Femmes en questions – quel rôle joue le « code de la famille » en Algérie ?

 

 

 

 

Sur la situation de la femme, en Algérie, il a une question que l’on ne se pose pas du tout. La voici : et si le statut personnel, communément appelé code de la famille, ne jouait pas de rôle majeur dans l’oppression des femmes ? Cette question survient lorsque l’on fait abstraction de la sphère législative et que l’on observe le fonctionnement social. Elle est immédiatement suivie par celle-ci : et si ce statut n’existait pas ? Question qui sera complétée par cette autre interrogation : les femmes vivraient-elles de meilleures conditions ?

Ce genre de questions semble avoir le mérite de nous sortir du débat théorique pour nous immerger dans le monde réel et nous mettre en face des faits qui parlent mieux que le discours le plus sophistiqué. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’ignorer que ce texte qui légifère sur la famille en général et sur la femme en particulier a son importance politique.

Si nous observons donc la société algérienne, et il faut le faire dans son mouvement historique, il y a ce constat indéniable que le statut de la femme a considérablement évolué. Et que cette évolution s’est faite au fur et à mesure de l’irruption des femmes dans l’espace social. Si c’est la seule bonne performance qu’elle a réalisée, c’est l’école qui va le plus contribuer à détruire l’espace traditionnel réservé aux femmes, le foyer en l’occurrence, en les happant vers l’espace public, de plus un espace mixte. « Nous irons en nombre rond sur votre territoire. Il faudra bien que vous fassiez place. Et l’on verra si l’on rira de notre folle audace », chantait la française Renée Marcil en 1889 dans sa « Chanson des bachelières ».

Concertée ou pas la politique de tous les pouvoirs qui se sont succédés depuis l’indépendance du pays a contribué à une restructuration remarquable de la société. Il y a eu par la suite, certaines audaces, comme le recrutement de femmes pilotes dans l’armée de l’air, de femmes policières en même temps que se renforçait, en qualité et en quantité, la présence féminines dans le monde du travail.

La première conséquence en fut la métamorphose des rapports maritaux, au sein de ménages de plus en plus nombreux. La dynamique était lancée. Surgit alors, au sein de couches les plus avancées des travailleuses et des étudiantes, la nécessité de mettre en adéquation la nouvelle place de la femme dans la société avec la législation. Et comme les sociétés humaines ne se posent que les problèmes qu’elles peuvent résoudre, les premières actions féministes n’eurent pas beaucoup d’impact. Certaines d’entre elles, dans une naïveté enthousiaste voulurent qu’il en soit appelé à un référendum populaire sur le maintien ou l’abrogation du code de la famille. Des années plus tard un leader politique, pourtant élu par la presse, en tant que « démocrate » parmi les démocrates, considérait encore que les « élections n’étaient pas un défilé de mode ». C’est dire que le sentiment était peut être noble de magnifier le peuple, mais le résultat d’un tel référendum n’aurait pas été différent ou aurait pire que le code. Dont le peuple, en majorité, ignorait jusqu’à l’existence, ou considérait qu’il donnait beaucoup de droit à la femme. Le suffrage universel n’aurait pas fait de quartier.

Le vécu de chacune et les différents témoignages informait pourtant sur les pesanteurs des traditions et de ce droit coutumier qui n’a pas besoin d’être écrit et qui régulent les équilibres, jugés vitaux, d’un sociétés qui ne maîtrise pas les péristaltismes qui la traversent et qui la transforment.

L’éclatement de la famille patriarcale et la multiplication des familles nucléaires va encore donner plus de force à l’émancipation grandissante des femmes de la tutelle traditionnelle. La révoltante affaire des « femmes de Hassi Messaoud » vient aussi démontrer le chemin parcouru, qui fait que des femmes puissent nomadiser pour travailler. Leur agression ne peut prouver que le désarroi d’une société impuissante à juguler le phénomène.

Des millions de « modus vivendi » se sont mis en place, au cas par cas, où l’éducation, le travail, la tenue vestimentaire, les sorties des filles sont négociés, en fonction de la culture familiale et de la « pression » du voisinage ou du quartier. Les courants islamistes, eux-mêmes, admettent la présence des femmes dans l’espace social. Le MSP fête le 8 mars de Clara Zetkin, à sa façon, mais il le fête quand même.

Les multitudes de petites résistances, de luttes individuelles isolées, creusaient implacablement des brèches béantes dans les murs de l’enfermement. L’autorité des mâles cédait à la nécessité de la scolarisation des fillettes, à la nécessité d’un salaire supplémentaire, à la nécessité de préserver la sécurité alimentaire de la famille.

Socialisé, le phénomène pouvait se développer à l’infini contre des pesanteurs dont la conscience des réalités présente, désormais, comme un danger mortel. Cette conscience va s’élargir et de plus en plus de parents vont anticiper les questions d’héritage en sauvegardant l’intérêt de leur descendance féminine, soit qu’ils n’aient pas de garçons (dans ce cas les collatéraux paternels héritent aussi avec les filles), soit qu’ils craignent que les frères lèsent les sœurs.

Plus curieux, certaines enquêtes sociales, qui se sont intéressées aux relations entre les hommes et les femmes, ont mis en évidence cette tendance des hommes à vouloir la stricte application des dispositions sur l’héritage des femmes, mais… à se faire plus nuancés sur le même sujet quand il concerne leurs proches (filles, sœurs, mères). Les résultats sont similaires s’agissant de la polygamie. L’obéissance au pattern dominant ne résiste pas au sacrifice, quand il est personnel.

Tout se passe comme si l’abrogation du statut personnel se faisait au jour le jour et gagne pan par pan la société réelle. Tout porte à le croire. Qu’en restera-il dans quelques années, quand les dernières générations auront cédé la place aux nouvelles alors que des millions de femmes seront passées du rôle assigné de « mère » à celui plus large d’acteur.

Certains chiffres laissent déjà rêveurs. Dans le cycle secondaire, les filles représentent près de 60% des élèves, alors qu’elles sont minoritaires dans le primaire. Cette proportion va augmenter à l’université. Si nous prenons pour base l’année 2010, elles seront beaucoup plus nombreuses que les garçons à y accéder. Les taux de réussite au baccalauréat révèlent qu’il y a 64,73% de filles contre 35,27% de garçons. Il faut chercher, derrière ces résultats, la volonté féminine de s’affirmer et surtout celle des parents de voir leurs filles échapper à des contraintes qu’ils redoutent.

Le code de la famille, les coutumes et les traditions n’ont rien pu y faire. Elles ne peuvent, apparemment, qu’entretenir ces contradictions qui font que le pouvoir continue de stipuler l’égalité des genres dans l’article 29 de la constitution, mais de l’infirmer dans le statut personnel, en y consacrant la femme comme mineure. Les lois étant ainsi faites qu’elles servent des politiques, il faudrait et cela se fera qu’elles n’aient plus raison d’être, tant elles sont un facteur de blocage de la libre expression. C’est le cas, de vouloir aller à l’encontre de la dynamique sociale. Il s’agit juste de tenir compte du fait que cela est en train de se faire, quand les textes ne servent plus qu’une idéologie que la vie a rattrapée.

Ahmed Halfaoui


SOURCE / ESSF
Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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