Les dérives de Sanofi
L’art et la manière de faire passer la pilule selon Sanofi
Au sein de l'entreprise Sanofi, la coordination SUD Chimie alerte depuis plusieurs années sur les dérives de ce «Big Pharma» qui se positionne systématiquement sur les domaines thérapeutiques jugés les plus profitables pour ses actionnaires, au détriment des besoins réels de santé des populations. L'un des derniers projets de Sanofi, le projet Pluton, en est le parfait exemple.

Nous sommes salariés chez Sanofi, et également syndicalistes sous l’étiquette SUD Chimie. Que cela soit clair, nous sommes des personnes très engagées, et notre vision du syndicalisme et de l’entreprise se heurte et heurte souvent nos patrons.

Nous vivons sans problème avec cela. En revanche, nous avons beaucoup plus de mal à vivre avec l’image que cherche à se donner Sanofi, nous qui sommes à l’intérieur.

S’il n’est nul besoin de rappeler ce qu’est Sanofi, il convient cependant de faire un petit rappel des chiffres, et de démystifier l’un de ses derniers projets, le projet Pluton.

Tout d’abord, Sanofi, un des leaders de la big pharma, est une entreprise qui se porte très bien. Pendant la crise de la Covid-19, elle a vu son chiffre d’affaire pour 2020 progresser de 6 % (pour rappel, il était de 36 milliards en 2019 !).

Sanofi, c’est aussi, en 12 ans, plus de 5000 emplois supprimés en France, 8 sites fermés, 3 vendus, 2 reconvertis accompagnés d’une forte diminution de la masse salariale. Avec les annonces de juillet 2020, ceux sont encore 1000 emplois qui vont disparaitre d’ici 2022. A ce rythme, le groupe Sanofi en France comprendra moins de 20.000 emplois CDI en activité fin 2022. Nous étions plus de 27.000 en 2008 (chiffres de la direction). Encore un peu et on ne pourra plus parler d’entreprise tricolore.

Pourtant, Sanofi ne compte pas les millions d’euros consacrés à sa communication pour travestir le requin de la finance en entreprise responsable voire éthique, quitte à utiliser une pandémie pour redorer un blason largement écorné ces dernières années.

Nous devons reconnaitre que Sanofi a su rattraper sa mauvaise image grâce à une formidable opportunité : la Covid-19.

Une aubaine pour Sanofi, qui quelques semaines avant le premier confinement, avait annoncé vouloir externaliser 3100 salariés répartis dans six de ses sites de production de principes actifs (constituant actif du médicament) en Europe à Brindisi (Italie), Francfort Chimie (Allemagne), Haverhill (Royaume-Uni), Ujpest (Hongrie), St-Aubin-les-Elbeuf (France), et Vertolaye (France) argumentant que cette nouvelle entité sécuriserait l’approvisionnement en médicaments.

Sanofi continue le démantèlement d’un fleuron de l’industrie française qui a mis près de 40 ans à se construire. Après sa recherche interne, les fonctions support, la santé grand public, ses antiinfectieux, c’est aujourd’hui l’outil de production industriel qui est sur la sellette, un projet trainant depuis 2014 sous l’appellation « projet Phénix » dévoilé par le Canard Enchainé.

D’ailleurs, rien que le nom du nouveau projet est évocateur : Pluton est une planète naine située aux confins du système solaire, loin des yeux, loin du coeur. C’est aussi le nom du dieu des enfers de la Rome antique. On a connu plus inspiré.

La rengaine rabâchée en long et large dans les médias et relayée par le gouvernement : garantir l’indépendance sanitaire de l’Europe en créant un champion européen de la fabrication de principes actifs. Ce champion approvisionnerait l’industrie pharmaceutique de notre continent et empêcherait les ruptures de médicaments. Une annonce simpliste mais efficace pour convaincre nos millions de concitoyens confinés qui découvraient à quel point le monde était dépendant d’une poignée de pays asiatiques pour produire des médicaments.

En plus d’être opportuniste, cet argument est faux ! La production de produits finis en Europe est tributaire de l’approvisionnement en matières premières en provenance d’Asie (coûts et normes environnementales moindres). En quoi le fait de se séparer d’un grand groupe solide comme Sanofi va rendre cette entité suffisamment robuste pour nous mettre à l’abri des pénuries ? Le projet Pluton ne crée aucun outil de production supplémentaire et ne changera RIEN, les usines existent déjà. C’est juste un moyen pour Sanofi de se débarrasser d’une activité jugée peu stratégique et pas assez profitable pour ses actionnaires (parce que cette activité reste néanmoins très rentable).

Mieux, l’une des premières actions de la nouvelle société sera de réduire ses stocks, en passant de 11 mois à 6 mois, pour s’aligner sur le fonctionnement de ses concurrents. Ce qui est en totale contradiction avec la volonté affichée de réduire les ruptures de médicaments en Europe !

Ce que nous, salariés de ces usines, ferons demain dans Pluton, nous le faisions déjà dans Sanofi. Nous approvisionnons Sanofi en principes actifs et le ferons encore à l’avenir puisque Sanofi restera notre plus gros client pendant au moins 5 ans via des contrats commerciaux. Le reste de notre production est déjà vendu à des tiers comme par exemple Pfizer et Merck.

L’un des arguments majeurs de notre « mise en orbite » (selon les propos enthousiastes de Philippe Luscan, directeur des Affaires Industrielles de Sanofi), c’est que libéré du giron de Sanofi, d’autres labos pharmaceutiques nous confieraient volontiers leur production de principes actifs. Pluton ne serait plus perçu comme une filiale de Sanofi, et donc un concurrent, mais comme un sous-traitant exécutant à la demande.

Mais Pluton ne sera pas indépendant de Sanofi, loin de là.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la répartition du capital de Pluton. 30% des parts seront détenues par… Sanofi. C’est la seule chose que l’on tient pour acquis, ce qui suit n’est que projections. Il y aurait ainsi un peu d’investisseurs « institutionnels » comme la BPI, son équivalent anglais (10-15%), et un soupçon d’actionnariat salarié (5%), pour un global inférieur à 50%. Il s’agit surtout de libérer 70 % de frais de fonctionnement et d'investissement pour accroitre encore la marge de Sanofi.

Ce que l’on constate surtout, c’est que plus de la moitié du capital de la nouvelle société est « flottant » et donc tributaire des marchés financiers. Elle n’est donc pas à l’abri de voir arriver un nouvel actionnaire majoritaire, dont la stratégie sera totalement différente. Si par exemple un actionnaire asiatique se retrouvait majoritaire, quel intérêt pour lui de garder cet outil industriel en Europe ?

De même, quelles sont les garanties sur son avenir au-delà de cinq ans ? Prenons l’exemple de Porcheville vendu à Covance avec une garantie exclusive de sous-traitance de 5 années qui fut fermé le jour précis de l’expiration du contrat.

Sanofi avec ses 35 milliards de chiffre d’affaire et ses 8 milliards de bénéfice annuel a largement les moyens d'investir, par exemple en utilisant les 4 milliards redistribués gracieusement chaque année aux actionnaires sous forme de dividendes.

Que va-t-il advenir du groupe Sanofi sans sa chimie ? En se coupant d’une partie de son outil de production, c’est le groupe tout entier qui se fragilise. Sanofi a déjà fortement affaibli sa Recherche et Développement (5000 emplois supprimés en 10 ans), externalisé la majeure partie de ses fonctions supports et ne sera bientôt plus qu’une coquille vide dont la seule activité sera de vendre des médicaments.

Pourtant, des alternatives existent pour stabiliser l’approvisionnement en médicaments. Il faut constituer des stocks de médicaments essentiels, rapatrier en France et en Europe un maximum d'étapes de fabrication pour avoir le plus d'indépendance possible. Si l’on veut vraiment mettre cette future société au service des populations, la solution la plus immédiate et la plus évidente est d’en assurer un contrôle public. De l’argent public y étant injecté, cela relève de la logique la plus basique. Les autorités de santé et les citoyens sont les mieux placés pour décider de quels médicaments nous avons besoin.

En d’autres termes, pour sortir le médicament de la logique marchande, il faut socialiser l’activité pharmaceutique sous forme d’un pôle public incluant, la recherche, le développement, la fabrication et la distribution des médicaments et des produits de santé.

Et donc, puisque Sanofi ne veut plus de ses usines, aux pouvoirs publics de s’en emparer pour initier le changement de système. Ainsi les salariés ne seraient plus utilisés à créer de la valeur boursière mais leurs compétences seraient mises au service des besoins de santé de la population.

Il ne manque qu’un peu de courage politique.

LE MÉDICAMENT N’EST PAS UNE MARCHANDISE
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Dominique Marin, 06 04 45 90 74

                                                                                                                                                   


 

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SOURCE/ MEDIAPART.FR

Tag(s) : #actualités
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