradictoire. Dommage, car sur une question comme le confinement, il aurait pu y avoir un débat intéressant, comme ce fut le cas dans une émission récente de Arrêt sur Images, Reconfinement : "Le seul moyen d'éviter une vague de morts", dans laquelle un rassuriste (encore une fois non biologiste) s'est fait littéralement laminer par un médecin généraliste.

Dans HOLD UP, Pierre Barnerias préfère faire appel au bon sens de personnes comme des chauffeurs de taxi, une lycéenne, un père d'élève, etc…, le niveau de réflexion adopté est celui du café du commerce.

Il est frappant de constater que cet appel au bon sens est aussi celui d'une association qui s'est créée récemment, Bon Sens. Quatre de ses membres fondateurs (Christian Perronne, Silvano Trotta, Martine Wonner, Alexandra Henrion-Caude[3]) apparaissent dans HOLD UP. A. Henrion-Caude, qui a démissionné de l'INSERM en 2018, a accusé le gouvernement de vouloir implanter des nanoparticules dans le cerveau des français via les écouvillons qui servent aux prélèvements nasaux utilisés pour détecter le Covid-19 chez un patient. Silvano Trotta est connu sur les réseaux sociaux pour ses interventions sur la réalité des OVNI, les apparitions mariales, la démonstration que l'homme n'a jamais marché sur la lune, etc…

Les "experts" de HOLD UP multiplient les affirmations inquiétantes : "C'est un virus bénin, fabriqué par l'Institut Pasteur puis envoyé à Wuhan, le vrai danger ce sera le vaccin". On se demande bien pourquoi des chercheurs de l'IP se seraient amusés à fabriquer un virus bénin et l'envoyer à Wuhan ? Ou bien : "A. Fauci a une assurance déconcertante, pour ne pas dire troublante, que sait-il qu'il ne peut pas dire?" Là, il faut reconnaître qu'on a la preuve définitive qu'il faut se méfier de cet homme. C'est bien l'avis de Donald Trump, d'ailleurs. Ces experts rassuristes dénoncent l'inutilité du confinement. On comparera avec intérêt deux pays très proches, la Suède (qui n'a pas confiné) et la Norvège (qui a confiné). La mortalité par le Covid-19, par million d'habitants, a été à ce jour plus de 10 fois plus élevée en Suède (635) qu'en Norvège (53).

Tous ces "experts" sont convaincus que l'HCQ est un remède miracle dont un complot empêche qu'il soit utilisé. Il faut en finir avec cette rumeur, sur des bases scientifiques.

L'HCQ a une efficacité reconnue contre la malaria et comme traitement antiinflammatoire/ immunosuppresseur, d'où son utilisation pour des maladies inflammatoires chroniques. Par ailleurs, certains effets antiviraux de HCQ contre HIV-1 ont été démontrés in vitro il ya 30 ans. Malheureusement, jamais une activité antivirale de HCQ n'a pu être démontrée in vivo. Une différence d'efficacité antivirale de HCQ in vitro et d'inefficacité totale in vivo a été clairement montrée dans différents modèles animaux ou chez l'homme pour au moins 5 virus différents : ceux de la grippe, de Nipah, Ebola, chikungunya et celui de la dengue. Cette différence systématique entre les efficacités in vitro et in vivo pourrait dépendre des concentrations effectives de la drogue qui peuvent être atteintes au niveau tissulaire. Par ailleurs, in vivo, les éventuels effets antiviraux de HCQ pourraient bien être masqués par ses effets immunosuppresseurs bien établis. Une telle explication, qui devrait être testée, pourrait expliquer pourquoi HCQ, bien qu'efficace in vitro sur une lignée de cellules de singes infectées par le SARS-CoV-2, est totalement inefficace pour prévenir l'infection de macaques par SARS-CoV-2, ou pour traiter des macaques récemment infectés par ce virus. Le groupe de D. Raoult a affirmé la grande efficacité de HCQ contre le COVID-19 dans quelques essais cliniques, systématiquement effectués sans groupe contrôle. Cette conclusion isolée et méthodologiquement faible n'a jamais pu être confirmée, dans au moins 4 essais internationaux, qui avaient tous des groupes contrôle. Toutes les références d'articles sur l'activité antivirale de HCQ peuvent être trouvées ici [4]. Croire à l'efficacité de HCQ contre le Covid-19 relève désormais de la foi, mais pas de la science.

En conclusion, HOLD UP est un film qui surfe sur le désarroi, l'inquiétude et l'incompréhension de personnes qui ne comprennent pas ce qui leur arrive, ce qui risque de se passer dans un avenir proche ou plus lointain. Dans ce genre de situation, faire appel à l'émotion plutôt qu'à la réflexion contradictoire, rechercher des boucs émissaires ou des personnes présumées malveillantes et responsables de nos malheurs, c'est une recette qui a toujours bien marché. Les sorcières au temps de … la peste en savent quelque chose. Bien sûr, les problèmes pointés sont bien réels, que ce soit l'impréparation et la gestion catastrophique de la crise par nos gouvernants, l'inquiétante dérive autoritaire actuelle, le scandale de l'article du Lancet, etc… Mais les propos tenus dans ce film ont eux aussi, une tonalité inquiétante. Car il s'agit d'un hold up sur la pensée, sur le débat contradictoire, sur l'analyse critique, un hold up fait au profit de l'émotion brute, sans hésiter à recourir au mensonge.

Alain Trautmann, immunologiste, directeur de recherche au CNRS et à l'Institut Cochin, le 13 novembre 2020. 

Annexe : Gain de fonction pour des virus et manipulations génétiques.

La recherche sur les gains de fonction consiste à effectuer des modifications du génome de virus, afin d'en augmenter la virulence ou la transmissibilité. C'est une recherche qui intéresse avant tout l'armée, pour la mise au point d'armes biologique. De telles recherches sont dangereuses, dans la mesure où, si un virus s'échappait accidentellement du laboratoire P4 de haute sécurité où ces recherches doivent être effectuées (pour les virus potentiellement les plus dangereux), les conséquence risqueraient d'être désastreuses. Pour cette raison, en 2012, des chercheurs en virologie ont eux-même demandé un moratoire, cad un arrêt provisoire de toute recherche sur cette question. A. Fauci a alors appuyé l'idée de ce moratoire qui, hélas, n'a duré que quelques mois 2.

Il y a sans doute 14 laboratoires P4 aux USA qui font des recherches intéressant l'armée. Il y en a un en Chine, celui de Wuhan. La possibilité que le SARS-CoV-2 ait été un tel virus trafiqué est loin d'être nulle [5]. Luc Montagnier, interviewé dans le film, le dit. Malheureusement pour lui, les arguments qu'il avait avancés (recombinaison entre le SARS et HIV) ne tenaient absolument pas la route. Le raisonnement était faux, mais la conclusion exacte, pour des raisons démontrées par d'autres que lui.

[1] Event 201 est un travail de modélisation des conséquences que pourrait avoir une pandémie virale. Cette étude a été effectuée en octobre 2019 par le Johns Hopkins Center for Health Security, avec le soutien financier du forum de Davos et de Bill Gates.

[2] Fauci (2012). Research on Highly Pathogenic H5N1 Influenza Virus: The Way Forward.

[3] Les deux dernières ont quitté Bon Sens peu après l'avoir co-fondé

[4] Feuillet, Canard & Trautmann. Combining Antivirals and Immunomodulators to Fight COVID-19. Trends in Immunology (sous presse).

https://www.cell.com/trends/immunology/fulltext/S1471-4906(20)30261-1

[5] Sallard et al. (2020). Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus. Med Sci (Paris) 36, 783–796.

 

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SOURCE/ MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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