En octobre 2021, les éditions Verticales publièrent un nouveau livre d'Arno Bertina, intitulé : Ceux qui trop supportent. Le combat des ex-GM&S (2017-2020).

 

De nos jours, les ouvriers sont les grands absents de nos écrans qui pourtant se multiplient. L'info en continu certes, mais surtout en continu afin d'endormir, préparant les cerveaux à l'avalanche de publicité ou à l'idéologie réactionnaire d'un pays qui glisse à droite. Absents aussi de la littérature, ces ouvriers qui pourtant respirent encore et luttent contre des destructions programmées. Alors Arno Bertina leur donne de la visibilité, soit par la fiction, comme lors Des châteaux qui brûlent (2017 Verticales), un de nos coups de cœur cette année-là, ou bien par cette rencontre-enquête, intitulée Ceux qui trop supportent. Ce fut en 2017 que s'effectua cette belle jonction entre un écrivain engagé et des salariés en lutte dans l'usine occupée de GM&S, équipementier automobile.

 

Arno Bertina, en un peu plus de deux cents pages, nous fait partager, car c'est bien de partage qu'il s'agit, la lutte de ces ouvriers et cadres unis, une lutte dans le temps où la fraternité, mais aussi l'expertise, l'inventivité, la ténacité, la lucidité de ceux « qui ne sont rien » s'illustrent dans une résistance solidaire. Ceux qui trop supportent est un superbe cocktail d'entretiens, de récits, de scandales, de colères, d’analyses, face aux diverses directions successives du site, face aux commanditaires, Peugeot et Renault, sans oublier l’État. Un long combat, un long Tous ensemble, qui n'est pas sans rappeler celui des Contis (Continental) dont nous avions souvent rendu compte au début de Danactu. Bataille au long cours, bataille dans l'usine, bataille dans la rue, bataille devant les tribunaux ou à l'Assemblée...

 

Au-delà de l'aspect documentaire, Arno Bertina permet de déconstruire les mensonges véhiculés par les mots de l'idéologie dominante. Les mots sont importants. Ceux qui dominent, médias, forces de répression, notables, parfois élus savent bien s'en servir. Alors déconstruire est un combat nécessaire et là aussi l'auteur réussit. Quatre ans de travail, avec des faits vécus, des séquences tragiques ou drolatiques, la vraie vie d'ouvriers en lutte, face aux représentants de la caste au pouvoir. Ceux qui trop supportent, un beau moment de vie, de résistance, d'humanité partagée.

 

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Ceux qui trop supportent

Le combat des ex-GM&S (2017-2020)

Arno Bertina

Éditions Verticales (Gallimard)

2021 / 237 p / 19 euros

Site éditeur

 

 

Extrait :
 


On est habitué à désigner les lieux par des noms propres – dans la langue du jour, « Guéret » est une préfecture du Limousin ; on a oublié que ces deux syllabes ont indiqué, longtemps, une friche ou une jachère, partout en France. Le mot permet de saisir la chose, les sonorités assemblées font apparaitre un lieu précis. Au contraire, quand le nom d’une ville est aussi un adjectif, les bâtiments, les jardins et les rues peinent à s’imposer nettement ; si vous dites « La Souterraine » par exemple, ils sont contestés ou bousculés par une entité chargée d’ombres et de nuit, de roches et de terre.

Mieux : le jour où j’apprendrais à situer La Souterraine en Creuse, je ne pourrais m’empêcher de noter à quel point cet autre nom travaille dans le même sens… Peut-être ai-je même été tenté de dire « ça sent l’sapin », mais le département dépend de la sylviculture, et du Douglas, économiquement… On aurait pensé que je jouais avec les mots alors que non ; j’entendais bien quelque chose de perdu, empruntant au cimetière et au cercueil, et le vrombissement d’une vie capable de jaillir, à un moment ou à un autre – à l’air libre.

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Tag(s) : #lectures
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