A l'automne dernier, les éditions Le Passeur nous proposèrent un étrange et original livre, des textes bruts et non bruts rassemblés par Anouk Grinberg, intitulé : Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?

 

Qui ne connaît pas l'Art brut, sous la forme de la peinture, ou de la sculpture, parfois aussi des installations ? Mais une forme de cet Art demeure assez absent, les écrits. Il fallait donc toute la volonté et la grande sensibilité d'une comédienne célèbre comme Anouk Grinberg pour nous donner enfin à lire, ces lettres de femmes et d'hommes enfermés par la société ou par la famille. Des vies recluses, tenues à l'écart de tout et de tous, des vies ailleurs, des vies de gens considérés comme des « sans dent », des « gens qui ne sont rien », invisibles parmi les invisibles. Pourtant ils existent. En voilà une belle preuve, une preuve littéraire, une preuve humaine, provenant des hôpitaux psychiatriques. Preuves de vie, preuves d'envie d'écrire, donc d'envie de vivre. Preuves aussi de la résistance au malheur, résistance à la folie, résistance à la relégation, de ceux que l'on nomme fous, ou idiots.

 

Et pourquoi moi je devrais parler comme toi ? fut d'abord un spectacle où Anouk Grinberg donnait sa voix à ces invisibles. Spectacle brisé par le confinement, comme tant d'autres spectacles vivants, une branche de la culture aujourd'hui toujours en péril. Un livre qui représente cinq années de recherche dans les archives de musées ou auprès des personnels d'hôpitaux psychiatriques, en collaboration avec la Collection de l'art brut de Lausanne ou encore le Centre La Pommeraie. Des documents très anciens ou récents, parfois anonymes, ou parfois accompagnés d'une brève biographie avec photographie. Au final, une belle cinquantaine de textes, avec en prime des fac-similés de lettres.

 

Des témoignages d'humains enfermés, écrivant pour dire qu'ils ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient dans cet enfermement, écrivant à leurs familles ou aux directeurs des institutions, des cris de rage, de tendresse, de liberté, jamais entendus, car les familles ou les institutions ne les prenaient pas pour des vrais gens. Personne parmi eux ne se prenaient pour des écrivains, ni des artistes, il fallait juste extérioriser une pulsion de vie, face aux pulsions de mort de ces endroits de relégation. Un livre qui nous perturbe, nous touche, nous traverse. Un livre comme objet littéraire unique, un livre qui est bien à l'image d'une actrice-comédienne-peintre hors norme. Une carrière protéiforme depuis 1976, avec au-delà de ses sublimes films avec Bertrand Blier, les noms prestigieux de Tanner et Goretta, de Garrel et Assayas ou Audiard, de Sobel à Chéreau, de magnifiques alternances au cinéma, au théâtre et à la télévision, sans oublier ses expositions de peinture de Paris à Bruxelles. Créer c'est résister, résister c'est créer, comme une volonté de puissance, celle de la vie, posée entre ces pages.

 

Dan29000

 

Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?

Écrits bruts (et non bruts) réunis par Anouk Grinberg

Éditions Le Passeur

Préface Jean-Pierre Siméon, poète et dramaturge

Postface Sarah Lombardi,directrice de la Collection de l'Art Brut, Lausanne

2020 / 254 p / 20,90 euros, numérique 9,99 euros

 

Site éditeur

Feuilleter

 

« La barque de l'amour s'est brisée contre la vie courante. »

MAÏAKOVSKI

 

France Inter Boomerang : entretien novembre 2020

 

 

 

Tag(s) : #lectures, #écrans
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :