La (seule) voix qui accuse Jacques Chirac

 

 


Il en fallait une.  C'était même, disons-le, une nécessité démocratique. Avant que les deux représentants du parquet de Paris ne prennent la parole, mardi 20 septembre, pour requérir une relaxe générale en faveur des dix prévenus au procès de Jacques Chirac, une voix s'est élevée pour affirmer que cette affaire, même si elle apparaît comme de l'archéologie judiciaire et politique, même si elle ne concerne qu'une vingtaine d'emplois de chargés de mission à la Ville de Paris, même si celui qu'elle vise est un ancien président de la République âgé et malade, n'est pas aussi anodine que l'accusation voudrait le faire croire. 

Cette voix a été portée par les deux avocats de l'association Anticor, Mes Jeremy Afane-Jacquart et Jérôme Karsenti, lundi 19 septembre.

L'association s'est constituée partie civile après que la Ville de Paris, présente tout au long de l'instruction, a annoncé qu'elle se retirait du procès en échange de l'indemnisation totale de son préjudice financier par l'UMP - venant aux droits de feu le RPR - et par Jacques Chirac. Cette place de partie civile lui est contestée par les avocats de l'ancien chef de l'Etat, qui estiment que l'association Anticor n'a pas "d'intérêt à agir". Il reviendra au tribunal de répondre sur ce point dans son jugement, mais pour l'instant, Anticor est là et bien là.

Rappelant que l'objet social de l'association est la lutte contre la corruption, Me Karsenti s'est interrogé:

- Qu'est-ce qu'un emploi fictif si ce n'est une infraction qui entre complètement dans le territoire de la corruption ? Car c'est bien de corruption politique dont il s'agit. Et lutter contre la corruption, c'est lutter contre tout ce qui fausse le jeu démocratique" a-t-il affirmé.

 Cette époque si ancienne - le début des années 90 - n'est en effet pas n'importe laquelle, a-t-il souligné, en rappelant que Jacques Chirac, alors maire de Paris et président du RPR, a comme "premier objectif" de remporter l'élection présidentielle de 1995. 

La mairie de Paris constitue une formidable machine de guerre. Son cabinet de maire de la capitale ne cesse d'enfler, les recrutements de chargés de mission - dont la signature des contrats est réservée aux hommes de confiance que sont les directeurs de cabinet - se multiplient. Il y a en a pour tout. Pour la Corrèze, pour l'Afrique, pour on ne se souvient pas exactement de quoi et, après deux semaines de débats, on n'a toujours pas compris pourquoi.

Emploi après emploi, Me Karsenti pose la même question.

- Quel était le service rendu par Monsieur ou Madame X... à la mairie de Paris? Quel était l'intérêt pour les Parisiens d'avoir un conseiller pour la Corrèze? Quel était l'intérêt, pour les Parisiens, d'assurer la sécurité de Marc Blondel, patron de Force ouvrière? Quel était l'intérêt, pour les Parisiens, du travail de la secrétaire personnelle de tel député (RPR) des Deux-Sèvres ou du chauffeur de tel autre élu (toujours RPR) des Yvelines?  

Il tonne.

- Aucun. Et qui paye? Les contribuables parisiens.

Me Karsenti ironise:

- On s'étonne d'ailleurs que Jacques Chirac n'ait pas eu un conseiller aux exoplanètes ou aux escargots, puisque le maire de Paris devait être en relation avec la terre et le ciel réunis!

 A l'adresse des deux représentants de l'accusation qui assistent quasi muets aux débats depuis deux semaines et qui s'apprêtent à expliquer, conformément aux réquisitoires écrits signés de l'ex procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin et de son homologue de Nanterre, Philippe Courroye, que toute cette affaire ne mérite aucune poursuite, Me Karsenti lance:

- Nous avons un parquet qui ne fait pas oeuvre de justice en raison de son manque d'indépendance!

 

Dans la même salle où, face au même président du tribunal, Dominique Pauthe, le procureur Jean-Claude Marin était venu en personne soutenir l'accusation contre Dominique de Villepin au procès Clearstream, cette phrase résonne durement.

Anticor demande environ 100.000 euros de dommages et intérêts et de frais de justice.

(Croquis d'audience de Noëlle Herrenschmidt)

 

 

Sources : Chroniques judiciaires, un blog de Pascal Robert Diard, journaliste au Monde

 

Tag(s) : #actualités
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