Il y a juste deux ans, Eddy L. Harris marquait la rentrée littéraire de septembre, avec son passionnant Mississippi solo, aux éditions Liana Levi. Cet auteur américain vivant en Charente, réitère ce mois-ci avec, Le Mississippi dans la peau, toujours chez Liana Levi. L'enchantement demeure !
Précisons que Mississippi solo fut publié aux USA en 1988, et que son auteur avait alors une trentaine d'années. Parcourir en canoë en solo les 4000 kilomètres de ce fleuve américain mythique n'était pas une chose facile. Donc une date importante dans la vie d'un homme. Harris nous avait donné une magnifique fresque de cette Amérique profonde, de sa nature sauvage, de son histoire autour du fleuve, mais aussi de ce racisme ancré en profondeur, d'autant plus que dans pas mal de coins du Mississippi, les Noirs ne sont pas les bienvenus, fussent-ils en canoë. Nous avions eu un gros coup de foudre pour ce récit foisonnant, humain, et écologique, avec en plus, une écriture chatoyante, bien dans la belle lignée des écrivains voyageurs.
Trente ans plus tard, qu'en est-il ? Eddy L. Harris, dans la soixantaine, a changé, le fleuve a changé, rien de plus mouvant qu'un grand fleuve, et l'Amérique du nord a aussi changé, Obama est passé par là. Paradoxalement, les tensions raciales ont augmenté, mais le Mississippi coule toujours, souvent imprévisible et dangereux. Toute la vie de ce grand pays contrasté est là, la faune, la flore, les gens rencontrés au fil de l'eau, un biologiste, un Indien américain ou un pêcheur, les belles rencontres se multiplient, les dangers aussi parfois, mais ce second parcours de cet auteur attachant nous embarque autant que le premier. Du lac d'Istasca, source de ce fleuve-monde, à La Nouvelle Orléans, via Minneapolis, St Louis et Memphis, la célèbre ville, berceau du rock, du jazz et du blues, comme Clarksdale non loin de là, où les musiques de John Lee Hooker, Son House et Muddy Waters résonnent encore et encore.
Au fil des kilomètres et au fil des pages, Eddy L. Harris qui nous avoue, « Être noir n'est qu'une de mes facettes. », il est donc un individu, un citoyen du monde, certes né à Indianapolis en 1956, un individu qui prend le temps, qui écoute au hasard du fleuve et qui témoigne en faveur des pauvres parmi les pauvres, les Indiens, les oubliés de ce grand pays construit sur le génocide des peuples indiens et sur l'esclavage des Noirs. Double crime des européens de l'époque. Une des grandes forces aussi de ce livre humaniste et engagé est aussi dans les passages où Harris nomme quelques unes des victimes noires tombées sous les balles des flics blancs. De Michael Brown à Trayvor Martin, en passant par Corey Jones... Au final, Le Mississippi dans la peau, est une grande bouffée d'oxygène où Eddy L. Harris, au-delà du racisme systémique de son pays natal, montre qu'une autre Amérique du nord est possible, que la solitude choisie permet de respirer mieux, de se connaître, donc de connaître mieux l'Autre lors de la rencontre, en arrêtant de penser comme le groupe face à d'autres groupes. Une leçon de courage, une philosophie de l'humilité, de la tolérance, qui au-delà des qualités littéraires réelles de ce livre, nous offre un coin de ciel bleu et d'espoir dans ce monde mortifère.
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Le Mississippi dans la peau
Eddy L. Harris
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pascale-Marie Deschamps
Éditions Liana Levi
Collection Littérature étrangère
2021 / 256 p / 20 euros