Bon, disons-le tout net, si vous aimez
les films de Luc Besson ou Taxi 13, ce film-documentaire n'est pas vraiment fait pour vous, ni d'ailleurs ce site...Partez tout de suite.
En quoi existe-t-il un enjeu de société autour du sort réservé aux proches de personnes incarcérées ?
Aujourd'hui, dans les prisons, il y a 1 travailleur social pour 100 détenus, voire pour 200 dans certains endroits. Psychologiquement, les personnes incarcérées se détériorent au fur et à mesure de la détention. Ceux condamnés à de longues peines sont incapables de revenir à une vie normale et les petits délinquants apprennent à faire pire. Ces femmes sont les seuls vecteurs de réinsertion potentielle. Elles sont celles qui logent le détenu à la sortie, qui se démènent pour leur trouver un boulot. Il me semble que la prison est de façon générale un enjeu important, et pas seulement d'un point de vue humaniste, d'un point de vue égoïste aussi. Au lieu de protéger la société, elle génère de la violence. Il faut que les gens se mettent dans la tête que tout détenu sort. Quand il y a des récidives horribles, on entend toujours "Pourquoi on l'a laissé sortir ?" Moi je me dis : "Tiens, c'est un type qui a commencé à 18 ans avec un vol et il finit en train d'égorger ou violer une gamine. Il a passé 10-15 ans en prison avec plusieurs condamnations et on retrouve une espèce de monstre à l'arrivée." Ca pose vraiment des questions sur la prison.
Selon les associations, la réinsertion pourrait être mieux prise en charge par l'administration carcérale sans coûts excessifs. Pourquoi la situation n'évolue-t-elle pas ?
La prison est un échec patent en France, tout le monde le sait. Pourquoi personne ne fait rien ? Parce que ce n'est pas électoralement payant. Il est plus simple de dire qu'il faut enfermer tous les délinquants que d'expliquer que plus on enferme, pire c'est. L'abolition de la peine de mort ne serait pas passée par référendum, les politiques ont dû décider de le faire. Pour la prison aujourd'hui, c'est un peu pareil. La tendance est au tout-répressif. Quand on voit le taux d'incarcération aux Etats-Unis et la violence de la société, ce n'est pas rassurant… Pour avancer, il faudrait mettre de l'argent dans les prisons pour faire autre chose qu'en construire. Surtout, une véritable réflexion sur le sujet est nécessaire. Aujourd'hui, on enferme tellement de gens que ça commence à toucher les classes moyennes : des histoires de conduite sans permis, des jeunes qui sont incarcérés pour avoir cassé quelque chose pendant une manifestation... Ca irradie une plus grande frange de la population qui peut être susceptible de faire bouger les choses.
Quelle a été la réaction de l'administration pénitentiaire à votre documentaire ?
On sent que c'est une remise en question. Ils savent bien qu'il y a plein de problèmes avec les familles mais une partie d'entre eux ne mesure pas ce que ça signifie dans la vie quotidienne. Par le film, ils se rendent compte de l'impact de toutes ces petites choses qui leur semblent anodines, comme, par exemple, le fait de refuser un parloir pour une minute de retard. Ils raisonnent sur des critères qui ne prennent pas en compte la famille. Ils sont dans une autre logique. Comme dans toute la société, la tendance générale est la sécurité, l'enfermement, la répression.
Par contre, si vous savez que depuis quelques années le documentaire se porte de mieux en mieux dans notre beau pays ravagé par le capitalisme, et qu'en plus, vous
avez un intérêt certain pour savoir ce qui se passe dans nos prisons (bientôt on va vous parler de l'OIP d'ailleurs) et que l'humain reste au coeur de vos préoccupations, alors oui ce film, qui
sort aujourd'hui en DVD est pour vous.
Sans doute l'avez-vous, comme moi, loupé en salles. C'est normal, on est dans un système de distribution bien pourri. Ce film d'une qualité rare et d'une justesse
de ton incroyable, a fait 20 000 entrée dans les cinémas. Faut dire qu'avec 10 copies, non ce n'est pas une faute de frappe, 10 copies, on voit mal comment il aurait pu rivaliser avec les grosses
machines décervelantes made in USA ou made in Luc Besson...
Le sujet, c'est la prison de Rennes, enfin, pas LA prison, mais A COTE, juste à côté, une petite maison accolée au mur de la prison, une petite maison de
l'association TI-TOMM. Dans la prison des hommes, et dans la petite maison, des femmes, des femmes de détenus, compagnes, épouses ou mères... Certaines viennent une ou deux fois par semaine,
pendant des mois ou des années. Elles viennent pour un parloir, et comme en France, Administration pénitentiaire rime avec arbitraire, si jamais elles ont une minute de retard sur le rendez-vous
prévu, la porte restera fermée.
Alors elles arrivent en avance, et se retrouvent dans la petite maison, pour prendre un café et discuter un peu entre elles. Parfois, s'il y a du soleil, c'est dans
le jardinet de la petite maison.
Et là, elles se livrent entre elles, et Stéphane Mercurio sait "attraper au vol" leurs paroles, paroles émouvantes, justes, parfois terribles...
Elles subissent une sorte de double peine, d'abord l'absence durant des mois ou des années de celui qui est enfermé. Bon vous me direz c'est assez normal, c'est le
principe de l'incarcération. Certes. Mais en plus, elles subissent aussi l'arbitraire odieux, le mépris incommensurable de l'Administration pénitentiaire. Certaines font des centaines de
kilomètres pour s'entendre dire que la machine enregistreuse de rendez-vous n'a pas fonctionné et donc... pas de rendez-vous.
Circulez, y a rien à voir, sauf le train du retour et attendre un autre parloir.
Ou bien que leur homme n'est plus là, transféré dans une autre prison, dans une autre ville, éloignée parfois...
Circulez, y a rien à voir, juste à subir...
D'autres encore apportent quelques victuailles pour la semaine de Noël, mais le fromage, non, pas le droit, et puis les tranches de saumon, faut les sortir, les
présenter en vrac...Une de ces femmes admirables refuse, disant que les détenus ne sont pas des chiens...
Peut-être que les chiens dans leurs chenils sont mieux traités...
Plus d'une fois, certaines craquent devant la caméra.
La détresse est infinie, mais...Circulez, c'est le règlement, pas de fromages...
L'oppression à l'intérieur des prisons contamine l'extérieur et vient tourmenter et frapper ces femmes qui, elles, ne sont coupables de rien.
Nous avons sans doute tous déjà vus des films sur les prisons, mais l'originalité profonde de ce film, c'est de brosser un portrait en creux de la prison, un
portrait aussi de notre société, et cela n'est pas brillant, c'est même honteux...
Prisons partout, justice nulle part...
La seule chose de juste dans tout cela, c'est les paroles, le courage, l'amour immense de ces femmes, et la justesse de ton et de distance de la réalisatrice.
Beaucoup de souffrance, mais aussi beaucoup de dignité face à des situations indignes et révoltantes engendrant souvent des vagues de suicides.
Stéphane Mercurio a débuté sa carrière en 1992 avec "Scènes de ménage avec Clémentine" diffusé par Arte. Elle a créé avec d'autres LA RUE, le mag vendu par des
sans-logis dont elle fut la rédactrice en chef de 1992 à 1996. Ajoutons "Vivre sans toit" et "Hélène aux urgences".
Dan29000
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Ci-dessous un extrait d'interview datant d'octobre 2008 pour EVENE.FR.
Le film a obtenu :
Prix du film français +Prix du public documentaire à BELFORT : festival Entrevues 2007
Prix du festival à RENNES au Festival de justice 2008
Prix Docs lycéens à CRETEIL au Festival International de Films de femmes
Un accueil très positif des critiques :
Libération : Un film salutaire...
Positif : Un travail précis sur l'image...
Studio : Le mariage parfait entre la force du cinéma et la puissance du réel...
France-Inter (Masque et la plume) : C'est sublime...
Enfin on se doit de saluer les EDITIONS MONTPARNASSE pour cette livraison en double DVD, d'abord le film (1h32-couleur-2008) et ensuite le second DVD de bonus
:
Envies de justice (50') un doc sur une permanence juridique gratuite d'une avocate à la mairie de Bondy où l'on voit défiler les rejetés du capitalisme et où l'on
pense à l'admirable livre de Bourdieu "La misère du monde"...
+ Une interview de Chantal Courtois 2 ans après le tournage (11')
+ 2 scènes inédites (12')
Enfin, vous pouvez aussi jeter un oeil sur le site des EDITIONS MONTPARNASSE.
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INTERVIEW DE STEPHANE MERCURIO / EVENE. FR/ A. LOUCHART
En quoi existe-t-il un enjeu de société autour du sort réservé aux proches de personnes incarcérées ?
Aujourd'hui, dans les prisons, il y a 1 travailleur social pour 100 détenus, voire pour 200 dans certains endroits. Psychologiquement, les personnes incarcérées se détériorent au fur et à mesure de la détention. Ceux condamnés à de longues peines sont incapables de revenir à une vie normale et les petits délinquants apprennent à faire pire. Ces femmes sont les seuls vecteurs de réinsertion potentielle. Elles sont celles qui logent le détenu à la sortie, qui se démènent pour leur trouver un boulot. Il me semble que la prison est de façon générale un enjeu important, et pas seulement d'un point de vue humaniste, d'un point de vue égoïste aussi. Au lieu de protéger la société, elle génère de la violence. Il faut que les gens se mettent dans la tête que tout détenu sort. Quand il y a des récidives horribles, on entend toujours "Pourquoi on l'a laissé sortir ?" Moi je me dis : "Tiens, c'est un type qui a commencé à 18 ans avec un vol et il finit en train d'égorger ou violer une gamine. Il a passé 10-15 ans en prison avec plusieurs condamnations et on retrouve une espèce de monstre à l'arrivée." Ca pose vraiment des questions sur la prison.
Selon les associations, la réinsertion pourrait être mieux prise en charge par l'administration carcérale sans coûts excessifs. Pourquoi la situation n'évolue-t-elle pas ?
La prison est un échec patent en France, tout le monde le sait. Pourquoi personne ne fait rien ? Parce que ce n'est pas électoralement payant. Il est plus simple de dire qu'il faut enfermer tous les délinquants que d'expliquer que plus on enferme, pire c'est. L'abolition de la peine de mort ne serait pas passée par référendum, les politiques ont dû décider de le faire. Pour la prison aujourd'hui, c'est un peu pareil. La tendance est au tout-répressif. Quand on voit le taux d'incarcération aux Etats-Unis et la violence de la société, ce n'est pas rassurant… Pour avancer, il faudrait mettre de l'argent dans les prisons pour faire autre chose qu'en construire. Surtout, une véritable réflexion sur le sujet est nécessaire. Aujourd'hui, on enferme tellement de gens que ça commence à toucher les classes moyennes : des histoires de conduite sans permis, des jeunes qui sont incarcérés pour avoir cassé quelque chose pendant une manifestation... Ca irradie une plus grande frange de la population qui peut être susceptible de faire bouger les choses.
Quelle a été la réaction de l'administration pénitentiaire à votre documentaire ?
On sent que c'est une remise en question. Ils savent bien qu'il y a plein de problèmes avec les familles mais une partie d'entre eux ne mesure pas ce que ça signifie dans la vie quotidienne. Par le film, ils se rendent compte de l'impact de toutes ces petites choses qui leur semblent anodines, comme, par exemple, le fait de refuser un parloir pour une minute de retard. Ils raisonnent sur des critères qui ne prennent pas en compte la famille. Ils sont dans une autre logique. Comme dans toute la société, la tendance générale est la sécurité, l'enfermement, la répression.