Pandémies et écologie, un entretien avec Benjamin Roche, biologiste
Ecologie, une seule santé : « Pour prévenir les prochaines pandémies, on ne peut pas en rester à une approche médicale »

, par POINSSOT Amélie

 

Le biologiste Benjamin Roche explique à Mediapart combien la prévention des attaques contre les écosystèmes est cruciale pour lutter contre les futures pandémies.

12 milliards de dollars débloqués par la Banque mondiale pour un accès rapide au vaccin dans les pays en développement [1], plus de 8 milliards d’euros négociés par l’Union européenne pour se procurer des centaines de millions de doses [2], plus de 5 millions d’euros de financements publics accordés à la société française de biotechnologie OSE Immunotherapeutics pour le développement de son vaccin [3]… Et si autant d’argent était attribué à la recherche sur les écosystèmes et à la prévention des futures pandémies ?

En pleine course pour la vaccination contre le Covid-19, le biologiste et écologue Benjamin Roche appelle à sortir d’une approche strictement médicale du coronavirus, dont l’émergence est liée à l’emprise humaine sur les espaces naturels.

Pour ce spécialiste des interactions entre environnement, santé et maladies infectieuses, expert auprès de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, qui rassemble des scientifiques de 130 pays (l’équivalent du Giec pour le climat), des mesures pourraient être prises rapidement pour arrêter ou au moins ralentir la déforestation à l’œuvre partout sur la planète.

Là aussi, il y a urgence : « Des pandémies plus fréquentes, plus mortelles et plus coûteuses sont à prévoir », notait l’IPBES dans son rapport publié cet automne. L’organisme dénombrait entre 631 000 et 827 000 virus actuellement présents dans la nature susceptibles d’infecter les humains.

Dans le dernier rapport de l’IPBES, vous proposez un certain nombre de pistes pour mieux lutter contre les futures pandémies. Quelles sont-elles ?

Benjamin Roche : La première se situe à un niveau institutionnel. Nous n’avons aucun organisme à l’heure actuelle capable de lutter contre l’émergence de zoonoses [maladies qui franchissent la barrière des espèces – ndlr]. Ce n’est le rôle ni de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ni de la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], ni de l’Union européenne… Nous proposons donc la création d’une instance internationale pour les pandémies, afin de catalyser les connaissances, d’envoyer un message clair aux décideurs, de combler les manques de la recherche.

Le rapport de l’IPBES fait le lien entre l’impact de l’espèce humaine sur les écosystèmes, la perte de biodiversité et l’émergence de maladies infectieuses. Chaque année, entre quatre et cinq nouvelles zoonoses apparaissent chez les humains. À la différence du SARS-CoV-2, cependant, la plupart ne sont pas détectées à une large échelle ou restent contrôlables assez efficacement, parce que ce ne sont pas des virus bien adaptés à l’homme. C’est le cas, par exemple, des virus hautement pathogènes de la grippe aviaire H5N1 ou H5N8 [depuis fin novembre, plusieurs foyers d’influenza aviaire H5N8 ont été repérés en Europe, notamment dans cinq élevages de canards en France – ndlr].

Il faut donc agir sur les causes de cette perte de biodiversité. La déforestation et le commerce d’animaux sauvages font que nous nous retrouvons de plus en plus en contact avec la faune sauvage.

Comment faire ?

La biodiversité a un effet de dilution sur la transmission des microbes. Elle sert de frein, en quelque sorte : quand il y a beaucoup d’espèces, il y a beaucoup d’hôtes cul-de-sac qui stoppent la propagation des virus et bactéries. La perte de biodiversité fait que ces derniers peuvent circuler à des niveaux beaucoup plus élevés.

Deux mécanismes principalement devraient être mis en place. Le premier, c’est le traçage du commerce de la faune sauvage. 24 % des mammifères dans le monde sont commercialisés. Cela s’est multiplié par cinq ces 15 dernières années. Un tel traçage nous permettrait, quand on rencontre un microbe, de remonter à la source du problème et de couper la propagation le plus rapidement possible.

Le second, c’est la taxation de ces secteurs économiques. Déforestation et commerce de la faune sauvage doivent être rendus moins attractifs.

Comment expliquez-vous que ce discours que vous portez, comme de nombreux scientifiques qui étudient le vivant, ne soit pas du tout entendu par les médias et les pouvoirs publics en ce moment ?

Dans une crise, il y a différents moments. Quand la crise éclate, la gestion de l’urgence s’impose. Mais après, quand la pression retombe un peu, il faut préparer le moyen terme, puis le long terme.

Le coronavirus aura montré de manière éclatante l’impact humain sur les écosystèmes : c’est l’étincelle qui a déclenché l’incendie ; ensuite, la connectivité mondiale a pris le relais.

Pour prévenir l’apparition de prochaines pandémies, on ne peut donc pas en rester à une approche médicale. On voit, par ailleurs, que la mise au point de traitements, de vaccins… prend du temps. On ne peut pas se passer d’une gestion plus raisonnée des écosystèmes.

Cela a quelque chose de frustrant de le constater avec le Covid-19. Nous sommes, en effet, nombreux dans la recherche à travailler sur ces sujets depuis des années… On savait que cela allait arriver et ce qu’il fallait faire pour l’empêcher.

Quand j’ai commencé à travailler sur les zoonoses, en 2004-2005, ce n’était pas du tout un sujet dans le débat public. Puis les épidémies se sont multipliées : Sars, Mers, Ebola, grippe aviaire, Zika… La perception de ces maladies a commencé à évoluer.

Il y a eu quelques avancées positives. L’approche « One Health » [« une seule santé » – ndlr], qui considère ensemble santé humaine, santé animale et environnement, est déjà bien développée dans la science académique. Lors du Forum de Paris, l’année dernière, la création d’un conseil d’experts de haut niveau « One Health » a constitué un premier pas en avant. Et, en octobre, lors du Sommet mondial de la santé à Berlin, cette approche « One Health » était au cœur de nombreux travaux.

Cette approche est-elle dotée de moyens suffisants ?

Non, elle manque cruellement de moyens, surtout si on la compare aux approches médicales plus classiques. Le coût de développement d’un vaccin est sans commune mesure avec les budgets de nos recherches. Or, en matière de prévention, même si cela peut paraître moins visible, le retour sur investissement est considérable.

Dans un article publié cet été dans la revue Science [4], une équipe de chercheurs montrait que la prévention des pandémies coûterait seulement 1 % de ce que coûte la pandémie actuellement. Investir entre 18 et 25 milliards d’euros suffirait pour faire diminuer significativement l’émergence de maladies infectieuses. Rien à voir avec les plusieurs milliers de milliards que coûte actuellement la gestion de la pandémie…

Dans le quatrième plan national Santé-environnement annoncé par le gouvernement français cet automne, les financements accordés à la recherche restent encore très timides. Et tant qu’un effort n’est pas fait au niveau international, les pays hésiteront à investir, craignant de perdre leur compétitivité.

Espérons toutefois que ce que nous vivons actuellement permettra une prise de conscience pour trouver le juste équilibre entre croissance économique, préservation de la nature et conséquences dévastatrices pour la santé humaine. Le Covid-19 a été très brutal et violent : cela fait une différence par rapport au réchauffement climatique, qui est quelque chose de très graduel, et ne s’imprime pas dans l’esprit des gens et des politiques. Beaucoup, dans notre société, ne croient pas que le climat va changer nos vies dans les prochaines années. C’est tout à fait différent avec le Covid.

N’y a-t-il pas des mesures plus radicales à prendre pour ralentir notre croissance économique, directement corrélée à notre empreinte sur les écosystèmes ?

Il faut, en tout cas, que la protection environnementale entre dans le calcul des coûts de production.

Il faut également introduire des moratoires sur la déforestation. La mise en place de zones protégées n’est pas une garantie pour empêcher la perte de biodiversité. Par contre, il est certain que la destruction d’espaces naturels fait chuter cette biodiversité.

Il faut donc arrêter les activités qui ont le plus d’impact sur les écosystèmes. Or il y a des économies locales qui vivent de la déforestation. Il faut donc arriver à trouver des systèmes résilients, où les acteurs locaux puissent continuer à vivre dignement. Le business as usual n’est pas durable sur le long terme.

N’y a-t-il pas un virage à opérer du côté de l’agriculture industrielle ? En novembre, entre 15 et 17 millions de visons contaminés par le Covid ont été abattus au Danemark (depuis, une partie doit être exhumée car les autorités craignent une pollution des sols [5]). En France, un élevage de 1 000 bêtes, en Eure-et-Loir, a également été abattu. Pays-Bas, Suède et Grèce sont aussi touchés. Des productions destinées à l’industrie du luxe et qui s’avèrent des lieux de propagation importants du virus…

En effet, le virus a circulé des humains aux visons, puis a sauté à nouveau la barrière des espèces et s’est retrouvé sur les populations qui travaillent dans ces élevages, au risque d’introduire un nouveau variant génétique du SARS-CoV-2 contre lequel on ne sait pas si le vaccin sera efficace.

On le sait depuis longtemps : les élevages industriels sont des réacteurs à microbes. Quand un virus arrive dans un élevage gigantesque, la transmission est extrêmement virulente. Car, pour le virus, il n’y a pas de coût évolutif à tuer son hôte, ce dernier étant remplacé automatiquement.

À cet égard, le développement de l’industrialisation et de l’intensification des élevages constitue un problème crucial. Si l’on ne fait rien pour ralentir cela, dans les prochaines années, c’est dans les élevages intensifs que l’on verra apparaître de nouvelles zoonoses.


 
Tag(s) : #actualités, #Environnement
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